Légendes rustiques. Жорж Санд

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Légendes rustiques - Жорж Санд

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répond d'un air mystérieux: Oh! elle n'est pas pour rester là! Sachez ce que parler veut dire, et ne vous amusez pas à la regarder: vous pourriez la mettre de mauvaise humeur contre vous et la retrouver, le lendemain, dans votre jardin, tout au beau milieu de vos cloches à melons ou de vos plates-bandes de fleurs.

      Les Demoiselles

      J'en viyons5 une, j'en viyons deux,

      Que n'aviant ni bouches ni z'yeux;

      J'en viyons trois, j'en viyons quatre,

      Je les ârions bien voulu battre.

      J'en viyons cinq, j'en viyons six

      Qui n'aviant pas les reins bourdis6

      Darrier s'en venait la septième,

      J'avons jamais vu la huitième.

Ancien couplet recueilli par Maurice SAND.

      Les Demoiselles du Berry nous paraissent cousines des Milloraines de Normandie, que l'auteur de la Normandie merveilleuse décrit comme des êtres d'une taille gigantesque. Elles se tiennent immobiles et leur forme, trop peu distincte, ne laisse reconnaître ni leurs membres ni leur visage. Lorsqu'on s'approche, elles prennent la fuite par une succession de bonds irréguliers très rapides.

      Les demoiselles ou filles blanches sont de tous les pays. Je ne les crois pas d'origine gauloise, mais plutôt française du moyen-âge. Quoi qu'il en soit, je rapporterai une des légendes les plus complètes que j'aie pu recueillir sur leur compte.

      Un gentilhomme du Berry, nommé Jean de La Selle, vivait, au siècle dernier, dans un castel situé au fond des bois de Villemort. Le pays, triste et sauvage, s'égaye un peu à la lisière des forêts, là où le terrain sec, plat et planté de chênes, s'abaisse vers des prairies que noient une suite de petits étangs assez mal entretenus aujourd'hui.

      Déjà, au temps dont nous parlons, les eaux séjournaient dans les prés de M. de La Selle, le bon gentilhomme n'ayant pas grand bien pour faire assainir ses terres. Il en avait une assez grande étendue, mais de chétive qualité et de petit rapport.

      Néanmoins, il vivait content, grâce à des goûts modestes et à un caractère sage et enjoué. Ses voisins le recherchaient pour sa bonne humeur, son grand sens et sa patience à la chasse. Les paysans de son domaine et des environs le tenaient pour un homme d'une bonté extraordinaire et d'une rare délicatesse. On disait de lui que plutôt que de faire tort d'un fétu à un voisin, quel qu'il fût, il se laisserait prendre sa chemise sur le corps et son cheval entre les jambes.

      Or, il advint qu'un soir, M. de La Selle ayant été à la foire de la Berthenoux pour vendre une paire de bœufs, revenait par la lisière du bois, escorté par son métayer, le grand Luneau, qui était un homme fin et entendu, et portant, sur la croupe maigre de sa jument grise, la somme de six cents livres en grands écus plats à l'effigie de Louis XIV. C'était le prix des bestiaux vendus.

      En bon seigneur de campagne qu'il était, M. de La Selle avait dîné sous la ramée, et comme il n'aimait point à boire seul, il avait fait asseoir devant lui le grand Luneau et lui avait versé le vin de crû sans s'épargner lui-même, afin de le mettre à l'aise en lui donnant l'exemple. Si bien que le vin, la chaleur et la fatigue de la journée et, par-dessus tout cela, le trot cadencé de la grise avaient endormi M. de La Selle, et qu'il arriva chez lui sans trop savoir le temps qu'il avait marché ni le chemin qu'il avait suivi. C'était l'affaire de Luneau de le conduire, et Luneau l'avait bien conduit, car ils arrivaient sains et saufs; leurs chevaux n'avaient pas un poil mouillé. Ivre, M. de La Selle ne l'était point. De sa vie, on ne l'avait vu hors de sens. Aussi dès qu'il se fut débotté, il dit à son valet de porter sa valise dans sa chambre, puis il s'entretint fort raisonnablement avec le grand Luneau, lui donna le bonsoir et s'alla coucher sans chercher son lit. Mais le lendemain, lorsqu'il ouvrit sa valise pour y prendre son argent, il n'y trouva que de gros cailloux et, après de vaines recherches, force lui fut de constater qu'il avait été volé.

