Histoire de ma Vie, Livre 3 (Vol. 10 - 13). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 3 (Vol. 10 - 13) - Жорж Санд

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fis connaissance avec les oncles, tantes, cousins et cousines de mon mari, tous gens très honorables et qui me témoignèrent de l'amitié.

      Je voyais tous les jours ma chère Zoé, ses sœurs et ses frères. Un jour que j'étais chez elle sans Maurice, mon mari entra brusquement, très pâle, en me disant: «Il est mort!» Je crus que c'était Maurice; je tombai sur mes genoux. Zoé, qui comprit et entendit ce qu'ajoutait mon mari, me cria vite: «Non, non, votre beau-père!» Les entrailles maternelles sont féroces: j'eus un violent mouvement de joie; mais ce fut un éclair. J'aimais véritablement mon vieux papa, et je fondis en larmes.

      Nous partîmes le jour même pour Guillery, et nous passâmes une quinzaine auprès de Mme Dudevant. Nous la trouvâmes dans la chambre même où, en deux jours, son mari était mort d'une attaque de goutte dans l'estomac. Elle n'était pas encore sortie de cette chambre qu'elle avait habitée une vingtaine d'années avec lui, et où les deux lits restaient côte à côte. Je trouvai cela touchant et respectable. C'était de la douleur comme je la comprenais, sans effroi ni dégoût de la mort d'un être bien-aimé. J'embrassai Mme Dudevant avec une véritable effusion, et je pleurai tant tout le jour auprès d'elle, que je ne songeai pas à m'étonner de ses yeux secs et de son air tranquille. Je pensais d'ailleurs que l'excès de la douleur retenait les larmes et qu'elle devait affreusement souffrir de n'en pouvoir répandre; mais mon imagination faisait tous les frais de cette sensibilité refoulée. Mme Dudevant était une personne glacée autant que glaciale. Elle avait certainement aimé son excellent compagnon, et elle le regrettait autant qu'il lui était possible; mais elle était de la nature des liéges, elle avait une écorce très épaisse qui la garantissait du contact des choses extérieures; seulement cette écorce tenait bien et ne tombait jamais.

      Ce n'est pas qu'elle ne fût aimable: elle était gracieuse à la surface, un grand savoir-vivre lui tenant lieu de grâce véritable. Mais elle n'aimait réellement personne et ne s'intéressait à rien qu'à elle-même. Elle avait une jolie figure douce sur un corps plat, osseux, carré et large d'épaules. Cette figure donnait confiance, mais la face seule ne traduit pas l'organisation entière. En regardant ses mains sèches et dures, ses doigts noueux et ses grands pieds, on sentait une nature sans charme, sans nuances, sans élans ni retours de tendresse. Elle était maladive, et entretenait la maladie par un régime de petits soins dont le résultat était l'étiolement. Elle était vêtue en hiver de quatorze jupons qui ne réussissaient pas à arrondir sa personne. Elle prenait mille petites drogues, faisait à peine quelques pas autour de sa maison, quand elle rencontrait, un jour par mois, le temps désirable. Elle parlait peu et d'une voix si mourante, qu'on se penchait vers elle avec le respect instinctif qu'inspire la faiblesse. Mais dans son sourire banal il y avait quelque chose d'amer et de perfide dont, par momens, j'étais frappée et que je ne m'expliquais pas. Ses complimens cachaient les petites aiguilles fines d'une intention épigrammatique. Si elle eût eu de l'esprit, elle eût été méchante.

      Je ne crois pourtant pas qu'elle fût foncièrement mauvaise. Privée de santé et de courage, elle était aigrie intérieurement, et, à force de se tenir sur la défensive contre le froid et le chaud, et de se défier de tous les agens extérieurs qui pouvaient apporter dans son état physique une perturbation quelconque, elle en était venue à étendre ces précautions et cette abstention aux choses morales, aux affections et aux idées. Elle n'en était que plus tendue et plus nerveuse, et, quand elle était surprise par la colère, on pouvait s'émerveiller de voir ce corps brisé retrouver une vigueur fébrile, et d'entendre cette voix languissante et cette parole doucereuse prendre un accent très âpre et trouver des expressions très énergiques.

