La mort de César. Voltaire
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SCENE I
Cesar, tu vas régner; voici le jour auguste,
Où le peuple Romain, pour toi toujours injuste
Changé par tes vertus, va reconnaître en toi
Son vainqueur, son appui, son vengeur, & son Roi.
Antoine, tu le fais, ne connaît point l'envie.
J'ai chéri plus que toi la gloire de ta vie;
J'ai préparé la chaîne où tu mets les Romains,
Content d'être sous toi le second des humains,
Plus fier de t'attacher ce nouveau Diadème,
Plus grand de te servir que de régner moi-même.
Quoi! tu ne me répons que par de longs soupirs!
Ta grandeur fait ma joie, & fait tes déplaisirs!
Roi de Rome & du Monde, est-ce à toi de te plaindre?
Cesar peut-il gémir, ou Cesar peut-il craindre?
Qui peut à ta grande âme inspirer la terreur?
L'amitié, cher Antoine; il faut t'ouvrir mon coeur.
Tu sais que je te quitte, & le destin m'ordonne
De porter nos drapeaux aux champs de Babylone.
Je pars, & vai venger sur le Parthe inhumain
La honte de Crassus & du peuple Romain.
L'aigle des légions, que je retiens encore,
Demande à s'envoler vers les mers du Bosphore;
Et mes braves soldats n'attendent pour signal,
Que de revoir mon front ceint du bandeau royal.
Peut-être avec raison Cesar peut entreprendre
D'attaquer un pays qu'a soumis Alexandre.
Peut-être les Gaulois, Pompée & les Romains,
Valent bien les Persans subjugués par ses mains.
J'ose au moins le penser; & ton ami se flate
Que le vainqueur du Rhin peut l'être de l'Euphrate.
Mais cet espoir m'anime, & ne m'aveugle pas.
Le sort peut se lasser de marcher sur mes pas:
La plus haute sagesse en est souvent trompée;
Il peut quitter Cesar, ayant trahi Pompée;
Et dans les factions, comme dans les combats,
Du triomphe à la chute il n'est souvent qu'un pas.
J'ai servi, commandé, vaincu, quarante années;
Du Monde entre mes mains j'ai vu les destinées;
Et j'ai toujours connu qu'en chaque évenement
le destin des Etats dépendait d'un moment.
Quoi qu'il puisse arriver, mon coeur n'a rien à craindre;
Je vaincrai sans orgueuil, ou mourrai sans me plaindre.
Mais j'exige en partant, de ta tendre amitié,
Qu'Antoine à mes enfans soit pour jamais lié;
Que Rome par mes mains défenduë & conquise,
que la Terre à mes fils, comme à toi, soit soumise;
Et qu'emportant d'ici le grand titre de Roi,
Mon sang & mon ami le prennent après moi.
Je te laisse aujourdhui ma volonté dernière.
Antoine, à mes enfans il faut servir de père.
Je ne veux point de toi demander des sermens,
De la foi des humains sacrés & vains garans;
Ta promesse suffit, & je la crois plus pure
Que les autels des Dieux entourés du parjure.
C'est déjà pour Antoine une assez dure loi,
Que tu cherches la guerre & le trépas sans moi,
Et que ton intérêt m'attache à l'Italie,
Quand la gloire t'appelle aux bornes de l'Asie.
Je m'afflige encor plus de voir que ton grand coeur
Doute de sa fortune, & présage un malheur:
Mais je ne comprens point ta bonté qui m'outrage,
Cesar, que me dis-tu, de tes fils, de partage?
Tu n'as de fils qu'Octave, & nulle adoption
N'a d'un autre Cesar appuyé ta maison.
Il n'est plus tems, ami, de cacher l'amertume,
Dont mon coeur paternel en secret se consume.
Octave n'est mon sang qu'à la faveur des lois:
Je l'ai nommé Cesar, il est fils de mon choix,
Le destin, (dois je dire, ou propice, ou sévère?)
D'un véritable fils en effet m'a fait père,
D'un fils que je chéris, mais qui pour mon malheur,
A ma tendre amitié répond avec horreur.
Et quel est cet enfant: Quel ingrat peut-il être,
Si peu digne du sang dont les Dieux l'ont fait naître?
Ecoute: Tu connais ce malheureux Brutus,
Dont Caton cultiva les farouches vertus,
De nos antiques lois ce défenseur austère,
Ce rigide ennemi du pouvoir arbitraire,
Qui toujours contre moi, les armes à la main,
De tous mes ennemis a suivi le destin;
Qui fut mon prisonnier aux champs de Thessalie;
A qui j'ai malgré lui sauvé deux fois la vie,
Né, nourri loin de moi chez mes fiers ennemis.
Brutus! il se pourrait…
Ne m'en crois pas. Tien, lis.
Dieux! la soeur de Caton, la fière Servilie!
Par un hymen secret elle me fut unie.
Ce farouche Caton, dans nos premiers débats,
La fit presqu'à mes yeux passer en d'autres bras:
Mais le jour qui forma ce second hyménée,
De son nouvel époux trancha la destinée.
Sous le nom de Brutus mon fils fut élevé.
Pour me haïr, ô Ciel! était-il reservé?
Mais lis: tu sauras tout par cet écrit funeste.
Cesar, je vais mourir. La colère céleste
Va finir à la fois ma vie & mon amour.
Souvien-toi qu'à Brutus Cesar donna le jour.
Adieu. Puisse ce fils éprouver pour son père
L'amitié qu'en mourant te conservait sa mère!
(Servilie)
Quoi! faut il que du sort la tyrannique loi,
Cesar,