Georges. Dumas Alexandre
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Il s'appelait Antonio, et était né à Tingoram; de sorte que, pour le distinguer des autres Antonio, que la confusion eût sans doute blessés, on l'appelait généralement Antonio le Malais.
La berloque était donc assez triste comme nous l'avons dit, lorsque Antonio, qui s'était glissé, sans être vu, jusque derrière un des poteaux qui soutiennent le hangar, allongea sa tête jaune et bilieuse, et poussa un petit sifflement pareil à celui que fait entendre le serpent à capuchon, un des reptiles les plus terribles de la presqu'île Malate. Ce cri, poussé dans les plaines de Ténassérim, dans les marais de Java, ou les sables de Quiloa, eût glacé de terreur quiconque l'eût entendu; mais, à l'île de France où, à part les requins qui nagent par bandes sur les côtes, on ne peut citer aucun animal nuisible, ce cri ne produisit d'autre effet que de faire ouvrir à la noire assemblée de grands yeux et de grandes bouches; puis, comme dirigées par le son, toutes les têtes s'étaient retournées vers le nouvel arrivant; un seul cri partit de toutes les bouches:
– Antonio le Malais! Vive Antonio!
Deux ou trois nègres tressaillirent et se levèrent à demi; c'étaient des Malgaches, des Yoloffs, des Anghebars, qui, dans leur jeunesse, avaient entendu ce sifflement, et qui ne l'avaient pas oublié.
Un d'eux se dressa même tout à fait: c'était un beau jeune noir, qu'on eût pris, sans sa couleur, pour un enfant de la plus belle race caucasique. Mais à peine eût-il reconnu la cause du bruit qui l'avait tiré de sa rêverie, qu'il se recoucha en murmurant avec un mépris égal à la joie des autres esclaves:
– Antonio le Malais!
Antonio, en trois bonds de ses longues jambes, se trouva assis au milieu du cercle; puis, sautant par-dessus le foyer, il retomba de l'autre côté, assis à la manière des tailleurs.
– Une chanson, Antonio! une chanson! crièrent toutes les voix.
Au contraire des virtuoses sûrs de leurs effets, Antonio ne se fit pas prier; il fit sortir de son langouti une guimbarde, porta l'instrument à sa bouche, en tira quelques sons préparatoires en manière de prélude; puis, accompagnant les paroles de gestes grotesques et analogues au sujet, il chanta la chanson suivante:
Moi resté dans un p'tit la caze,
Qu'il faut baissé moi pour entré;
Mon la tête touché son faitaze,
Quand mon li pié touché plancé.
Moi té n'a pas besoin lumière,
Le soir, quand moi voulé dormi;
Car, pour moi trouvé lune claire,
N'a pas manqué trous, Dié merci!
Mon lit est un p'tit natt' malgace,
Mon l'oreillé morceau bois blanc,
Mon gargoulette un' vié calbasse,
Où moi met l'arak, zour de l'an.
Quand mon femm' pour faire p'tit ménaze,
Sam'di comme ça vini soupé,
Moi fair' cuir, dans mon p'tit la caze,
Banane sous la cend' grillé.
A mon coffre n'a pas serrure,
Et jamais moi n'a fermé li.
Dans bambou comm' ça sans ferrure,
Qui va cherché mon langouti?
Mais dimanch' si gagné zournée,
Moi l'achète un morceau d'tabac,
Et tout la s'maine, moi fais fumée,
Dans grand pipe, à moi carouba.
Il faudrait que le lecteur eût vécu au milieu de cette race d'hommes simples et primitifs, pour qui tout est matière à sensation, pour avoir une idée, malgré la pauvreté des rimes et la simplicité des idées, de l'effet produit par la chanson d'Antonio. À la fin du premier et du second couplet, il y avait eu des rires et des applaudissements. À la fin du troisième, il y eut des cris, des vivats, des hourras. Seul, le jeune nègre, qui avait manifesté son mépris pour Antonio, haussa les épaules avec une grimace de dégoût.
Quant à Antonio, au lieu de jouir de son triomphe comme on aurait pu le croire, et de se rengorger au bruit des applaudissements, il appuya ses coudes sur ses genoux, laissa tomber sa tête dans ses mains, et parut se livrer à une profonde méditation. Or, comme Antonio était le boute-en-train obligé, avec le silence d'Antonio la tristesse revint de nouveau s'emparer de l'assemblée. On le pria alors de conter quelque histoire ou de chanter une autre chanson. Mais Antonio fit la sourde oreille, et les demandes les plus instantes n'obtinrent d'autre réponse que ce silence incompréhensible et obstiné.
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