      Elle était, je crois, tout à fait impropre à gouverner ses affaires, et quand elle se vit à la tête de sa maison et de sa fortune, il se fit en elle une crise d'effroi et d'inquiétude égoïste qui la conduisit spontanément à l'avarice, à l'ingratitude et à une sorte de fausseté. Ennuyée de sa froide oisiveté, elle attira tour à tour auprès d'elle des amis, des parens, ceux de son mari et les siens. Elle exploita leurs dévouemens successifs, ne put vivre avec aucun d'eux et s'amusa à les tromper tous en morcelant sa fortune entre plusieurs héritiers qu'elle connaissait à peine, et en frustrant d'une récompense méritée jusqu'à de vieux serviteurs qui lui avaient consacré trente ans de soins et de fidélité.

      Elle était riche par elle-même, et n'ayant pas d'enfans, même adoptifs, il semble qu'elle eût dû abandonner à son beau-fils au moins une partie de l'héritage paternel. Il n'en fut rien. Elle s'était assuré de longue main, par testament, la jouissance de cette petite fortune, et même elle avait tenté d'en saisir la possession par la rédaction d'une clause qui se trouva, heureusement pour l'avenir de mon mari, contraire aux droits que la loi lui assurait.

      Mon mari, connaissant d'avance les dispositions testamentaires de son père, ne fut pas surpris de ne voir aucun changement dans sa situation. Il resta très soumis, et aussi tendre qu'il lui fut possible auprès de sa belle-mère, espérant qu'elle lui ferait plus tard la part meilleure; mais ce fut en pure perte. Elle ne l'aima jamais, le chassa de son lit de mort et ne lui laissa que ce qu'elle n'avait pu lui ôter.

      Cette pauvre femme m'a fait, à moi, sous d'autres rapports, tout le mal qu'elle a pu, mais je l'ai toujours plainte. Je ne connais pas d'existence qui mérite plus de pitié que celle d'une personne riche, sans postérité, qui se sent entourée d'égards qu'elle peut croire intéressés, et qui voit dans tous ceux qui l'approchent des aspirans à ses largesses. Être égoïste par instinct avec cela, c'est trop, car c'est le complément d'une destinée stérile et amère.

      Nous retournâmes à Bordeaux, puis encore à Guillery au mois de mai, et, cette fois, le pays ne me parut pas agréable. Ce sable fin devient si léger quand il est sec, que le moindre pas le soulève en nuages ardens qu'on avale quoi qu'on fasse. Nous passâmes l'été à Nohant, et, de cette époque jusqu'à 1831, je ne fis plus que de très courtes absences.

      Ce fut donc une sorte d'établissement que je regardai comme définitif et qui décida de mon avenir conjugal. C'était, en apparence, le parti le plus sage à prendre que de vivre chez soi modestement et dans un milieu restreint, toujours le même. Pourtant, il eût mieux valu poursuivre une vie nomade et des relations nombreuses. Nohant est une retraite austère par elle-même, élégante et riante d'aspect par rapport à Guillery, mais, en réalité, plus solitaire, et pour ainsi dire imprégnée de mélancolie. Qu'on s'y rassemble, qu'on la remplisse de rires et de bruit, le fond de l'âme n'en reste pas moins sérieux et même frappé d'une espèce de langueur qui tient au climat et au caractère des hommes et des choses environnantes. Le Berrichon est lourd. Quand, par exception, il a la tête vive et le sang chaud, il s'expatrie, irrité de ne pouvoir rien agiter autour de lui; ou, s'il est condamné à rester chez nous, il se jette dans le vin et la débauche, mais tristement, à la manière des Anglais, dont le sang a été mêlé plus qu'on ne croit à sa race. Quand un Gascon est gris, un Berrichon est déjà ivre, et quand l'autre est un peu ivre, limite qu'il ne dépassera guère, le Berrichon est complétement saoûl et ira s'abêtissant jusqu'à ce qu'il tombe. Il faut bien dire ce vilain mot, le seul qui peigne l'effet de la boisson sur les gens d'ici. La mauvaise qualité du vin y est pour beaucoup; mais dans l'intempérance avec laquelle on en use, il faut bien voir une fatalité de ce tempérament mélancolique et flegmatique qui ne supporte pas l'excitation, et qui s'efforce de l'éteindre dans l'abrutissement.

      En dehors des ivrognes, qui sont nombreux, et dont le désordre réduit les familles à la misère ou au désespoir, la population est bonne et sage, mais froide et rarement aimable. On se voit peu, l'agriculture est peu avancée, pénible, patiente et absorbante pour le propriétaire. Le vivre est cher, relativement au Midi. L'hospitalité se fait donc rare, pour garder, à l'occasion, l'apparence du faste; et, par dessus tout, il y a une paresse, un effroi de la locomotion qui tiennent à la longueur des hivers, à la difficulté des transports et encore plus à la torpeur des esprits.

      Il

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