Jacques. Жорж Санд
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Voici ce que contenait le papier: trois parcelles détachées; sur l'une était écrit: Le 15 mai 17.. fut déposé à l'hospice des Orphelins, à Gênes, un enfant du sexe féminin, avec le signe de saint Jean Népomucène. Sur la seconde: «J'ai commis ce crime, et voici mon excuse. Madame de*** avait un autre amant en même temps que moi. L'incertitude, la compassion, me décidèrent à l'assister dans ses souffrances. Elle était seule. L'autre l'avait abandonnée; mais je ne pus pas me résoudre à emporter son enfant. D'un commun accord, nous l'avons mis à l'hospice. Cela acheva de me faire haïr et mépriser cette femme. J'ai gardé le signe, afin que si, quelque jour, il m'était prouvé que l'enfant m'appartint… Mais c'est impossible; je ne le saurai jamais.» Le nom de cette femme est écrit en toutes lettres de la main de mon père, et je la connais. Elle vit, elle passe pour vertueuse; elle en a la prétention du moins! Je ne le la nommerai jamais, Sylvia, cela ne servirait à rien, et l'honneur me le défend. Le troisième papier était le coupon de l'image du saint, dont l'autre moitié avait été attachée à ton cou.
J'étais presque aussi incertain que mon père avait pu l'être. Il m'avait souvent parlé de cette madame de ***. Elle avait désolé sa vie; je l'avais vue dans mon enfance; je la détestais. Aller au secours de sa fille, du fruit d'un double amour, infâme et menteur, c'était une audace de générosité pour laquelle je me sentis d'abord une invincible répugnance. Mon père m'avait dit de faire ce que je jugerais convenable. J'essayai d'ensevelir ce secret dans l'oubli et de t'abandonner au destin, pauvre infortunée! Mais il y a une voix du ciel qui parle sur la terre aux hommes de bonne volonté, comme dit naïvement le saint cantique. Du moment où j'eus résolu de te délaisser, il me sembla que Dieu me criait à toute heure d'aller à ton secours. Je fis plusieurs songes où j'entendais distinctement la voix de mon père mourant qui me disait: «C'est ta soeur! c'est ta soeur!» Une fois, je me souviens que je vis passer un groupe d'anges dans mon sommeil. Au milieu d'eux, il y avait un bel enfant sans ailes, qui était pâle et qui pleurait. Sa beauté, sa douleur, me firent une impression si vive que je m'éveillai au moment où je m'élançais pour l'embrasser. Je me persuadai que ton âme m'était apparue en s'envolant vers les cieux. «Elle est morte, me disais-je: mais avant de retourner à Dieu, elle a voulu venir me dire: J'étais ta soeur, et je pleure, parce que tu m'as abandonnée.» Je pris un jour l'image du saint; cette mauvaise petite gravure, prise au hasard et à la hâte sans doute dans quelque livre de prières, au moment où l'on t'abandonna, me fit une impression étrange. C'était là tout ton héritage, tous les titres que tu possédais à la tendresse et aux soins d'une famille; toute une destinée humaine, tout l'avenir d'un pauvre enfant était là! Voilà le don que tes parents t'avaient fait en te mettant au monde; voilà à quoi s'étaient bornées la protection et la générosité d'une mère! Elle t'avait mis sur la poitrine ce présent magnifique, et elle t'avait dit: «Vis et prospère.»
Je me sentis pénétré d'une compassion si vive, que les larmes me vinrent aux yeux et que je me mis à sangloter, comme si tu avais été mon enfant, et qu'on t'eût enlevée à moi pour te jeter parmi les orphelins. L'émotion que me causa cette gravure est telle que je ne puis la voir encore sans être prêt à pleurer. Nous l'avons souvent regardée ensemble, et quand tu étais encore enfant tu la baisais avec transport chaque fois que je te la confiais pour la rapprocher de la moitié suspendue à ton cou. Que ces baisers, pauvre fille, me semblaient un éloquent et angélique reproche à ton odieuse mère! On t'avait dit dans tes premières années que ce saint était ton protecteur, ton meilleur ami; qu'il t'aiderait à retrouver tes parents, et quand je suis venu à toi, tu l'as remercié, tu as redoublé de confiance et d'amour pour lui; et je me suis mis à l'aimer moi-même. Si ce n'est le saint, c'est au moins l'image qui m'est chère. A force de la regarder avec les yeux du coeur, j'ai découvert sur cette figure une expression qu'elle n'a peut-être pas. J'en ai les trois quarts sur mon coupon; c'est une tête de jeune homme avec des cheveux courts et des traits communs; mais elle est penchée dans une attitude douce et mélancolique sur une Bible que la main soutient. Dans ce livre, me disais-je avant de t'avoir vue, et lorsque je m'imaginais que tu étais morte, le triste patron semble lire la courte et misérable destinée de l'enfant confiée à sa protection. Il la contemple avec tendresse et compassion; car nul autre que lui n'a eu pitié de l'orphelin sur la terre.»
