Le Rhin, Tome I. Victor Hugo

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Le Rhin, Tome I - Victor Hugo

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à coup sûr surabondantes pour lui et qu'il lui parût presque ridicule de les prendre. De cette façon, il a pu recueillir ses notes à son aise et en toute liberté, sans que rien gênât sa curiosité ou sa méditation dans cette promenade de fantaisie qui, nous croyons l'avoir suffisamment indiqué, admet pleinement le hasard des auberges et des tables d'hôte, et s'accommode aussi volontiers de la patache que de la chaise de poste, de la banquette des diligences que de la tente des bateaux à vapeur.

      Quant à l'Allemagne, qui est à ses yeux la collaboratrice naturelle de la France, il croit, dans les considérations qu'il en a données dans cet ouvrage, l'avoir appréciée justement et l'avoir vue telle qu'elle est. Qu'aucun lecteur ne s'arrête à deux ou trois mots semés çà et là dans ces lettres, et maintenus par scrupule de sincérité; l'auteur proteste énergiquement contre toute intention d'ironie. L'Allemagne, il ne le cache pas, est une des terres qu'il aime et une des nations qu'il admire. Il a presque un sentiment filial pour cette noble et sainte patrie de tous les penseurs. S'il n'était pas Français, il voudrait être Allemand.

      L'auteur ne croit pas devoir achever cette note préliminaire sans entretenir les lecteurs d'un dernier scrupule qui lui est survenu. Au moment où l'impression de ce livre se terminait, il s'est aperçu que des événements tout récents, et qui, à l'instant même où nous sommes, occupent encore Paris, semblaient donner la valeur d'une application directe à certain passage que l'on trouvera plus loin. Or, l'auteur ayant toujours eu plutôt pour but de calmer que d'irriter, il se demanda s'il n'effacerait pas ces deux lignes. Après réflexion, il s'est décidé à les maintenir. Il suffit d'examiner la date où ces lignes ont été écrites pour reconnaître que, s'il y avait à cette époque-là quelque chose dans l'esprit de l'auteur, c'était peut-être une prévision, ce n'était pas, à coup sûr, et ce ne pouvait être une application. Si l'on se reporte aux faits généraux de notre temps, on verra que cette prévision a pu en résulter, même dans la forme précise que le hasard lui a donnée. En admettant que ces deux lignes aient un sens, ce ne sont pas elles qui sont venues se superposer aux événements, ce sont les événements qui sont venus se ranger sous elles. Il n'est pas d'écrivain un peu réfléchi auquel cela ne soit arrivé. Quelquefois, à force d'étudier le présent, on rencontre quelque chose qui ressemble à l'avenir. Il a donc laissé ces deux lignes à leur place, de même qu'il s'était déjà déterminé à laisser dans le recueil intitulé les Feuilles d'automne, les vers intitulés Rêverie d'un passant à propos d'un roi, petit poëme écrit en juin 1830, qui annonce la Révolution de juillet.

      Pour ce qui est de ces deux volumes en eux-mêmes, l'auteur n'a plus rien à en dire. S'ils ne se dérobaient par leur peu de valeur à l'honneur des assimilations et des comparaisons, l'auteur ne pourrait s'empêcher de faire remarquer que cet ouvrage, qui a un fleuve pour sujet, s'est, par une coïncidence bizarre, produit lui-même tout spontanément et tout naturellement à l'image d'un fleuve. Il commence comme un ruisseau; traverse un ravin près d'un groupe de chaumières, sous un petit pont d'une arche; côtoie l'auberge dans le village, le troupeau dans le pré, la poule dans le buisson, le paysan dans le sentier; puis il s'éloigne; il touche un champ de bataille, une plaine illustre, une grande ville; il se développe, il s'enfonce dans les brumes de l'horizon, reflète des cathédrales, visite des capitales, franchit des frontières, et, après avoir réfléchi les arbres, les champs, les étoiles, les églises, les ruines, les habitations, les barques et les voiles, les hommes et les idées, les ponts qui joignent deux villages et les ponts qui joignent deux nations, il rencontre enfin, comme le but de sa course et le terme de son élargissement, le double et profond océan du présent et du passé, la politique et l'histoire.

Paris, janvier 1842.

