Césarine Dietrich. Жорж Санд
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– Autorisez-moi, lui dis-je, à répéter ce que vous dites à votre père et au marquis. Tous deux renonceront à vous contrarier. Votre père se privera de ce nouvel ami, et le nouvel ami, que vous n'avez persuadé d'attendre qu'en lui laissant de l'espérance, comprendra que sa patience compromettrait votre réputation et aboutirait peut-être à une déception pour lui.
– Faites comme vous voudrez, reprit-elle. Je ne désire que la paix et la liberté.
– Il vaudrait mieux, puisque vous voilà si raisonnable, dire vous-même à
M. de Rivonnière que vous ajournez indéfiniment son bonheur.
– Je le lui ai dit.
– Et que vous faites à sa dignité ainsi qu'à votre réputation le sacrifice de l'éloigner.
– Il n'accepte pas cela. Il demande à me voir, si peu que ce soit et dans de telles conditions qu'il me plaira de lui imposer. Il demande en quoi il s'est rendu indigne d'être admis dans notre maison. C'est à mon père de l'en chasser. Moi, je trouve la chose pénible et injuste, je ne me charge pas de l'exécuter.
Rien ne put la faire transiger. M. Dietrich recula. Il ne voulait pas fermer sa porte à M. de Rivonnière pour qu'elle lui fût rouverte au gré du premier caprice de Césarine. Il lui en coûtait d'ailleurs de mettre à néant les espérances qu'il avait caressées.
Le marquis fut donc autorisé à venir nous voir à Paris, et Césarine enregistra cette concession paternelle comme une chose qui lui était due et dont elle n'avait à remercier personne. Son aimable tournure d'esprit, ses gracieuses manières avec nous ne nous permettaient pas de la traiter, d'impérieuse et de fantasque; mais elle ne cédait rien. Elle disait: Je vous aime. Jamais elle ne disait: Je vous remercie.
Nous revînmes à Paris l'époque accoutumée, et là Césarine, qui avait dressé ses batteries, frappa un grand coup, dont M. de Rivonnière fut le prétexte. Elle voulait amener son père à rouvrir les grands salons et à reprendre à domicile les brillantes et nombreuses relations qu'il avait eues du vivant, de sa femme. Césarine lui remontra que, si on la tenait, dans l'intimité de la famille, elle ne se marierait jamais, vu que l'apparition de tout prétendant, serait une émotion, un événement, dans le petit cercle, – que, pour peu qu'après y avoir admis M. de Rivonnière, on vint à en admettre un autre, on lui ferait la réputation d'une coquette au d'une fille difficile à marier, que l'irruption du vrai monde dans ce petit cloître de fidèles pouvait seule l'autoriser à examiner ses prétendants sans prendre d'engagements avec eux et sans être compromise par aucun d'eux en particulier. M. Dietrich fut forcé de reconnaître qu'en dehors du commerce du monde il n'y a point de liberté, que l'intimité rend esclave des critiques ou des commentaires de ceux qui la composent, que la multiplicité et la diversité des relations sont la sauvegarde du mal et du bien, enfin que, pour une personne sûre d'elle-même comme l'était Césarine, c'était la seule atmosphère où sa raison, sa clairvoyance et son jugement pussent s'épanouir. Elle avait des arguments plus forts que n'en avait eus sa mère, uniquement dominée par l'ivresse du plaisir. M. Dietrich, qui avait cédé de mauvaise grâce à sa femme, se rendit plus volontiers avec sa fille. Une grande fête inaugura le nouveau genre de vie que nous devions mener.
Le lendemain de ce jour si laborieusement préparé et si magnifiquement réalisé, je demandai à Césarine, pâle encore des fatigues de la veille, si elle était enfin satisfaite.
