Napoléon Le Petit. Виктор Мари Гюго

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Napoléon Le Petit - Виктор Мари Гюго

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ainsi. Pourquoi voulez-vous que cette situation change? pourquoi voulez-vous que cette situation finisse? Ne vous faites pas illusion, ceci est solide, ceci est stable, ceci est le présent et l'avenir.»

      Nous sommes en Russie. La Néva est prise. On bâtit des maisons dessus; de lourds chariots lui marchent sur le dos. Ce n'est plus de l'eau, c'est de la roche. Les passants vont et viennent sur ce marbre qui a été un fleuve. On improvise une ville, on trace des rues, on ouvre des boutiques, on vend, on achète, on boit, on mange, on dort, on allume du feu sur cette eau. On peut tout se permettre. Ne craignez rien, faites ce qu'il vous plaira, riez, dansez, c'est plus solide que la terre ferme. Vraiment, cela sonne sous le pied comme du granit. Vive l'hiver! vive la glace! en voilà pour l'éternité. Et regardez le ciel, est-il jour? est-il nuit? Une lueur blafarde et blême se traîne sur la neige; on dirait que le soleil meurt.

      Non, tu ne meurs pas, liberté! Un de ces jours, au moment où on s'y attendra le moins, à l'heure même où on t'aura le plus profondément oubliée, tu te lèveras! – ô éblouissement! on verra tout à coup ta face d'astre sortir de terre et resplendir à l'horizon. Sur toute cette neige, sur toute cette glace, sur cette plaine dure et blanche, sur cette eau devenue bloc, sur tout cet infâme hiver, tu lanceras ta flèche d'or, ton ardent et éclatant rayon! la lumière, la chaleur, la vie! – Et alors, écoutez! entendez-vous ce bruit sourd? entendez-vous ce craquement profond et formidable? c'est la débâcle! c'est la Néva qui s'écroule! c'est le fleuve qui reprend son cours! c'est l'eau vivante, joyeuse et terrible qui soulève la glace hideuse et morte et qui la brise! – C'était du granit, disiez-vous; voyez, cela se fend comme une vitre! c'est la débâcle, vous dis-je! c'est la vérité qui revient; c'est le progrès qui recommence, c'est l'humanité qui se remet en marche et qui charrie, entraîne, arrache, emporte, heurte, mêle, écrase et noie dans ses flots, comme les pauvres misérables meubles d'une masure, non-seulement l'empire tout neuf de Louis Bonaparte, mais toutes les constructions et toutes les oeuvres de l'antique despotisme éternel! Regardez passer tout cela. Cela disparaît à jamais. Vous ne le reverrez plus. Ce livre à demi submergé, c'est le vieux code d'iniquité! Ce tréteau qui s'engloutit, c'est le trône! cet autre tréteau qui s'en va, c'est l'échafaud!

      Et pour cet engloutissement immense, et pour cette victoire suprême de la vie sur la mort, qu'a-t-il fallu? Un de tes regards, ô soleil! un de tes rayons, ô liberté!

