Œuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 04. Guy de Maupassant

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Œuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 04 - Guy de Maupassant

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fut trois jours sans revenir. Quand il reparut, il était pâli par ses réflexions, et plus grave que de coutume. Ayant pris à part M. de Courville: «Vous avez eu là une fameuse idée. Tâchez de la préparer à m'accepter. Sacrebleu, une femme comme ça, on la dirait faite pour moi. Nous chasserons ensemble toute l'année.»

      M. de Courville, certain qu'il ne serait pas refusé, répondit: «Faites votre demande tout de suite, mon cher. Voulez-vous que je m'en charge?» Mais le baron se troubla soudain; et balbutiant: «Non... non... il faut d'abord que je fasse un petit voyage... un petit voyage... à Paris. Dès que je serai revenu, je vous répondrai définitivement.» On n'en put obtenir d'autres éclaircissements et il partit le lendemain.

      Le voyage dura longtemps. Une semaine, deux semaines, trois semaines se passèrent, M. de Coutelier ne reparaissait pas. Les Courville, étonnés, inquiets, ne savaient que dire à leur amie qu'ils avaient prévenue de la démarche du baron. On envoyait tous les deux jours prendre chez lui de ses nouvelles; aucun de ses serviteurs n'en avait reçu.

      Or, un soir, comme Mme Vilers chantait en s'accompagnant au piano, une bonne vint, avec un grand mystère, chercher M. de Courville, en lui disant tout bas qu'un monsieur le demandait. C'était le baron, changé, vieilli, en costume de voyage. Dès qu'il vit son vieil ami, il lui saisit les mains, et d'une voix un peu fatiguée: «J'arrive à l'instant, mon cher, et j'accours chez vous, je n'en puis plus.» Puis il hésita, visiblement embarrassé: «Je voulais vous dire... tout de suite... que cette... cette affaire... vous savez bien... est manquée.»

      M. de Courville le regardait stupéfait: «Comment? manquée? Et pourquoi? — Oh! ne m'interrogez pas, je vous prie, ce serait trop pénible à dire, mais soyez sûr que j'agis en... en honnête homme. Je ne peux pas... Je n'ai pas le droit, vous entendez, pas le droit, d'épouser cette dame. J'attendrai qu'elle soit partie pour revenir chez vous; il me serait trop douloureux de la revoir. Adieu.»

      Et il s'enfuit.

      Toute la famille délibéra, discuta, supposa mille choses. On conclut qu'un grand mystère était caché dans la vie du baron, qu'il avait peut-être des enfants naturels, une vieille liaison. Enfin l'affaire paraissait grave et, pour ne point entrer en des complications difficiles, on prévint habilement Mme Vilers, qui s'en retourna veuve comme elle était venue.

      Trois mois encore se passèrent. Un soir, comme il avait fortement dîné et qu'il titubait un peu, M. de Coutelier, en fumant sa pipe le soir avec M. de Courville, lui dit: «Si vous saviez comme je pense souvent à votre amie, vous auriez pitié de moi.»

      L'autre, que la conduite du baron en cette circonstance avait un peu froissé, lui dit sa pensée vivement: «Sacrebleu, mon cher, quand on a des secrets dans son existence, on ne s'avance pas d'abord comme vous l'avez fait; car, enfin, vous pouviez prévoir le motif de votre reculade, assurément.»

      Le baron confus cessa de fumer.

      «Oui et non. Enfin, je n'aurais pas cru ce qui est arrivé.»

      M. de Courville, impatienté, reprit: «On doit tout prévoir.»

      Mais M. de Coutelier, en sondant de l'œil les ténèbres pour être sûr qu'on ne les écoutait pas, reprit à voix basse:

      «Je vois bien que je vous ai blessé et je vais tout vous dire pour me faire excuser. Depuis vingt ans, mon ami, je ne vis que pour la chasse. Je n'aime que ça, vous le savez, je ne m'occupe que de ça. Aussi, au moment de contracter des devoirs envers cette dame, un scrupule, un scrupule de conscience m'est venu. Depuis le temps que j'ai perdu l'habitude de... de... de l'amour, enfin, je ne savais plus si je serais encore capable de... de... vous savez bien... Songez donc? voici maintenant seize ans exactement que... que... que... pour la dernière fois, vous comprenez. Dans ce pays-ci, ce n'est pas facile de... de... vous y êtes. Et puis j'avais autre chose à faire, j'aime mieux tirer un coup de fusil. Bref, au moment de m'engager devant le maire et le prêtre à... à... ce que vous savez, j'ai eu peur. Je me suis dit: Bigre, mais si... si... j'allais rater. Un honnête homme ne manque jamais à ses engagements et je prenais là un engagement sacré vis-à-vis de cette personne. Enfin, pour en avoir le cœur net, je me suis promis d'aller passer huit jours à Paris.