– Satisfaite de quoi? me dit-elle, d'avoir revu le tumulte dont on avait bercé mon enfance? Croyez-vous, chère amie, que le néant de ces splendeurs soit chose nouvelle pour moi? Me prenez-vous pour une petite ingénue enivrée de son premier bal, ou croyez-vous que le monde ait beaucoup changé depuis trois ans que je l'ai perdu de vue? Non, non, allez! C'est toujours le même vide et décidément je le déteste; mais il faut y vivre ou devenir esclave dans l'isolement. La liberté vaut bien qu'on souffre pour elle. Je suis résolue à souffrir, puisqu'il n'y a pas de milieu à prendre. – À propos, ajouta-t-elle, je voulais vous dire quelque chose. Je ne suis pas assez gardée dans cette foule; mon père est si peu homme du monde qu'il passe tout son temps à causer dans un coin avec ses amis particuliers, tandis que les arrivants, cherchant partout le maître de la maison, viennent, en désespoir de cause, demander à ma tante Helmina de m'être présentés. Ma tante a une manière d'être et de dire, avec son accent allemand et ses préoccupations de ménagère, qui fait qu'on l'aime et qu'on se moque d'elle. La véritable maîtresse de la maison, quant à l'aspect et au maintien, c'est vous, ma chère Pauline, et je ne trouve pas que vous soyez mise assez en relief par votre titre de gouvernante. Il y aurait un détail bien simple pour changer la face des choses, c'est qu'au lieu de nous dire vous, nous fissions acte de tutoiement réciproque une fois pour toutes. Ne riez pas. En me disant toi, vous devenez mon amie de coeur, ma seconde mère, l'autorité, la supériorité que j'accepte. Le vous vous tient à l'état d'associée de second ordre, et le monde, qui est sot, peut croire que je ne dépends de personne.
– N'est-ce pas votre ambition?
– Oui, en fait, mais non en apparence; je suis trop jeune, je serais raillée, mon père serait blâmé. Voyons, portons la question devant lui, je suis sûre qu'il m'approuvera.
En effet, M. Dietrich me pria de tutoyer sa fille et de me laisser tutoyer par elle. L'effet fut magique dans l'intérieur. Les domestiques, dont je n'avais d'ailleurs pas à me plaindre, se courbèrent jusqu'à terre devant moi, les parents et amis regardèrent ce tutoiement comme un traité d'amitié et d'association pour la vie. Je ne sais si le monde y fit grande attention. Quant à moi, en me prêtant à ce prétendu hommage de mon élève, je me doutais bien de ce qui arriverait. Elle ne voulait pas me laisser l'autorité de la fonction, et, en me parant de celle de la famille, elle se constituait le droit de me résister comme elle lui résistait.
Cependant quelqu'un osait lui résister, à elle. Malgré des invitations répétées, M. de Rivonnière, en vue de qui Césarine avait amené son père à faire tant de mouvement et de dépasse, ne profita nullement de l'occasion. Il ne parut ni à la première soirée ni à la seconde. Ses parents le, disaient malade; on envoya chercher de ses nouvelles; il était absent.
Un jour, comme j'étais sortie seule pour quelques emplettes, je le rencontrai. Nous étions à pied, je l'abordai après avoir un peu hésité à le reconnaître; il n'était pas vêtu et cravaté avec la recherche accoutumée. Il avait l'air, sinon triste, du moins fortement préoccupé. Il ne paraissait pas se soucier de répondre à mes questions, et j'allais le quitter lorsque, par un soudain parti-pris, il m'offrit son bras pour traverser, la cour du Louvre.
– Il faut que je vous parle, me dit-il, car il est possible que mademoiselle Dietrich ne dise pas toute la vérité sur notre situation réciproque. Elle ne s'en rend peut-être pas compte à elle-même. Elle ne se croit pas brouillée avec moi, elle ignore peut-être que je suis brouillé avec elle.
Brouillé me paraissait un bien gros mot pour le genre de relations qui avait pu s'établir entre eux: je le lui fis observer.
– Vous pensez avec raison, reprit-il, qu'il est difficile de parler clairement amour et mariage à une jeune personne si bien surveillée par vous; mais, quand on ne peut parler, on écrit, et mademoiselle Dietrich n'a pas refusé de lire mes lettres, elle a même daigné y répondre.
– Dites-vous la vérité? m'écriai-je.
– La preuve, répondit-il, c'est qu'en vous voyant prête à me quitter tout à l'heure, j'ai senti que