Entraîné vers toi par un sentiment indéfinissable, je dirais presque par une attraction surnaturelle, je quittai Paris six mois après la mort de mon père et je me rendis à Gènes. Je pris des informations à l'hospice. Cette recherche était loin d'être certaine, j'avais la date du jour où l'on t'avait déposée, mais non pas l'heure. Plusieurs enfants avaient été déposés le même jour. D'après le témoignage des registres, on me donna trois indications différentes. Le signe de saint Jean Népomucène était le seul renseignement que je pusse donner, et tu pouvais l'avoir perdu depuis longtemps. Mes premières tentatives furent vaines; l'enfant qu'on me désigna avait un autre signe: il était contrefait, hideux; j'avais tremblé que ce ne fût là ma soeur. Je partis ensuite pour un petit village situé dans les montagnes de la côte, où l'on m'indiqua une famille de paysans qui avait encore un des enfants abandonnés dans la journée du 18 mai 17… Quelles amères réflexions je fis sur ton sort durant le chemin! Combien tu pouvais être avilie, maltraitée, misérable entre les mains de ces hommes rudes et grossiers, qui font une spéculation de leur charité à l'égard des orphelins, et qui ne se chargent de les élever qu'afin d'avoir en eux plus tard des serviteurs non salariés! J'arrivai à Saint… ce romantique hameau où tu as vécu tes dix premières années, et dont tu as gardé un si cher souvenir, et je te trouvai au sein de cette honnête famille qui te chérissait à l'égal de ses propres membres, et dont tu gardais les chèvres sur le versant des Alpes maritimes. Cette journée ne sortira jamais de notre mémoire, n'est-ce pas, chère Sylvia? Combien de fois nous nous sommes raconté l'impression que nous causa la première vue l'un de l'autre! Mais je ne t'ai pas dit avec quelle émotion je fis mes premières recherches. J'étais bien incertain encore. Tes parents adoptifs m'avaient assuré que tu avais une image de saint, mais ils ne savaient pas lire; et comme le coupon ne portait que les dernières lettres du nom de Népomucène, ils ne se rappelaient pas quel saint le curé du village avait nommé plusieurs fois en examinant le signe. La femme, qui t'avait nourrie, faisait son possible pour me persuader que tu n'étais pas l'enfant que je cherchais. L'espoir d'une récompense n'adoucissait pas pour elle l'idée de te perdre. Tu étais si aimée! tu avais déjà su exercer une telle puissance d'affection sur tous ceux qui t'entouraient! La manière presque superstitieuse dont cette famille parlait de toi me semblait un témoignage de la protection mystérieuse et sublime que Dieu accorde à l'orphelin, en le douant presque toujours de quelque attrait ou de quelque vertu qui remplace la protection naturelle de ses parents, et qui lui attire forcément le dévouement de ceux que le hasard lui donne pour appui. D'après les commentaires de ces honnêtes montagnards, tu devais appartenir à la plus illustre famille, car tu avais autant de fierté dans le caractère que si un sang royal eût coulé dans tes veines. Ton intelligence et ta sensibilité faisaient l'admiration du curé et du maître d'école du village. Tu avais appris à lire et à écrire en moins de temps que les autres n'en mettaient pour épeler. Je me souviendrai toujours des paroles de ta nourrice. «Orgueilleuse comme la mer, disait-elle en parlant de toi, et méchante comme la bourrasque, il faut que tout le monde lui cède. Ses frères de lait lui obéissent comme des imbéciles; ils sont si simples, mes pauvres enfants, et celle-là si fière! Avec cela, caressante et bonne comme un ange quand elle s'aperçoit qu'elle a fait de la peine. Elle a été trois jours au lit avec la fièvre, pour le chagrin qu'elle a eu d'avoir fait mal au petit Nani une fois qu'elle était en colère. Elle l'a poussé, l'enfant est tombé et a saigné on peu. Quand j'ai vu cela, la colère m'est venue à moi-même; j'ai couru d'abord relever le petit, et puis j'ai cherché le démon de petite