      V

BIOGRAPHIE

      Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris le 20 avril 1808, est fils d'Hortense de Beauharnais, mariée par l'empereur à Louis-Napoléon, roi de Hollande. En 1831, mêlé aux insurrections d'Italie, où son frère aîné fut tué, Louis Bonaparte essaya de renverser la papauté. Le 30 octobre 1835 il tenta de renverser Louis-Philippe. Il avorta à Strasbourg, et, gracié par le roi, s'embarqua pour l'Amérique, laissant juger ses complices derrière lui. Le 11 novembre il écrivait: «Le roi, dans sa clémence, a ordonné que je fusse conduit en Amérique»; il se déclarait «vivement touché de la générosité du roi», ajoutant: «Certes nous sommes tous coupables envers le gouvernement d'avoir pris les armes contre lui, mais le plus coupable, c'est moi», et terminait ainsi: «J'étais coupable envers le gouvernement; or le gouvernement a été généreux envers moi4.» Il revint d'Amérique en Suisse, se fit nommer capitaine d'artillerie à Berne et bourgeois de Salenstein en Turgovie, évitant également, au milieu des complications diplomatiques causées par sa présence, de se déclarer français et de s'avouer suisse, et se bornant, pour rassurer le gouvernement français, à affirmer, par une lettre du 20 août 1838, qu'il vit «presque seul» dans la maison «où sa mère est morte», et que sa ferme volonté «est de rester tranquille». Le 6 août 1840, il débarqua à Boulogne, parodiant le débarquement à Cannes, coiffé du petit chapeau5, apportant un aigle doré au bout d'un drapeau et un aigle vivant dans une cage, force proclamations, et soixante valets, cuisiniers et palefreniers, déguisés en soldats français avec des uniformes achetés au Temple et des boutons du 42e de ligne fabriqués à Londres. Il jette de l'argent aux passants dans les rues de Boulogne, met son chapeau à la pointe de son épée, et crie lui-même: vive l'empereur; tire à un officier6 un coup de pistolet qui casse trois dents à un soldat, et s'enfuit. Il est pris, on trouve sur lui cinq cent mille francs en or et en bank-notes7; le procureur général Franck-Carré lui dit en pleine cour des pairs: «Vous avez fait pratiquer l'embauchage et distribuer l'argent pour acheter la trahison.» Les pairs le condamnent à la prison perpétuelle. On l'enferme à Ham. Là son esprit parut se replier et mûrir; il écrivit et publia des livres empreints, malgré une certaine ignorance de la France et du siècle, de démocratie et de progrès: l'Extinction du paupérisme, l'Analyse de la question des sucres, les Idées napoléoniennes, où il fit l'empereur «humanitaire». Dans un livre intitulé Fragments historiques, il écrivit: «Je suis citoyen avant d'être Bonaparte.» Déjà en 1832, dans son livre des Rêveries politiques, il s'était déclaré «républicain». Après six ans de captivité, il s'échappa de la prison de Ham, déguisé en maçon, et se réfugia en Angleterre. Février arriva, il acclama la république, vint siéger comme représentant du peuple à l'assemblée constituante, monta à la tribune le 21 septembre 1848, et dit: «Toute ma vie sera consacrée à l'affermissement de la république», publia un manifeste qui peut se résumer en deux lignes: liberté, progrès, démocratie, amnistie, abolition des décrets de proscription et de bannissement; fut élu président par cinq millions cinq cent mille voix, jura solennellement la constitution le 20 décembre 1848, et, le 2 décembre 1851, la brisa. Dans l'intervalle il avait détruit la république romaine et restauré en 1849 cette papauté qu'il voulait jeter bas en 1831. Il avait en outre pris on ne sait quelle part à l'obscure affaire dite Loterie des lingots d'or; dans les semaines qui ont précédé le coup d'état, ce sac était devenu transparent et l'on y avait aperçu une main qui ressemblait à la sienne. Le 2 décembre et les jours suivants, il a, lui pouvoir exécutif, attenté au pouvoir législatif, arrêté les représentants, chassé l'assemblée, dissous le conseil d'état, expulsé la haute cour de justice, supprimé les lois, pris vingt-cinq millions à la Banque, gorgé l'armée d'or, mitraillé Paris, terrorisé la France; depuis il a proscrit quatrevingt-quatre représentants du peuple, volé aux princes d'Orléans les biens de Louis-Philippe leur père, auquel il devait la vie, décrété le despotisme en cinquante-huit articles sous le titre de constitution, garrotté la république, fait de l'épée de la France un bâillon dans la bouche de la liberté, brocanté les chemins de fer, fouillé les poches du peuple, réglé le budget par ukase, déporté en Afrique et à Cayenne dix mille démocrates, exilé en Belgique, en Espagne, en Piémont, en Suisse et en Angleterre quarante mille républicains, mis dans toutes les âmes le deuil et sur tous les fronts la rougeur.

      Louis Bonaparte croit monter au trône, il ne s'aperçoit pas qu'il monte au poteau.

      VI

PORTRAIT

      Louis Bonaparte est un homme de moyenne taille, froid, pâle, lent, qui a l'air de n'être pas tout à fait réveillé. Il a publié, nous l'avons rappelé déjà, un traité assez estimé sur l'artillerie, et connaît à fond la manoeuvre du canon. Il monte bien à cheval. Sa parole traîne avec un léger accent allemand. Ce qu'il y a d'histrion en lui a paru au tournoi d'Eglington. Il a la moustache épaisse et couvrant le sourire comme le duc d'Albe, et l'oeil éteint comme Charles IX.

      Si on le juge en dehors de ce qu'il appelle «ses actes nécessaires» ou «ses grands actes», c'est un personnage vulgaire, puéril, théâtral et vain. Les personnes invitées chez lui, l'été, à Saint-Cloud, reçoivent, en même temps que l'invitation, l'ordre d'apporter une toilette du matin et une toilette du soir. Il aime la gloriole, le pompon, l'aigrette, la broderie, les paillettes et les passe quilles, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. En sa qualité de parent de la bataille d'Austerlitz,

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<p>4</p>

Lettre lue à la cour d'assises par l'avocat Parquin qui, après l'avoir lue, s'écria: «Parmi les nombreux défauts de Louis-Napoléon, il ne faut pas du moins compter l'ingratitude.»

<p>5</p>

Cour des pairs. Attentat du 6 août 1840, page 140; témoin, Geoffroy, grenadier.

<p>6</p>

Le capitaine Col-Puygellier, qui lui avait dit: Vous êtes un conspirateur et un traître.

<p>7</p>

Cour des pairs. Témoin Adam, maire de Boulogne.