Le Rhin, Tome IV. Victor Hugo

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Le Rhin, Tome IV - Victor Hugo

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l'église Saint-Jean, étaient dans toute leur beauté; l'enceinte de tours était intacte et complète. Il y en avait treize, sans compter le château et sans compter les deux hautes tours sur lesquelles s'appuyait cet étrange et magnifique pont suspendu sur le Rhin que notre Oudinot fit sauter le 13 avril 1799, avec cette ignorance et cette insouciance des chefs-d'œuvre qui n'est pardonnable qu'aux héros. Enfin, hors de la cité, au delà de la porte-donjon qui va vers la forêt Noire, dans la montagne, sur une éminence, à côté d'une chapelle, on distinguait au loin, dans la brume de l'horizon, un hideux petit édifice de charpente et de pierre, – le gibet. Au moyen âge, et même il n'y a pas plus de cent ans, dans toute commune souveraine, une potence convenablement garnie était une chose élégante et magistrale. La cité ornée de son gibet, le gibet orné de son pendu. Cela signifiait ville libre.

      J'avais grand'faim, il était tard; j'ai commencé par dîner. On m'a apporté un dîner français, servi par un garçon français, avec une carte en français. Quelques originalités, sans doute involontaires, se mêlaient, non sans grâce, à l'orthographe de cette carte. Comme mes yeux erraient parmi ces riches fantaisies du rédacteur local, cherchant à compléter mon dîner, au-dessous de ces trois lignes:

      Haumelette au chantpinnions,

      Biffeteque au craison,

      Hépole d'agnot au laidgume,

      je suis tombé sur ceci.

      Calaïsche à la choute, – 10 francs.

      Pardieu! me suis-je dit, voilà un mets du pays: calaïsche à la choute. Il faut que j'en goûte. Dix francs! cela doit être quelque raffinement propre à la cuisine de Schaffhouse. J'appelle le garçon. – Monsieur, une calaïsche à la choute. Ici le dialogue s'engage en français. Je vous ai dit que le garçon parlait français.

      – Vort pien, monsir. Temain matin.

      – Non, dis-je, tout de suite.

      – Mais, monsir, il est pien tard.

      – Qu'est-ce que cela fait?

      – Mais il sera nuit tans eine hère.

      – Eh bien?

      – Mais monsir ne bourra bas foir.

      – Voir! voir quoi? Je ne demande pas à voir.

      – Che ne gombrends bas monsir.

      – Ah çà! c'est donc bien beau à regarder, votre calaïsche à la choute?

      – Vort peau, monsir, atmiraple, manifigue!

      – Eh bien, vous m'allumerez quatre chandelles tout autour.

      – Guadre jantelles! Monsir choue. (Lisez: Monsieur joue.) Che ne gombrends bas.

      – Pardieu! ai-je repris avec quelque impatience, je me comprends bien, moi, j'ai faim. Je veux manger.

      – Mancher gouoi?

      – Manger votre calaïsche.

      – Notre calaïsche?

      – Votre choute.

      – Notre choute! mancher notre choute! Monsir choue. Mancher la choute ti Rhin!

      Ici je suis parti d'un éclat de rire. Le pauvre diable de garçon ne comprenait plus, et moi, je venais de comprendre. J'avais été le jouet d'une hallucination produite sur mon cerveau par l'orthographe éblouissante de l'aubergiste. Calaïsche à la choute signifiait calèche à la chute. En d'autres termes, après vous avoir offert à dîner, la carte vous offrait complaisamment une calèche pour aller voir la chute du Rhin à Laufen, moyennant dix francs.

      Me voyant rire, le garçon m'a pris pour un fou, et s'en est allé en grommelant: – Mancher la choute! églairer la choute ti Rhin afec guadre jantelles! Ce monsir choue.

      J'ai retenu pour demain matin une calaïsche à la choute.

      LETTRE XXXVIII

      LA CATARACTE DU RHIN

      Écrit sur place. – Arrivée. – Le château de Laufen. – La cataracte. – Aspect. Détails. – Causerie du guide. – L'enfant. – Les stations. – D'où l'on voit le mieux. – L'auteur s'adosse au rocher. – Un décor. – Une signature et un parafe. – Le jour baisse. – L'auteur passe le Rhin. – Le Rhin, le Rhône. – La cataracte en cinq parties. – Le forçat.

Laufen, septembre.

      Mon ami, que vous dire? Je viens de voir cette chose inouïe. Je n'en suis qu'à quelques pas. J'en entends le bruit. Je vous écris sans savoir ce qui tombe de ma pensée. Les idées et les images s'y entassent pêle-mêle, s'y précipitent, s'y heurtent, s'y brisent, et s'en vont en fumée, en écume, en rumeur, en nuée. J'ai en moi comme un bouillonnement immense. Il me semble que j'ai la chute du Rhin dans le cerveau.

      J'écris au hasard, comme cela vient. Vous comprendrez si vous pouvez.

      On arrive à Laufen. C'est un château du treizième siècle, d'une fort belle masse et d'un fort bon style. Il y a à la porte deux guivres dorées, la gueule ouverte. Elles aboient. On dirait que ce sont elles qui font le bruit mystérieux qu'on entend.

      On entre.

      On est dans la cour du château. Ce n'est plus un château, c'est une ferme. Poules, oies, dindons, fumier, charrette dans un coin; une cuve à chaux. Une porte s'ouvre. La cascade apparaît.

      Spectacle merveilleux!

      Effroyable tumulte! Voilà le premier effet. Puis on regarde. La cataracte découpe des golfes qu'emplissent de larges squames blanches. Comme dans les incendies, il y a de petits endroits paisibles au milieu de cette chose pleine d'épouvante; des bosquets mêlés à l'écume; de charmants ruisseaux dans les mousses; des fontaines pour les bergers arcadiens du Poussin, ombragées de petits rameaux doucement agités. – Et puis ces détails s'évanouissent, et l'impression de l'ensemble vous revient. Tempête éternelle. Neige vivante et furieuse.

      Le flot est d'une transparence étrange. Des rochers noirs dessinent des visages sinistres sous l'eau. Ils paraissent toucher la surface et sont à dix pieds de profondeur. Au-dessous des deux principaux vomitoires de la chute, deux grandes gerbes d'écume s'épanouissent sur le fleuve et s'y dispersent en nuages verts. De l'autre côté du Rhin, j'apercevais un groupe de maisonnettes tranquilles, où les ménagères allaient et venaient.

      Pendant que j'observais, mon guide me parlait. – Le lac de Constance a gelé dans l'hiver de 1829 à 1830. Il n'avait pas gelé depuis cent quatre ans. On y passait en voiture. De pauvres gens sont morts de froid à Schaffhouse. —

      Je suis descendu un peu plus bas, vers le gouffre. Le ciel était gris et voilé. La cascade fait un rugissement de tigre. Bruit effrayant, rapidité terrible. Poussière d'eau, tout à la fois fumée et pluie. A travers cette brume on voit la cataracte dans tout son développement. Cinq gros rochers la coupent en cinq nappes d'aspects divers et de grandeurs différentes. On croit voir les cinq piles rongées d'un pont de Titans. L'hiver, les glaces font des arches bleues sur ces culées noires.

      Le plus rapproché de ces rochers est d'une forme étrange; il semble voir sortir de l'eau pleine de rage la tête hideuse et impassible d'une idole indoue, à trompe

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