Elle et lui. Жорж Санд
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– Vous la connaissez de vue, mademoiselle Jacques?
– Parbleu! elle est tout à fait célèbre à présent, et qui ne l'a remarquée? Elle est faite pour cela!
– Vous trouvez?
– Eh bien, et vous?
– Moi? Je n'en sais rien. Je l'aime beaucoup, je ne suis pas compétent.
– Vous l'aimez beaucoup?
– Oui, vous voyez, je le dis; ce qui est la preuve que je lui ne fais pas la cour.
– Vous la voyez souvent?
– Quelquefois.
– Alors vous êtes son ami… sérieux?
– Eh bien, oui, un peu… Pourquoi riez-vous?
– Parce que je n'en crois rien; à vingt-quatre ans, on n'est pas l'ami sérieux d'une femme… jeune et belle!
– Bah! elle n'est ni si jeune ni si belle que vous dites. C'est un bon camarade, pas désagréable à voir, voilà tout. Pourtant elle appartient à un type que je n'aime pas, et je suis forcé de lui pardonner d'être blonde. Je n'aime les blondes qu'en peinture.
– Elle n'est pas déjà si blonde! elle a les yeux d'un noir doux, des cheveux qui ne sont ni bruns ni blonds, et qu'elle arrange singulièrement. Au reste, ça lui va, elle a l'air d'un sphinx bon enfant.
– Le mot est joli; mais… vous aimez les grandes femmes, vous!
– Elle n'est pas très-grande, elle a des petits pieds et des petites mains. C'est une vraie femme. Je l'ai bien regardée, puisque j'en suis amoureux.
– Tiens, quelle idée vous avez là!
– Cela ne vous fait rien, puisqu'en tant que femme, elle ne vous plaît pas?
– Mon cher, elle me plairait, que ce serait tout comme. Dans ce cas-là, je tâcherais d'être mieux avec elle que je ne suis; mais je ne serais pas amoureux, c'est un état que je ne fais pas; par conséquent, je ne serais pas jaloux. Poussez donc votre pointe, si bon vous semble.
– Moi? Oui, si je trouve l'occasion; mais je n'ai pas le temps de la chercher, et, au fond, je suis comme vous, Laurent, parfaitement enclin à la patience, vu que je suis d'un âge et d'un monde où le plaisir ne manque pas… Mais, puisque nous parlons de cette femme-là, et que vous la connaissez, dites-moi donc… c'est pure curiosité de ma part, je vous le déclare, si elle est veuve ou…
– Ou quoi?
– Je voulais dire si elle est veuve d'un amant ou d'un mari.
– Je n'en sais rien.
– Pas possible!
– Parole d'honneur, je ne lui ai jamais demandé. Ça m'est si égal!
– Savez-vous ce qu'on dit?
– Non, je ne m'en soucie pas. Qu'est-ce qu'on dit?
– Vous voyez bien que vous vous en souciez! On dit qu'elle a été mariée à un homme riche et titré.
– Mariée…
– On ne peut plus mariée, par-devant M. le maire et M. le curé.
– Quelle bêtise! elle porterait son nom et son titre.
– Ah! voilà! Il y a un mystère là-dessous. Quand j'aurai le temps, je chercherai ça, et je vous en ferai part. On dit qu'elle n'a pas d'amant connu, bien qu'elle vive avec une grande liberté. D'ailleurs, vous devez savoir cela, vous?
– Je n'en sais pas le premier mot. Ah ça! vous croyez donc que je passe ma vie à observer ou à interroger les femmes? Je ne suis pas un flâneur comme vous, moi! je trouve la vie très courte pour vivre et travailler.
– Vivre… je ne dis pas. Il paraît que vous vivez beaucoup. Quant à travailler… on dit que vous ne travaillez pas assez. Voyons, qu'est-ce que vous avez là? Laissez-moi voir!
– Non, ce n'est rien, je n'ai rien de commencé ici.
– Si fait: cette tête-là… c'est très-beau, diable! Laissez-moi donc voir, ou je vous malmène dans mon prochain salon.
– Vous en êtes bien capable!
– Oui, quand vous le mériterez; mais, pour cette tête-là, c'est superbe et s'admire tout bêtement. Qu'est-ce que ça sera?
– Est-ce que je sais?
– Voulez-vous que je vous le dise?
– Vous me ferez plaisir.
– Faites-en une sibylle. On coiffe ça comme on veut, ça n'engage à rien.
– Tiens, c'est une idée.
– Et puis on ne compromet pas la personne à qui ça ressemble.
– Ça ressemble à quelqu'un?
– Parbleu! mauvais plaisant, vous croyez que je ne la reconnais pas? Allons, mon cher, vous avez voulu vous moquer de moi, puisque vous niez tout, même les choses les plus simples. Vous êtes l'amant de cette figure-là!
– La preuve, c'est que je m'en vais à Montmorency! dit froidement Laurent en prenant son chapeau.
– Ça n'empêche pas! répondit Mercourt.
Laurent sortit, et Mercourt, qui était descendu avec lui, le vit monter dans une petite voiture de remise; mais Laurent se fit conduire au bois de Boulogne, où il dîna tout seul dans un petit café, et d'où il revint à la nuit tombée, à pied et perdu dans ses rêveries.
Le bois de Boulogne n'était pas à cette époque ce qu'il est aujourd'hui. C'était plus petit d'aspect, plus négligé, plus pauvre, plus mystérieux et plus champêtre: on y pouvait rêver.
Les Champs-Elysées, moins luxueux et moins habités qu'aujourd'hui, avaient de nouveaux quartiers où se louaient encore à bon marché de petites maisons avec de petits jardins d'un caractère très-intime. On y pouvait vivre et travailler.
C'était dans une de ces maisonnettes blanches et propres, au milieu des lilas en fleur, et derrière une grande haie d'aubépine fermée d'une barrière peinte en vert, que demeurait Thérèse. On était au mois de mai. Le temps était magnifique. Comment Laurent se trouva, à neuf heures, derrière cette haie, dans la rue déserte et inachevée où les réverbères n'avaient pas encore été installés, et sur les talus de laquelle poussaient encore les orties et les folles herbes, c'est ce que lui-même eût été embarrassé d'expliquer.
La haie était fort épaisse, et Laurent tourna sans bruit tout à l'entour, sans apercevoir autre chose que des feuilles légèrement dorées par une lumière qu'il supposa placée dans le jardin, sur une petite table auprès de laquelle il avait l'habitude de fumer quand il passait