      LETTRE I

      DE PARIS A LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE

      Départ de Paris. – Le coteau de S. – P. – Prouesses des démolisseurs. – Nanteuil-le-Haudoin. – Villers-Cotterets. – Les 1600 curiosités de Dammartin. – Dieu offre la diligence à qui perd son cabriolet. – La Ferté-sous-Jouarre. – Un épicier héritier du duc de Saint-Simon. – Aspect de la campagne. – Le voyageur raconte ses goûts. – Le bossu et le gendarme. – Pourquoi un homme est un brave. – Pourquoi le même homme est un lâche. – La peau et l'habit. – 1814 et 1830. – Meaux. – Un fort bel escalier. – La cathédrale de Bossuet. – Meaux a eu un théâtre avant Paris. – Pourquoi les gens de Meaux ont pendu le diable. – Comment une reine s'y prend pour faire entrer un roi dans le paradis.

La Ferté-sous-Jouarre, juillet 1838.

      C'est avant-hier matin, vers onze heures, comme je vous l'ai écrit, mon ami, que j'ai quitté Paris. Je suis sorti par la route de Meaux, et j'ai laissé à ma gauche Saint-Denis, Montmorency, et tout à l'extrémité des collines le coteau de S. – P. Je vous ai donné dans ce moment-là une bonne et tendre pensée à tous; et j'ai tenu mes regards fixés sur cette petite ampoule obscure au fond de la plaine, jusqu'à l'instant où un tournant du chemin me l'a brusquement cachée.

      Vous connaissez mon goût pour les grands voyages à petites journées, sans fatigue, sans bagage, en cabriolet, seul avec mes vieux amis d'enfance, Virgile et Tacite. Vous voyez donc d'ici mon équipage.

      J'ai pris le chemin de Châlons, car je connais la route de Soissons pour l'avoir suivie il y a quelques années; et, grâce aux démolisseurs, elle n'a aujourd'hui qu'un médiocre intérêt. Nanteuil-le-Haudouin a perdu son château bâti sous François Ier. Villers-Cotterets a converti en dépôt de mendicité le magnifique manoir du duc de Valois, et là, comme presque partout, sculptures et peintures, tout l'esprit de la renaissance, toute la grâce du seizième siècle, a honteusement disparu sous la racloire et le badigeon. Dammartin a rasé son énorme tour du haut de laquelle on voyait Montmartre distinctement, à neuf lieues de distance, et dont la grande lézarde verticale avait fait naître ce proverbe que je n'ai jamais bien compris: Il est comme le château de Dammartin qui crève de rire. Aujourd'hui, veuf de sa vieille bastille dans laquelle l'évêque de Meaux, quand il était en querelle avec le comte de Champagne, avait le droit de se réfugier avec sept personnes de sa suite, Dammartin n'engendre plus de proverbes et ne donne plus lieu qu'à des notes littéraires du genre de celle-ci, que j'ai copiée textuellement, à l'époque où j'y passai, dans je ne sais plus quel petit livre local étalé sur la table de l'auberge:

      «Dammartin (Seine-et-Marne), petite ville sur une colline. On y fabrique de la dentelle. Hôtel: Sainte-Anne. Curiosités: l'église paroissiale, la halle, seize cents habitants.»

      Le peu de temps accordé pour dîner par ce tyran des diligences appelé «le conducteur» ne me permit pas alors de vérifier jusqu'à quel point il était vrai que les seize cents habitants de Dammartin fussent tous des curiosités.

      J'ai donc pris par Meaux.

      Entre Claye et Meaux, par le plus beau temps et le plus beau chemin du monde, la roue de mon cabriolet a cassé. Vous savez que je suis de ces hommes qui continuent leur route; le cabriolet renonçait à moi, j'ai renoncé au cabriolet. Justement une petite diligence passait, la diligence Touchard. Elle n'avait plus qu'une place vacante, je l'ai prise; et dix minutes après l'accident, je «continuais ma route» juché sur l'impériale entre un bossu et un gendarme.

      Me voici en ce moment à la Ferté-sous-Jouarre, jolie petite ville que je revois pour la quatrième fois bien volontiers avec ses trois ponts, ses charmantes îles, son vieux moulin au milieu de la rivière qui se rattache à la terre par cinq arches, et son beau pavillon du temps de Louis XIII, qui a appartenu, dit-on, au duc de Saint-Simon, et qui aujourd'hui se déforme entre les mains d'un épicier.

      Si en effet M. de Saint-Simon a possédé ce vieux logis, je doute que son manoir natal de la Ferté-Vidame eût une mine plus seigneuriale et plus fière, et fût mieux fait pour encadrer sa hautaine figure de duc et pair, que le charmant et sévère châtelet

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