André. Жорж Санд
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Lorsqu'elle aperçut Joseph, qui lui adressa le premier la parole, elle le salua avec une politesse froide; mais Joseph avait le moyen de l'adoucir.
«Oh! mademoiselle Geneviève, lui dit-il, j'ai bien pensé à vous hier à la chasse; imaginez qu'il y a auprès de l'étang du Château-Fondu des fleurs comme je n'en ai jamais vu; si j'avais pu trouver le moyen de les apporter sans les faner, j'en aurais mis pour vous dans ma gibecière.
– Vous ne savez pas ce que c'est?
– Non, en vérité! mais cela a deux pieds de haut; les feuilles sont comme tachées de sang; les fleurs sont d'un rose clair, avec de grandes taches de lie de vin; on dirait de grandes guêpes avec un dard, ou de petites vilaines figures qui vous tirent la langue; j'en ai ri tout seul à m'en tenir les côtes en les regardant.
– Voilà une plante fort singulière, dit Geneviève en souriant.
– Je crois, dit timidement André, autant que mon peu de savoir en botanique me permet de l'affirmer, que ce sont des plantes ophrydes appelées par nos bergers herbe aux serpents*.
– Ah! pourquoi ce nom-là? dit Geneviève; qu'est-ce que ces pauvres fleurs ont de commun avec ces vilaines bêtes?
– Ce sont des plantes vénéneuses, répondit André, et qui ont quelque chose d'affreux en elles malgré leur beauté; ces taches de sang d'abord, et puis une odeur repoussante. Si vous les aviez vues, vous auriez trouvé quelque chose de méchant dans leur mine; car les plantes ont une physionomie comme les hommes et les animaux.
– C'est drôle ce que tu dis là, reprit Joseph; mais c'est parbleu vrai! Quand je le dis que ces fleurs m'ont fait l'effet de me rire au nez, et que je n'ai pas pu m'empêcher d'en faire autant!
– D'autant plus que pour les cueillir dans cet endroit, répondit André, il faut courir un certain danger: l'étang de Château-Fondu a des bords assez perfides.
– Où prenez-vous ce Château-Fondu? demanda Henriette.
– Auprès du château de Morand, répondit Joseph. Oh! c'est un endroit singulier et assez dangereux en effet. Figurez-vous un petit lac au milieu d'une prairie: l'eau est presque toute cachée par les roseaux et les joncs; cela est plein de sarcelles et de canards sauvages: c'est pourquoi j'y vais chasser souvent.
– Quand tu dis chasser, tu veux dire braconner, interrompit André.
– Soit. Je vous disais donc qu'on ne voit presque pas où l'eau commence, tant cela est plein d'herbes. Sur les bords il y a une espèce de gazon mou où vous croyez pouvoir marcher; pas du tout: c'est une vase verte où vous enfoncez au moins jusqu'aux genoux, et très-souvent jusque par-dessus la tête.
– La tradition du pays, reprit André, est qu'autrefois il y avait un château à la place de cet étang. Une belle nuit le diable, qui avait fait signer un pacte au châtelain, voulut emporter sa proie et planta sa fourche sous les fondations. Le lendemain on chercha le château dans tout le pays; il avait disparu. Seulement on vit à la place une mare verte dont personne ne pouvait approcher sans enfoncer dans la vase, et qui a gardé le nom de Château-Fondu.
– Voilà un conte comme je les aime, dit Geneviève.
– Ce qui accrédite celui-là reprit André, c'est que dans les chaleurs, lorsque les eaux sont basses, on voit percer çà et là des amas de terres ou de pierres verdâtres que l'on prend pour des créneaux de tourelles.
– Je ne sais ce qui en est, dit Joseph; mais il est certain que mon chien, qui n'est pas poltron, qui nage comme un canard, et qui est habitué à barboter dans les marais pour courir après les bécassines, a une peur effroyable du Château-Fondu; il semble qu'il y ait là je ne sais quoi de surnaturel qui le repousse; je le tuerais plutôt que de l'y faire entrer.
– C'est un endroit tout à fait merveilleux, dit Geneviève. Est-ce bien loin d'ici?
– Oh! mon Dieu, non, dit André, qui mourait d'envie de rencontrer encore Geneviève dans les prés.
– Pas bien loin, pas bien loin! dit Joseph; il y a encore trois bonnes lieues de pays. Mais voulez-vous y aller, mademoiselle Geneviève?
– Non, monsieur; c'est trop loin.
– Il y aurait un moyen: je mettrais mon gros cheval à la patache, et…
– Oh! oui, oui! s'écrièrent Henriette et ses ouvrières! menez-nous au Château-Fondu, monsieur Joseph!
– Et nous aussi! s'écrièrent les petites soeurs de Joseph; nous aussi, Joseph! En patache, ah! quel plaisir!
– J'y consens si vous êtes sages. Voyons, quel jour!
– Pardine! c'est demain dimanche, dit Henriette.
– C'est juste. A demain donc. Vous y viendrez avec nous, mademoiselle Geneviève?
– Oh! je ne sais, dit-elle avec un peu d'embarras. Je crois que je ne pourrai pas. Je ne vous suis pas moins reconnaissante, monsieur.
– Allons! allons! voilà tes scrupules, Geneviève, dit Henriette. C'est ridicule, ma chère. Comment, tu ne peux pas venir avec nous quand les demoiselles Marteau y viennent?
– Ces demoiselles, lui dit tout bas Geneviève, sont sous la garde de leur frère.
– Eh! mon Dieu! dit tout haut Henriette, tu seras sous la mienne. Ne suis-je pas une fille majeure, établie, maîtresse de ses actions? Y a-t-il, n'importe où, n'importe qui, assez malappris pour me regarder de travers? Est-ce qu'on ne se garde pas-soi-même d'ailleurs? Tu es ennuyeuse, Geneviève, toi qui pourrais être si gentille! Allons, tu viendras, ma petite! Mesdemoiselles, venez donc la décider.
– Oh! oui! oui! Geneviève, tu viendras, dirent toutes les petites filles; nous n'irons pas sans toi.
Justine, l'aînée des filles de la maison,
*
C'est le satyrion-bouquin.