Le secrétaire intime. Жорж Санд
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le secrétaire intime - Жорж Санд страница 8
Au reste elle prenait trop de peine. Saint-Julien, qui n'avait jamais vu que les tourelles lézardées du manoir héréditaire et leurs rustiques alentours, était rempli d'une naïve admiration pour cet appareil de royauté domestique. La beauté du ciel, les riches couleurs du paysage, l'élégance coquette du palais, construit dans le goût oriental sur les dessins de la princesse, les grands airs des seigneurs de sa petite cour, les costumes un peu surannés, mais riches, des dignitaires de sa maison, tout prenait aux yeux du jeune campagnard un aspect de splendeur et de majesté qui lui faisait envisager sa destinée comme un rêve.
Arrivée dans son palais, Quintilia fut tellement obsédée de révérences et de compliments, qu'elle ne put songer à installer son nouveau secrétaire. Lorsque Saint-Julien voulut aller prendre du repos, les valets, mesurant leur considération à la magnificence de son costume, l'envoyèrent dans une mansarde. Il y fit peu d'attention. Délicat de complexion et peu habitué à la fatigue, il s'y endormit profondément.
Le lendemain matin, il fut éveillé par la Ginetta.
«Monsieur le comte, lui dit-elle avec l'aplomb d'une personne qui sent toute la dignité de son personnage, vous êtes mal ici. Son Altesse ne sait pas où l'on vous a logé; mais, comme elle n'a pas eu le temps de s'occuper de vous hier, elle vous prie d'attendre ici un jour ou deux, d'y prendre vos repas, d'en sortir le moins possible, de ne point vous montrer à beaucoup de personnes, de ne parler à aucune, et d'être assuré qu'elle s'occupe de vous installer d'une manière dont vous serez content.»
Après ce discours, la Ginetta le salua et sortit d'un air majestueux. Saint-Julien se conforma religieusement aux intentions de sa souveraine. Un vieux valet de chambre lui apporta des aliments très-choisis, le servit respectueusement sans lui adresser un mot, et lui remit quelques livres. Ce fut le seul souvenir qu'il eut de la princesse durant trois jours.
Le soir de cette troisième journée, comme il commençait à s'impatienter et à s'inquiéter un peu de cet abandon, il entendit, en même temps que l'horloge qui sonnait minuit, les pas légers d'une femme, et la Ginetta reparut.
«Venez, Monsieur, lui dit-elle d'un ton respectueux, mais avec un regard assez moqueur. Son Altesse Sérénissime m'ordonne de vous conduire à votre nouveau domicile.»
Saint-Julien la suivit à travers les combles du palais. Après de nombreux détours, elle ouvrit une porte dont elle avait la clef sur elle: mais, comme Julien allait la franchir à son tour, une figure allumée par la colère s'élança au-devant d'eux en s'écriant:
«Où allez-vous?
– Que vous importe? répondit hardiment la Ginetta.»
À la clarté vacillante du flambeau que portait la soubrette, Saint-Julien reconnut l'écuyer ou l'aide de camp Lucioli, qui jetait sur lui des regards furieux.
«J'ai le commandement de cette partie du château, dit-il: vous ne passerez point sans ma permission.
– En voici une qui vaut bien la vôtre, dit-elle en lui exhibant un papier.»
Lucioli y jeta les yeux, le froissa dans ses mains avec exaspération et le jeta sur les marches de l'escalier en proférant un horrible jurement. Puis il disparut après avoir lancé à Julien un nouveau regard de haine et de vengeance.
Cette rapide scène réveilla tous les doutes du jeune homme.
«Ou je n'ai aucune espèce de jugement, se dit-il, ou cette conduite est celle d'un amant disgracié qui voit en moi son successeur.»
Cette idée le troubla tellement, qu'il arriva tout tremblant au bas de l'escalier. Lorsque Ginetta se retourna pour lui remettre la clef de l'appartement, il était pâle, et ses genoux se dérobaient sous lui.
