Robinson Crusoe. I. Defoe Daniel
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Lorsque je m'éveillai il faisait grand jour; le temps était clair, l'orage était abattu, la mer n'était plus ni furieuse ni houleuse comme la veille. Mais quelle fut ma surprise en voyant que le vaisseau avait été, par l'élévation de la marée, enlevé, pendant la nuit, du banc de sable où il s'était engravé, et qu'il avait dérivé presque jusqu'au récif dont j'ai parlé plus haut, et contre lequel j'avais été précipité et meurtri. Il était environ à un mille du rivage, et comme il paraissait poser encore sur sa quille, je souhaitai d'aller à bord, afin de sauver au moins quelques choses nécessaires pour mon usage.
Quand je fus descendu de mon appartement, c'est-à-dire de l'arbre, je regardai encore à l'entour de moi, et la première chose que je découvris fut la chaloupe, gisant sur la terre, où le vent et la mer l'avaient lancée, à environ deux milles à ma droite. Je marchai le long du rivage aussi loin que je pus pour y arriver; mais ayant trouvé entre cette embarcation et moi un bras de mer qui avait environ un demi-mille de largeur, je rebroussai chemin; car j'étais alors bien plus désireux de parvenir au bâtiment, où j'espérais trouver quelque chose pour ma subsistance.
Un peu après midi, la mer était très-calme et la marée si basse, que je pouvais avancer jusqu'à un quart de mille du vaisseau. Là, j'éprouvai un renouvellement de douleur; car je vis clairement que si nous fussions demeurés à bord, nous eussions touts été sauvés, c'est-à-dire que nous serions touts venus à terre sains et saufs, et que je n'aurais pas été si malheureux que d'être, comme je l'étais alors, entièrement dénué de toute société et de toute consolation. Ceci m'arracha de nouvelles larmes des yeux; mais ce n'était qu'un faible soulagement, et je résolus d'atteindre le navire, s'il était possible. Je me déshabillai, car la chaleur était extrême, et me mis à l'eau. Parvenu au bâtiment, la grande difficulté était de savoir comment monter à bord. Comme il posait sur terre et s'élevait à une grande hauteur hors de l'eau, il n'y avait rien à ma portée que je pusse saisir. J'en fis deux fois le tour à la nage, et, la seconde fois, j'apperçus un petit bout de cordage, que je fus étonné de n'avoir point vu d'abord, et qui pendait au porte-haubans de misaine, assez bas pour que je pusse l'atteindre, mais non sans grande difficulté. À l'aide de cette corde je me hissai sur le gaillard d'avant. Là, je vis que le vaisseau était brisé, et qu'il y avait une grande quantité d'eau dans la cale, mais qu'étant posé sur les accores d'un banc de sable ferme, ou plutôt de terre, il portait la poupe extrêmement haut et la proue si bas, qu'elle était presque à fleur d'eau; de sorte que l'arrière était libre, et que tout ce qu'il y avait dans cette partie était sec. On peut bien être assuré que ma première besogne fut de chercher à voir ce qui était avarié et ce qui était intact. Je trouvai d'abord que toutes les provisions du vaisseau étaient en bon état et n'avaient point souffert de l'eau; et me sentant fort disposé à manger, j'allai à la soute au pain où je remplis mes goussets de biscuits, que je mangeai en m'occupant à autre chose; car je n'avais pas de temps à perdre. Je trouvai aussi du rum dans la grande chambre; j'en bus un long trait, ce qui, au fait, n'était pas trop pour me donner du cœur à l'ouvrage. Alors il ne me manquait plus rien, qu'une barque pour me munir de bien des choses que je prévoyais devoir m'être fort essentielles.
Il était superflu de demeurer oisif à souhaiter ce que je ne pouvais avoir; la nécessité éveilla mon industrie. Nous avions à bord plusieurs vergues, plusieurs mâts de hune de rechange, et deux ou trois espares17 doubles; je résolus de commencer par cela à me mettre à l'œuvre, et j'élinguai hors du bord tout ce qui n'était point trop pesant, attachant chaque pièce avec une corde pour qu'elle ne pût pas dériver. Quand ceci fut fait, je descendis à côté du bâtiment, et, les tirant à moi, je liai fortement ensemble quatre de ces pièces par les deux bouts, le mieux qu'il me fut possible, pour en former un radeau. Ayant posé en travers trois ou quatre bouts de bordage, je sentis que je pouvais très-bien marcher dessus, mais qu'il ne pourrait pas porter une forte charge, à cause de sa trop grande légèreté. Je me remis donc à l'ouvrage et, avec la scie du charpentier, je coupai en trois, sur la longueur, un mât de hune, et l'ajoutai à mon radeau avec beaucoup de travail et de peine. Mais l'espérance de me procurer le nécessaire me poussait à faire bien au-delà de ce que j'aurais été capable d'exécuter en toute autre occasion.
