Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2. Жорж Санд

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Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2 - Жорж Санд

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que veux-tu donc que j'en fasse? répondit M. de Châteaubrun embarrassé. Je l'ai invité à venir quand il voudrait; je ne pouvais prévoir que toi, qui es si tolérante et si généreuse, tu prendrais en grippe un pauvre hère, à cause de son peu d'usage et de sa triste figure. Moi, ces gens-là me font peine; je vois que chacun les repousse et qu'ils s'ennuient d'être au monde!

      – Ne croyez pas cela, dit Émile. Ils s'y trouvent fort bien, au contraire, et s'imaginent plaire à tous.

      – En ce cas, pourquoi leur ôter une illusion, sans laquelle il leur faudrait mourir de chagrin? Moi, je n'ai pas ce courage, et je ne crois pas que ma bonne Gilberte me conseille de l'avoir.

      – Mon trop bon père! dit Gilberte en soupirant, je voudrais l'avoir aussi, cette bonté, et je crois l'avoir en général; mais cet être suffisant et satisfait de lui-même, qui semble m'insulter quand il me regarde, et qui m'appelle par mon nom de baptême le premier jour où il me parle! non, je ne puis le supporter, et je sens qu'il me fait mal parce que sa vue me porte au dédain et à l'ironie, contrairement à mes instincts et à mes habitudes de caractère.

      – Il est certain que M. Galuchet se familiarisera beaucoup avec mademoiselle, dit Émile à M. Antoine, et que vous serez forcé plus d'une fois de le rappeler au respect qu'il lui doit. S'il arrive qu'il vous oblige de le chasser, vous regretterez de l'avoir accueilli avec trop de confiance. Ne vaudrait-il pas mieux lui faire entendre aujourd'hui par un accueil un peu froid que vous n'avez pas oublié la manière grossière dont il s'est comporté à sa première visite?

      – Ce que je vois de mieux pour arranger l'affaire, dit M. de Châteaubrun, c'est que vous alliez vous promener dans le verger avec Janille; moi, j'emmènerai le Galuchet à la pêche, et vous en serez débarrassés.»

      Cette proposition ne plaisait pas beaucoup à Émile. Lorsqu'il était sous la surveillance de M. de Châteaubrun, il pouvait se croire presque tête à tête avec Gilberte, au lieu que Janille était un tiers autrement actif et clairvoyant. Et puis Gilberte pensait qu'il y avait de l'égoïsme à laisser son père subir seul le fardeau d'une telle visite. «Non, dit-elle en l'embrassant, nous resterons pour te faire enrager; car si nous tournons le dos, tu vas redevenir si doux et si bon, que ce monsieur se croira, une fois pour toutes, le très-bien venu. Oh! je te connais, père! tu ne pourras pas t'empêcher de le lui dire et de le retenir à table, et il boira encore! Il est donc bon que je reste ici pour le forcer à s'observer.

      – D'ailleurs je m'en charge, dit Janille, qui avait écouté jusque-là sans dire son avis, et qui haïssait Galuchet, depuis le jour où il avait marchandé avec elle pour une pièce de dix sous qu'elle lui avait demandée après lui avoir montré les ruines. J'aime beaucoup que monsieur boive son vin avec ses amis et les gens qui lui font plaisir; mais je ne suis pas d'avis de le gaspiller avec des pique-assiettes, et je vais baptiser d'importance celui de M. Galuchet. Ah! mais, Monsieur, tant pis pour vous, qui n'aimez point l'eau, cela vous forcera de ne pas rester longtemps à table.

      – Mais, Janille, c'est une tyrannie, dit M. Antoine, tu vas me mettre à l'eau maintenant? tu veux donc ma mort?

      – Non, Monsieur, vous n'en aurez le teint que plus frais, et tant pis pour ce petit monsieur s'il fait la grimace!»

      Janille tint parole, mais Galuchet était trop troublé pour s'en apercevoir. Il se sentait de plus en plus mal à l'aise devant Émile, dont les yeux et le sourire semblaient toujours l'interroger sévèrement, et, lorsqu'il voulait payer d'audace en faisant l'agréable auprès de Gilberte, il était si mal reçu, qu'il ne savait plus que devenir. Il avait résolu de s'observer à l'endroit du clairet de Châteaubrun, et il fut fort satisfait, lorsque, après le premier verre, son hôte n'insista plus pour lui en faire avaler un second. M. Antoine, en lui donnant l'exemple de la première rasade, comme c'était son devoir d'hôte campagnard, étouffa un soupir, et lança à Janille un regard de reproche pour la libéralité qui avait présidé à la ration d'eau. Charasson, qui était dans la confidence de la vieille, partit d'un gros rire, et fut vertement réprimandé par son maître, qui le condamna à avaler à son souper le reste du breuvage inoffensif.