«Eh bien! lui dit la soubrette à l'œil brillant, vous avez peur?
– Non pas de Lucioli, Mademoiselle, répondit froidement Saint-Julien.
– Et de quoi donc alors? dit-elle avec ingénuité. Tenez, Monsieur, vous êtes chez vous. La princesse vous fera avertir demain quand elle pourra vous recevoir. Un serviteur particulier répondra à votre sonnette. Bonne nuit, monsieur le comte.»
Elle lui lança un regard équivoque, où Saint-Julien ne put distinguer la malice ingénue d'un enfant de la raillerie agaçante d'une coquette. Il entra chez lui tout confus de ses vaines agitations, et craignant de jouer vis-à-vis de lui-même le rôle d'un fat.
L'appartement était décoré avec un goût exquis. Les draperies en étaient si fraîches, que Saint-Julien ne put s'empêcher de penser, malgré ses scrupules, que ce logement avait été préparé pour lui tout exprès. La simplicité austère des ornements, la sobriété des choses de luxe, le choix des objets d'art, semblaient avoir une destination expresse pour ses goûts et son caractère. Les gravures représentaient les poètes que Julien aimait, ses livres favoris garnissaient les armoires de glace. Il y avait même une grande Bible entr'ouverte à un psaume qu'il avait souvent cité avec admiration durant le voyage.
«Il est impossible que ces choses soient l'effet du hasard, dit-il; mais que suis-je pour qu'elle s'occupe ainsi de moi, pour qu'elle m'honore d'une amitié si délicate? Quintilia! dût le monde me couvrir de sa sanglante moquerie, je m'estimerais bien malheureux s'il me fallait échanger le trésor de cette sainte affection contre une nuit de ton plaisir!.. Et pourtant quel orgueil serait donc le mien si j'aspirais à être le seul amant d'une femme comme elle? Suis-je fou? suis-je sot?»
Le lendemain matin, il se hasarda à tirer la tresse de soie de sa sonnette, moins par le besoin qu'il avait d'un domestique que par un sentiment de curiosité inquiète et vague appliqué à toutes les choses qui l'entouraient. Deux minutes après, il vit entrer le page de la princesse. C'était un enfant de seize ans, si fluet et si petit qu'il paraissait en avoir douze. Sa physionomie fine et mobile, son air enjoué, hardi et pétulant, son costume théâtral, sa chevelure blonde et frisée, réalisaient le plus beau type de page espiègle et d'enfant gâté qui ait jamais porté l'éventail d'une reine.
«Eh quoi! c'est toi, Galeotto? dit le jeune comte avec surprise.
«Oui, c'est moi, répondit le page avec fierté: la princesse me met à vos ordres; mais écoutez. Vous ne devez jamais oublier que je me nomme Galeotto degli Stratigopoli, descendant de princes esclavons, et que je suis votre égal en toutes choses. Si la pauvreté a fait de moi un aventurier, elle n'en pourra jamais faire un valet. Sachez donc que je suis ici ami et compagnon. J'obéis à la princesse; je la servirai à genoux, parce qu'elle est femme et belle; mais vous, je ne consentirai jamais qu'à obliger… Est-ce convenu?
– Je n'ai pas besoin d'un serviteur, répondit Saint-Julien, et j'ai besoin d'un ami. Vous voyez que le hasard me sert bien, n'est-il pas vrai?»
Galeotto lui tendit la main, et un sourire amical entr'ouvrit sa bouche vermeille.
«Son Altesse, reprit-il, m'avait bien dit que nous nous entendrions et que nous serions frères. Elle désire que nous n'ayons point de rapports avec les laquais. Jeunes comme nous voici, pauvres comme nous l'étions hier, nous n'avons pas besoin de valets de chambre; mais nous avons besoin mutuellement de conseil et de société. C'est pourquoi nos gentilles cellules sont voisines l'une de l'autre, une sonnette communique de