LE RADEAU
Mon radeau était alors assez fort pour porter un poids raisonnable; il ne s'agissait plus que de voir de quoi je le chargerais, et comment je préserverais ce chargement du ressac de la mer; j'eus bientôt pris ma détermination. D'abord, je mis touts les bordages et toutes les planches que je pus atteindre; puis, ayant bien songé à ce dont j'avais le plus besoin, je pris premièrement trois coffres de matelots, que j'avais forcés et vidés, et je les descendis sur mon radeau. Le premier je le remplis de provisions, savoir: du pain, du riz, trois fromages de Hollande, cinq pièces de viande de chèvre séchée, dont l'équipage faisait sa principale nourriture, et un petit reste de blé d'Europe mis à part pour quelques poules que nous avions embarquées et qui avaient été tuées. Il y avait aussi à bord un peu d'orge et de froment mêlé ensemble; mais je m'apperçus, à mon grand désappointement, que ces grains avaient été mangés ou gâtés par les rats. Quant aux liqueurs, je trouvai plusieurs caisses de bouteilles appartenant à notre patron, dans lesquelles étaient quelques eaux cordiales; et enfin environ cinq ou six gallons d'arack; mais je les arrimai séparément parce qu'il n'était pas nécessaire de les mettre dans le coffre, et que, d'ailleurs, il n'y avait plus de place pour elles. Tandis que j'étais occupé à ceci, je remarquai que la marée, quoique très-calme, commençait à monter, et j'eus la mortification de voir flotter au large mon justaucorps, ma chemise et ma veste, que j'avais laissés sur le sable du rivage. Quant à mon haut-de-chausses, qui était seulement de toile et ouvert aux genoux, je l'avais gardé sur moi ainsi que mes bas pour nager jusqu'à bord. Quoi qu'il en soit, cela m'obligea d'aller à la recherche des hardes. J'en trouvai suffisamment, mais je ne pris que ce dont j'avais besoin pour le présent; car il y avait d'autres choses que je convoitais bien davantage, telles que des outils pour travailler à terre. Ce ne fut qu'après une longue quête que je découvris le coffre du charpentier, qui fut alors, en vérité, une capture plus profitable et d'une bien plus grande valeur, pour moi, que ne l'eût été un plein vaisseau d'or. Je le descendis sur mon radeau tel qu'il était, sans perdre mon temps à regarder dedans, car je savais, en général, ce qu'il contenait.
Je pensai ensuite aux munitions et aux armes; il y avait dans la grande chambre deux très-bons fusils de chasse et deux pistolets; je les mis d'abord en réserve avec quelques poires à poudre, un petit sac de menu plomb et deux vieilles épées rouillées. Je savais qu'il existait à bord trois barils de poudre mais j'ignorais où notre canonnier les avait rangés; enfin je les trouvai après une longue perquisition. Il y en avait un qui avait été mouillé; les deux autres étaient secs et en bon état, et je les mis avec les armes sur mon radeau. Me croyant alors assez bien chargé, je commençai à songer comment je devais conduire tout cela au rivage; car je n'avais ni voile, ni aviron, ni gouvernail, et la moindre bouffée de vent pouvait submerger mon embarcation.
Trois choses relevaient mon courage: 1º une mer calme et unie; 2º la marée montante et portant à la terre; 3º le vent, qui tout faible qu'il était, soufflait vers le rivage. Enfin, ayant trouvé deux ou trois rames rompues appartenant à la chaloupe, et deux scies, une hache et un marteau, en outre des outils qui étaient dans le coffre, je me mis en mer avec ma cargaison. Jusqu'à un mille, ou environ, mon radeau alla très-bien; seulement je m'apperçus qu'il dérivait un peu au-delà de l'endroit où d'abord j'avais pris terre. Cela me fit juger qu'il y avait là un courant d'eau, et me fit espérer, par conséquent, de trouver une crique ou une rivière dont je pourrais faire usage comme d'un port, pour débarquer mon chargement.
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