      Quand Galuchet se fut convaincu qu'il était insupportable à Gilberte et à Émile, il résolut d'avancer ses affaires auprès de M. Cardonnet, en risquant la demande en mariage. Il emmena M. Antoine à l'écart, et, certain d'être refusé, il lui offrit son cœur, sa main et ses vingt mille francs pour sa fille. M. Galuchet crut ne rien risquer en doublant le capital fictif de sa dot.

      Cette petite fortune, jointe à un emploi qui procurait à Galuchet un revenu de douze cents francs, causa quelque surprise à M. Antoine. C'était là un très-bon parti pour Gilberte, et elle ne pouvait espérer mieux, en fait de richesse; car enfin, il était impossible au bon campagnard de lui fournir une dot quelconque, se dépouillât-il entièrement. Personne au monde n'était plus désintéressé que ce brave homme; il en avait donné assez de preuves, sa vie durant. Mais il ne pensait pas sans quelque amertume que sa fille chérie, faute de rencontrer un homme qui l'aimât pour elle-même, serait probablement condamnée au célibat pour longtemps, peut-être pour toujours! «Quel malheur, se dit-il, que ce garçon ne soit pas aimable, car, à coup sûr, il est honnête et généreux: ma fille lui plaît, et il ne demande pas ce qu'elle a. Il sait sans doute qu'elle n'a rien, et il veut lui donner tout ce qu'il possède. C'est un prétendant bien intentionné, qu'il faut refuser honnêtement, avec douceur et amitié.»

      Et, ne sachant comment s'y prendre, n'osant exposer Gilberte au soupçon d'être vaine de son nom, ou au ressentiment d'un cœur blessé par son aversion, il ne trouva rien de mieux que de ne pas se prononcer, et de demander du temps pour réfléchir et se consulter. Galuchet demanda aussi la permission de revenir, non pas précisément faire sa cour, mais s'informer de son sort, et il y fut autorisé, bien que le pauvre Antoine tremblât en lui faisant cette réponse.

      Il le mena au bord de la rivière pour l'installer à la pêche, bien que Galuchet n'eût rien apporté pour cela, et désirât fort rester au château. Antoine le promena du moins au bord de la Creuse pour lui indiquer les bons endroits, et, chemin faisant, il eut la faiblesse et la bonhomie de lui demander pardon pour les taquineries et les malices de Jean. Galuchet prit la chose à merveille, rejeta tout le tort sur lui-même, en disant toutefois, pour se montrer sous un meilleur jour, qu'il avait été grisé par surprise, et que s'il n'était pas capable de porter le vin, c'est parce qu'il était habitué à une grande sobriété. «A la bonne heure! dit Antoine, Janille avait craint que vous ne fussiez un peu intempérant; mais ce qui vous est arrivé prouve bien le contraire.»

      Ils causèrent assez longtemps, et Galuchet s'obstinant à ne pas partir, quoiqu'il vît bien à l'inquiétude de son hôte qu'il eût voulu ne pas le ramener au château, ils y revinrent, et Galuchet prit aussi Janille à part pour lui confier ses intentions et donner à Antoine le temps de prévenir Gilberte. Il comptait bien sur le dépit qu'elle en éprouverait; car, cette fois, n'étant pas ivre, il voyait fort clairement l'air irrité d'Émile, et les sentiments de Gilberte pour le protecteur qu'elle avait choisi.

      «Cette fois-ci, se disait-il, M. Cardonnet ne me reprochera pas d'avoir perdu mon temps. Mes beaux amoureux vont être dans une furieuse colère contre moi, et M. Émile ne pourra pas se tenir de me chercher noise.» Galuchet n'était pas poltron, et bien qu'il ne supposât pas Émile capable d'un duel à coups de poings, il se disait avec une certaine satisfaction qu'il était de force à lui tenir tête. Quant à une véritable partie d'honneur, cela eût été moins de son goût, parce qu'il n'entendait rien aux armes courtoises; mais il pouvait bien compter que M. Cardonnet saurait l'en préserver.

      Pendant qu'il entretenait Janille, M. de Châteaubrun resta avec sa fille et Émile dans le verger et leur raconta ce qui venait de se passer entre lui et Galuchet, mais avec quelques précautions oratoires. «Eh bien, dit-il, vous l'accusez d'être un sot et un impertinent,

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