      «Au bout de huit jours, rien, mais rien. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. J'ai pris ce qu'il y avait de mieux dans tous les genres. Je vous assure qu'elles ont fait ce qu'elles ont pu... Oui... certainement elles n'ont rien négligé... Mais que voulez-vous, elles se retiraient toujours... bredouilles... bredouilles... bredouilles.

      «J'ai attendu alors quinze jours, trois semaines, espérant toujours. J'ai mangé dans les restaurants un tas de choses poivrées, qui m'ont perdu l'estomac, et... et... rien... toujours rien.

      «Vous comprenez que, dans ces circonstances, devant cette constatation, je ne pouvais que... que... que me retirer. Ce que j'ai fait.»

      M. de Courville se tordait pour ne pas rire. Il serra gravement les mains du baron en lui disant: «Je vous plains,» et le reconduisit jusqu'à mi-chemin de sa demeure. Puis, lorsqu'il se trouva seul avec sa femme, il lui dit tout, en suffoquant de gaieté. Mais Mme de Courville ne riait point; elle écoutait, très attentive, et lorsque son mari eut achevé, elle répondit avec un grand sérieux: «Le baron est un niais, mon cher; il avait peur, voilà tout. Je vais écrire à Berthe de revenir, et bien vite.»

      Et comme M. de Courville objectait le long et inutile essai de leur ami, elle reprit: «Bah! quand on aime sa femme, entendez-vous, cette chose-là... revient toujours.»

      Et M. de Courville ne répliqua rien, un peu confus lui-même.

       La Rouille a paru dans le Gil-Blas du jeudi 14 septembre 1882, sous le titre de M. de Coutelier et signé: Maufrigneuse.

      MARROCA

      Mon ami, tu m'as demandé de t'envoyer mes impressions, mes aventures, et surtout mes histoires d'amour sur cette terre d'Afrique qui m'attirait depuis si longtemps. Tu riais beaucoup, d'avance, de mes tendresses noires, comme tu disais, et tu me voyais déjà revenir suivi d'une grande femme en ébène, coiffée d'un foulard jaune, et ballottante en des vêtements éclatants.

      Le tour des Mauricaudes viendra sans doute, car j'en ai vu déjà plusieurs qui m'ont donné quelque envie de me tremper en cette encre; mais je suis tombé pour mon début sur quelque chose de mieux et de singulièrement original.

      Tu m'as écrit, dans ta dernière lettre: «Quand je sais comment on aime dans un pays, je connais ce pays à le décrire, bien que ne l'ayant jamais vu.» Sache qu'ici on aime furieusement. On sent, dès les premiers jours, une sorte d'ardeur frémissante, un soulèvement, une brusque tension des désirs, un énervement courant au bout des doigts, qui surexcitent à les exaspérer nos puissances amoureuses et toutes nos facultés de sensation physique, depuis le simple contact des mains jusqu'à cet innommable besoin qui nous fait commettre tant de sottises.

      Entendons-nous bien. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du cœur, l'amour des âmes, si l'idéalisme sentimental, le platonisme enfin, peut exister sous ce ciel; j'en doute même. Mais l'autre amour, celui des sens, qui a du bon, et beaucoup de bon, est véritablement terrible en ce climat. La chaleur, cette constante brûlure de l'air qui vous enfièvre, ces souffles suffocants du Sud, ces marées de feu venues du grand désert si proche, ce lourd siroco, plus ravageant, plus desséchant que la flamme, ce perpétuel incendie d'un continent tout entier brûlé jusqu'aux pierres par un énorme et dévorant soleil, embrasent le sang, affolent la chair, embestialisent.

      Mais

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