Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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point été ainsi s'il avait été réellement amoureux. Un grand désespoir ne lui eût guère permis d'aller chercher une distraction au bal masqué, et s'il n'était point allé au bal masqué, aucun des événements qui s'étaient succédé d'une manière si rapide et si inattendue n'aurait eu son développement, n'ayant pas eu son point de départ. Le résultat de tout cela fut que le chevalier resta convaincu qu'il était parfaitement incapable d'une grande passion, et qu'il était seulement destiné à se rendre coupable envers les femmes d'une foule de ces charmantes scélératesses qui mettaient à cette époque un jeune seigneur à la mode. En conséquence, il se leva, fit dans sa chambre trois tours d'un air conquérant, poussa un profond soupir en pensant à quelle époque éloignée étaient probablement remis ces beaux projets, et revint à pas lents de sa glace à son fauteuil.

      Pendant le trajet, il s'aperçut que la fenêtre en face de la sienne, une heure auparavant si hermétiquement fermée, était enfin toute grande ouverte. Il s'arrêta par un mouvement machinal, écarta son rideau, et plongea les yeux dans l'appartement qu'on livrait ainsi à son investigation.

      C'était une chambre, selon toute apparence, occupée par une femme. Près de la croisée, sur laquelle une charmante petite levrette blanche et café au lait appuyait, en regardant curieusement dans la rue, ses deux pattes fines et élégantes, était un métier à broder. Au fond, en face de la fenêtre, un clavecin tout ouvert se reposait entre deux harmonies. Quelques pastels, encadrés dans des cadres de bois noir relevé d'un petit filet d'or, étaient appendus aux murs recouverts d'un papier perse, et des rideaux d'indienne du même dessin que le papier retombaient derrière ces autres rideaux de mousseline si scrupuleusement appliqués aux carreaux. Par la seconde fenêtre entrebâillée, on apercevait les rideaux d'une alcôve qui probablement renfermait un lit. Le reste du mobilier était parfaitement simple, mais d'une harmonie charmante, qui était due évidemment, non pas à la fortune, mais au goût de la modeste habitante de ce petit réduit. Une vieille femme balayait, époussetait et rangeait, profitant de l'absence de la maîtresse du logis pour faire cette besogne de ménage; car on ne voyait qu'elle dans la chambre, et cependant il était clair que ce n'était pas elle qui l'habitait.

      Tout à coup la physionomie de la levrette, dont les grands yeux avaient erré jusque-là de tous côtés avec l'insouciance aristocratique particulière à cet animal, parut s'animer; elle pencha la tête dans la rue, puis, avec une légèreté et une adresse miraculeuses, elle sauta sur le rebord de la fenêtre et s'assit en dressant les oreilles et en levant une de ses pattes de devant. Le chevalier comprit alors à ces signes que la locataire de la petite chambre s'approchait; il ouvrit aussitôt sa croisée. Malheureusement, il était déjà trop tard, la rue était solitaire. Au même moment la levrette sauta de la fenêtre dans l'appartement, et courut à la porte. D'Harmental en augura que la jeune dame montait l'escalier, et, pour la voir plus à son aise, il se rejeta en arrière et se cacha au moyen de son rideau; mais la vieille femme vint à la fenêtre et la referma. Le chevalier ne s'attendait pas à ce dénouement, aussi en fut-il d'abord tout désappointé; il referma sa fenêtre à son tour, et revint étendre ses pieds sur ses chenets.

      La chose n'était pas fort distrayante, et ce fut alors que le chevalier, si répandu et si occupé habituellement de toutes ces petites choses de société qui deviennent le fond de la vie pour un homme du monde, sentit dans quel isolement il allait se trouver pour peu que sa retraite se prolongeât. Il se souvint qu'autrefois aussi il avait joué du clavecin et dessiné, et il lui sembla que, s'il avait la moindre épinette et quelques pastels, il prendrait le temps en patience. Il sonna le concierge et lui demanda où l'on pourrait se procurer ces objets. Le concierge répondit que tout surcroît de meubles était naturellement au compte du locataire, et que s'il voulait un clavecin il lui faudrait le louer; que, quant aux pastels, on en trouvait chez le papetier dont la boutique faisait le coin de la rue de Cléry et de la rue du Gros-Chenet.