      Le grand Luneau, appelé et consulté, jura sur son chrême et son baptême, qu'il avait vu l'argent bien compté dans la valise, laquelle il avait chargée et attachée lui-même sur la croupe de la jument. Il jura aussi sur sa foi et sa loi, qu'il n'avait pas quitté son maître de l'épaisseur d'un cheval, tant qu'ils avaient suivi la grand'route. Mais il confessa qu'une fois entré dans le bois, il s'était senti un peu lourd, et qu'il avait pu dormir sur sa bête environ l'espace d'un quart d'heure. Il s'était vu tout d'un coup auprès de la Gâgne-aux-Demoiselles et, depuis ce moment, il n'avait plus dormi et n'avait pas rencontré figure de chrétien.

      – Allons, dit M. de La Selle, quelque voleur se sera moqué de nous. C'est ma faute encore plus que la tienne, mon pauvre Luneau, et le plus sage est de ne point se vanter. Le dommage n'est que pour moi, puisque tu ne partages point dans la vente du bétail. J'en saurai prendre mon parti, encore que la chose me gêne un peu. Cela m'apprendra à ne plus m'endormir à cheval.

      Luneau voulut en vain porter ses soupçons sur quelques braconniers besogneux de l'endroit. – Non pas, non pas, répondit le brave hobereau; je ne veux accuser personne. Tous les gens du voisinage sont d'honnêtes gens. N'en parlons plus. J'ai ce que je mérite.

      – Mais peut-être bien que vous m'en voulez un peu, notre maître…

      – Pour avoir dormi? Non, mon ami; si je t'eusse confié la valise, je suis sur que tu te serais tenu éveillé. Je ne m'en prends qu'à moi, et ma foi, je ne compte pas m'en punir par trop de chagrin. C'est assez d'avoir perdu l'argent, sauvons la bonne humeur et l'appétit.

      – Si vous m'en croyez, pourtant, notre maître, vous feriez fouiller la Gâgne-aux-Demoiselles.

      – La Gâgne-aux-Demoiselles est une fosse herbue qui a bien un demi-quart de lieue de long; ce ne serait pas une petite affaire de remuer toute cette vase, et d'ailleurs qu'y trouverait-on? Mon voleur n'aura pas été si sot que d'y semer mes écus!

      – Vous direz ce que vous voudrez, notre maître, mais le voleur n'est peut-être pas fait comme vous penser!

      – Ah! Ah! mon grand Luneau, toi aussi tu crois que les demoiselles sont des esprits malins qui se plaisent à jouer de mauvais tours!

      – Je n'en sais rien, notre maître, mais je sais bien qu'étant là un matin, devant jour, avec mon père, nous les vîmes comme je vous vois; mêmement que, rentrant à la maison bien épeurés, nous n'avions plus ni chapeaux, ni bonnets sur nos têtes, ni chaussures à nos pieds, ni couteaux dans nos poches. Elles sont malignes, allez! Elles ont l'air de se sauver, mais, sans vous toucher, elles vous font perdre tout ce qu'elles peuvent et en profitent, car on ne le retrouve jamais. Si j'étais de vous, je ferais assécher tout ce marécage. Votre pré en vaudra mieux et les demoiselles auraient bientôt délogé; car il est à la connaissance de tout homme de bon sens qu'elles n'aiment point le sec et qu'elles s'envolent de mare en mare et d'étang en étang, à mesure qu'on leur ôte le brouillard dont elles se nourrissent.

      – Mon ami Luneau, répondit M. de La Selle, dessécher le marécage serait, à coup sûr, une bonne affaire pour le pré. Mais, outre qu'il y faudrait les six cents livres que j'ai perdues, j'y regarderais encore à deux fois avant de déloger les demoiselles. Ce n'est pas que j'y croie précisément, ne les ayant jamais vues, non plus qu'aucun autre farfadet de même étoffe; mais mon père y croyait un peu, et ma grand-mère y croyait tout à fait. Quand on en parlait, mon père disait: «Laissez les demoiselles tranquilles; elles n'ont jamais fait de mal à moi ni à personne.» et ma grand-mère disait: «Ne tourmentez et ne conjurez jamais les demoiselles; leur présence est un bien dans une terre, et

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<p>5</p>

Nous en vîmes.

<p>6</p>

Fatigués à force de sauter.