Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre

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Le vicomte de Bragelonne, Tome I. - Dumas Alexandre

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mais du premier coup d'oeil il vit le découragement écrit en lettres sombres sur le front de son cousin.

      Alors, prenant la parole le premier, comme pour faciliter à Louis l'aveu pénible qu'il avait à lui faire:

      – Quoi qu'il en soit, dit-il, je n'oublierai jamais toute la bonté, toute l'amitié dont vous avez fait preuve à mon égard.

      – Hélas! répliqua sourdement Louis XIV, bonne volonté stérile, mon frère!

      Charles II devint extrêmement pâle, passa une main froide sur son front, et lutta quelques instants contre un éblouissement qui le fit chanceler.

      – Je comprends, dit-il enfin, plus d'espoir!

      Louis saisit la main de Charles II.

      – Attendez, mon frère, dit-il, ne précipitez rien, tout peut changer; ce sont les résolutions extrêmes qui ruinent les causes; ajoutez, je vous en supplie, une année d'épreuve encore aux années que vous avez déjà subies. Il n'y a, pour vous décider à agir en ce moment plutôt qu'en un autre, ni occasion ni opportunité; venez avec moi, mon frère, je vous donnerai une de mes résidences, celle qu'il vous plaira d'habiter; j'aurai l'oeil avec vous sur les événements, nous les préparerons ensemble; allons, mon frère, du courage!

      Charles II dégagea sa main de celle du roi, et se reculant pour le saluer avec plus de cérémonie:

      – De tout mon coeur, merci, répliqua-t-il, Sire, mais j'ai prié sans résultat le plus grand roi de la terre, maintenant je vais demander un miracle à Dieu.

      Et il sortit sans vouloir en entendre davantage, le front haut, la main frémissante, avec une contraction douloureuse de son noble visage, et cette sombre profondeur du regard qui, ne trouvant plus d'espoir dans le monde des hommes, semble aller au-delà en demander à des mondes inconnus.

      L'officier des mousquetaires, en le voyant ainsi passer livide, s'inclina presque à genoux pour le saluer.

      Il prit ensuite un flambeau, appela deux mousquetaires et descendit avec le malheureux roi l'escalier désert, tenant à la main gauche son chapeau, dont la plume balayait les degrés.

      Arrivé à la porte, l'officier demanda au roi de quel côté il se dirigeait, afin d'y envoyer les mousquetaires.

      – Monsieur, répondit Charles II à demi-voix, vous qui avez connu mon père, dites-vous, peut-être avez-vous prié pour lui? Si cela est ainsi, ne m'oubliez pas non plus dans vos prières. Maintenant je m'en vais seul, et vous prie de ne point m'accompagner ni de me faire accompagner plus loin.

      L'officier s'inclina et renvoya ses mousquetaires dans l'intérieur du palais.

      Mais lui demeura un instant sous le porche pour voir Charles II s'éloigner et se perdre dans l'ombre de la rue tournante.

      – À celui-là, comme autrefois à son père, murmura-t-il, Athos, s'il était là, dirait avec raison: «Salut à la Majesté tombée!»

      Puis, montant les escaliers:

      – Ah! le vilain service que je fais! dit-il à chaque marche. Ah! le piteux maître! La vie ainsi faite n'est plus tolérable, et il est temps enfin que je prenne mon parti!.. Plus de générosité, plus d'énergie! continua-t-il.

      «Allons, le maître a réussi, l'élève est atrophié pour toujours. Mordioux! je n'y résisterai pas. Allons, vous autres, continua-t- il en entrant dans l'antichambre, que faites-vous là à me regarder ainsi? Éteignez ces flambeaux et rentrez à vos postes! Ah! vous me gardiez? Oui, vous veillez sur moi, n'est-ce pas, bonnes gens? Braves niais! je ne suis pas le duc de Guise, allez, et l'on ne m'assassinera pas dans le petit couloir. D'ailleurs, ajouta-t-il tout bas, ce serait une résolution, et l'on ne prend plus de résolutions depuis que M. le cardinal de Richelieu est mort. Ah! à la bonne heure, c'était un homme, celui-là! C'est décidé, dès demain je jette la casaque aux orties!

      Puis, se ravisant:

      – Non, dit-il, pas encore! J'ai une superbe épreuve à faire, et je la ferai; mais celle-là, je le jure, ce sera la dernière, mordioux!

      Il n'avait pas achevé, qu'une voix partit de la chambre du roi.

      – Monsieur le lieutenant! dit cette voix.

      – Me voici, répondit-il.

      – Le roi demande à vous parler.

      – Allons, dit le lieutenant, peut-être est-ce pour ce que je pense. Et il entra chez le roi.

      Chapitre XII – Le roi et le lieutenant

      Lorsque le roi vit l'officier près de lui, il congédia son valet de chambre et son gentilhomme.

      – Qui est de service demain, monsieur? demanda-t-il alors. Le lieutenant inclina la tête avec une politesse de soldat et répondit:

      – Moi, Sire.

      – Comment, encore vous?

      – Moi toujours.

      – Comment cela se fait-il, monsieur?

      – Sire, les mousquetaires, en voyage, fournissent tous les postes de la maison de Votre Majesté, c'est-à-dire le vôtre, celui de la reine mère et celui de M. le cardinal, qui emprunte au roi la meilleure partie ou plutôt la plus nombreuse partie de sa garde royale.

      – Mais les intérims?

      – Il n'y a d'intérim, Sire, que pour vingt ou trente hommes qui se reposent sur cent vingt. Au Louvre, c'est différent, et si j'étais au Louvre, je me reposerais sur mon brigadier; mais en route, Sire, on ne sait ce qui peut arriver et j'aime assez faire ma besogne moi-même.

      – Ainsi, vous êtes de garde tous les jours?

      – Et toutes les nuits, oui, Sire.

      – Monsieur, je ne puis souffrir cela, et je veux que vous vous reposiez.

      – C'est fort bien, Sire, mais moi, je ne le veux pas.

      – Plaît-il? fit le roi, qui ne comprit pas tout d'abord le sens de cette réponse.

      – Je dis, Sire, que je ne veux pas m'exposer à une faute. Si le diable avait un mauvais tour à me jouer, vous comprenez, Sire, comme il connaît l'homme auquel il a affaire, il choisirait le moment où je ne serais point là. Mon service avant tout et la paix de ma conscience.

      – Mais à ce métier-là, monsieur, vous vous tuerez.

      – Eh! Sire, il y a trente-cinq ans que je le fais, ce métier-là, et je suis l'homme de France et de Navarre qui se porte le mieux. Au surplus, Sire, ne vous inquiétez pas de moi, je vous prie; cela me semblerait trop étrange, attendu que je n'en ai pas l'habitude.

      Le roi coupa court à la conversation par une question nouvelle.

      – Vous serez donc là demain matin? demanda-t-il.

      – Comme à présent, oui, Sire.

      Le roi fit alors quelques tours dans sa chambre; il était facile de voir qu'il brûlait du désir de parler, mais qu'une crainte quelconque le retenait. Le lieutenant, debout, immobile, le feutre à

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