Le capitaine Paul. Dumas Alexandre
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La première fois que je revis Porcher.
– À propos, me dit-il, faut-il que je vous renvoie votre Capitaine Paul?
– Pourquoi cela, Porcher?
– Ne paraît-il pas dans le Siècle?
– En roman, Porcher, pas en drame.
– C'est que, lorsqu'il aura paru en roman il sera bien plus difficile à placer encore que lorsqu'il était inédit.
Pauvre Capitaine Paul! voyez dans quelle situation fâcheuse il était.
– Difficile à placer! au contraire, dis-je à Porcher, cela le fera connaître.
Porcher secoua la tête.
– Porcher, écoutez bien ce que vous dit Nostradamus. Il y aura une époque où les libraires ne voudront éditer que des livres déjà publiés dans les journaux. Et où les directeurs ne voudront jouer que des drames tirés de romans.
Porcher secoua une seconde fois la tête, mais bien plus fort que la première fois.
Je quittai Porcher.
Le Capitaine Paul inaugura au Siècle, la série de succès que nous obtînmes depuis avec le Chevalier d'Harmental, les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et le Vicomte de Bragelonne.
Succès si grands, que le Siècle, jugeant que je n'en aurais plus jamais de pareils, alla, après la publication de Vingt ans après, porter à Scribe un traité, où la somme était restée en blanc.
Scribe se contenta de demander, par volume, deux mille francs de plus que moi.
Perrée trouva la prétention si modeste, qu'il signa à l'instant même.
Scribe publia Piquillo Alliaga.
Revenons au Capitaine Paul.
Malgré le succès du Capitaine Paul en roman, les directeurs ne mordaient pas au drame.
Porcher triomphait.
Chaque fois que je rencontrais Porcher:
– Eh bien, disait-il, le Capitaine Paul?
– Attendez, lui disais-je.
– Vous voyez bien que j'attends, me répondait-il.
En 1838, une grande douleur me fit quitter Paris et chercher la solitude aux bords du Rhin.
J'étais à Francfort, je reçus une lettre d'un de mes amis, qui m'écrivait:
«Mon cher Dumas, «On vient de jouer votre Capitaine Paul au Panthéon; est-ce de votre consentement?
«Si c'est de votre consentement, comment l'avez-vous donné?
«Si ce n'est pas de votre consentement… comment le souffrez- vous?
«Un mot et je me charge d'arrêter ce scandale.
«À vous.
«J. D.
«On ajoute que, comme personne ne veut croire que la pièce soit de vous, le manuscrit original est exposé dans le foyer.»
Je ne répondis même pas.
Que m'importait le Capitaine Paul, mon Dieu! Que m'importait la hiérarchie théâtrale: Panthéon ou Comédie-Française!
Il en résulta que le Capitaine Paul continua le cours de ses représentations sans être inquiété le moins du monde, et que mes amis éplorés levèrent en choeur les bras au ciel en disant:
– Pauvre Dumas! il en est réduit à faire jouer ses pièces au Panthéon.
Je puis dire que, s'il y a un homme qui fut plaint hautement, c'est moi.
J'étais plus qu'usé, j'étais passé; j'étais plus que passé, j'étais trépassé.
Personne n'avait songé à me plaindre pour l'irréparable perte que j'avais faite.
J'avais perdu ma mère.
Tout le monde me plaignait parce que ma pièce avait été jouée au Panthéon.
O mon Dieu! quel admirable caractère vous m'avez donné, que je ne suis pas devenu plus misanthrope que le misanthrope, plus Alceste qu'Alceste, plus Timon que Timon!
Je revins à Paris.
On ne jouait plus le Capitaine Paul. Il avait eu quelque chose comme soixante représentations.
Mais on en parlait toujours.
Jamais la littérature contemporaine n'avait eu le coeur si pitoyable.
Porcher me croyait furieux contre lui.
Enfin il se décida à venir me voir.
Je le reçus comme d'habitude, le coeur, la main et le visage ouverts.
– Vous n'êtes donc point fâché contre moi? dit-il.
– Pourquoi cela, Porcher?
– Mais à cause du Capitaine Paul.
Je haussai les épaules.
– Je vais vous expliquer cela, me dit Porcher.
– Quoi?
– Comment la pièce a été jouée au Panthéon?
– Inutile.
– Si fait.
– Vous y tenez?
– Oui, mon cher: une bonne action que vous faisiez sans vous en douter.
– Tant mieux, Porcher! Dieu me tiendra peut-être compte de celle- là.
– Vous savez que c'est Théodore Nezel qui est directeur du Panthéon?
– Votre gendre?
– Oui.
– Je ne le savais pas.
– Eh bien, le théâtre ne faisait pas d'argent; mon gendre ne savait où donner de la tête; je lui ai dit: Ma foi, tiens, Nezel, j'ai là une pièce de Dumas, essayes-en. – Mais Dumas? – Quand Dumas saura que sa pièce a peut-être sauvé une famille, il sera le premier à me dire que j'ai bien fait. – Cependant, si on lui écrivait? – Cela prendrait du temps, et tu dis que tu es pressé. d'ailleurs je ne sais pas où il est. – Vous répondez de tout? – Je réponds de tout.» Alors Nezel a emporté la pièce; elle a été bien montée, bien jouée; elle a eu un énorme succès; enfin elle a donné