      D'Harmental donna un double louis au concierge, et lui signifia que dans une demi-heure il désirait avoir une épinette, et tout ce qu'il lui fallait pour dessiner. Le double louis était un argument dont il avait senti plus d'une fois l'efficacité. Cependant, se reprochant de l'avoir employé cette fois avec une légèreté qui donnait un démenti à sa position apparente, il rappela le concierge et lui dit qu'il entendait bien, pour son double louis, avoir non seulement papier et pastel, mais encore la location du clavecin payée pour un mois. Le concierge répondit qu'à la rigueur, et parce qu'il marchanderait comme pour lui-même, la chose était possible, mais que bien certainement il lui faudrait payer le transport. D'Harmental y consentit. Une demi heure après, il était en possession des objets demandés, tant Paris était déjà une ville merveilleuse pour tout enchanteur qui avait une baguette d'or.

      Le concierge, en redescendant, dit à sa femme que si le jeune homme du quatrième ne regardait pas de plus près à son argent, il pourrait bien ruiner sa famille; et il lui montra deux écus de six francs qu'il avait économisés sur le double louis de leur locataire. La femme prit les deux écus des mains de son mari, en l'appelant ivrogne, et elle les serra dans un sac de peau caché sous un amas de vieilles nippes, en déplorant le malheur des pères et mères qui se saignent pour de pareils garnements.

      Ce fut l'oraison funèbre du double louis du chevalier

      Chapitre 10

      Pendant ce temps, D'Harmental s'était assis devant son épinette, et tapait dessus de son mieux; le marchand y avait mis une sorte de conscience et lui avait envoyé un instrument à peu près d'accord, de sorte que le chevalier s'aperçut qu'il faisait merveille, et commença à croire qu'il était né avec le génie de la musique, et qu'il ne lui avait manqué jusqu'alors qu'une circonstance comme celle où il se trouvait pour que ce génie se développât. Sans doute il y avait quelque chose de vrai au fond de tout cela, car au milieu d'une trille des plus éblouissantes, il vit, de l'autre coté de la rue, cinq petits doigts qui soulevaient délicatement le rideau pour reconnaître d'où venait cette harmonie inaccoutumée. Malheureusement, à la vue de ces petits doigts, le chevalier oublia sa musique, se retourna vivement sur son tabouret dans l'espérance d'apercevoir une figure derrière la main. Cette manœuvre, mal calculée le perdit. La maîtresse de la petite chambre surprise en flagrant délit de curiosité, laissa retomber le rideau. D'Harmental, blessé de cette pruderie, s'en alla fermer sa fenêtre, et pendant, tout le reste de la journée il bouda sa voisine.

      La soirée se passa à dessiner, à lire et à jouer du clavecin. Le chevalier n'aurait jamais cru qu'il y avait tant de minutes dans une heure, et tant d'heures dans un jour. À dix heures du soir, il sonna le concierge afin de lui donner ses ordres pour le lendemain. Mais le concierge ne répondit pas: il était couché depuis longtemps. Madame Denis avait dit vrai: sa maison était une maison tranquille. D'Harmental apprit alors qu'il y avait des gens qui se mettaient au lit au moment où il avait l'habitude de monter en voiture pour commencer ses visites. Cela lui donna fort à penser sur les mœurs étranges de cette classe infortunée de la société qui, ne connaissait ni l'Opéra ni les petits soupers, et qui dormait la nuit et veillait le jour. Il pensa qu'il fallait venir dans la rue du Temps-Perdu pour voir de pareilles choses, et il se promit bien d'en égayer ses amis quand il pourrait leur raconter cette singularité.

      Cependant une chose lui fit plaisir, c'est que sa voisine veillait comme lui: cela indiquait en elle un esprit supérieur à celui des vulgaires habitants de la rue du Temps-Perdu. D'Harmental croyait encore que l'on ne veillait que parce qu'on n'avait pas envie de dormir ou parce que l'on avait envie de s'amuser. Il oubliait ceux qui veillent parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement.

      À minuit, la lumière s'éteignit dans la chambre en face, et d'Harmental à son tour se décida à se coucher.

      Le lendemain, à huit heures, l'abbé Brigaud était chez lui; il présenta à Harmental le second rapport de la police secrète du prince de Cellamare.

      Celui-ci était conçu en ces termes:

      «Trois heures du matin.

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