Les mystères du peuple, Tome I. Эжен Сю

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Les mystères du peuple, Tome I - Эжен Сю

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depuis 1830; jugement et exécution dans les vingt-quatre heures, afin d'écraser dans leur venin tous les révolutionnaires, tous les impies… une terreur, une Saint-Barthélemy s'il le faut… La France n'en mourra pas; au contraire, elle crève de pléthore, elle a besoin d'être saignée à blanc de temps à autre. Second point: Donner l'instruction publique à la compagnie de Jésus… elle seule peut mater l'espèce. Troisième point: Briser le faisceau de la centralisation; elle a fait la force de la révolution… Il faut, au contraire, isoler les provinces en autant de petits centres, où, seuls, nous dominerons par le clergé ou nos grandes propriétés; restreindre, empêcher s'il est possible les rapports des populations entre elles. Il n'est point bon pour nous que les hommes se rapprochent, se fréquentent; et pour les diviser, réveiller d'urgence les rivalités, les jalousies, et s'il le faut les vieilles haines provinciales. En ce sens un brin de guerre civile serait d'un favorable expédient comme germe d'animosités implacables.

      Puis, prenant sa prise, le cardinal ajouta:

      – Les gens divisés par la haine ne conspirent point.

      L'impitoyable logique de ce prêtre répugnait à M. de Plouernel; malgré son infatuation et ses préjugés de race, il s'arrangeait assez du temps présent; sans doute il eût préféré le règne de ses rois légitimes; mais il ne réfléchissait pas que, qui veut la fin, veut les moyens, et qu'une restauration complète, absolue, pour être durable aux yeux de ses partisans, ne pouvait avoir lieu et se soutenir que par les terribles moyens dont le cardinal venait de faire une complaisante exposition. Aussi le colonel reprit-il en souriant:

      – Mais, mon oncle, songez-y donc! de nos jours isoler les populations entre elles, c'est impossible! et les routes stratégiques! et les chemins de fer!

      – Les chemins de fer?.. – s'écria le cardinal courroucé; – invention du diable, bonne à faire circuler d'un bout de l'Europe à l'autre la peste révolutionnaire! Aussi notre saint père n'en veut point dans ses états, de chemin de fer, et il a raison. Il est inouï que les monarques de la sainte-alliance se soient laissés aller à ces nouveautés diaboliques! Ils les payeront cher peut-être? Qu'ont fait nos aïeux lors de la conquête? pour dompter et asservir cette mauvaise race gauloise, notre vassale de naissance et d'espèce, qui s'est tant de fois rebellée contre nous? nos aïeux l'ont parquée dans leurs domaines, avec défense d'en sortir sous peine de mort. Ainsi enchaînée à la glèbe, ainsi isolée, abrutie, l'engeance est plus domptable… c'est là qu'il faut tendre et arriver.

      – Mais encore une fois, cher oncle, vous n'irez pas détruire les grandes routes et les chemins de fer?

      – Pourquoi non? est-ce que les Francs, nos aïeux, par une excellente politique, n'ont pas ruiné ces grandes voies de communications fondées en Gaule par ces païens de Romains? est-ce que l'on ne peut pas lancer sur les chemins de fer toutes les brutes que cette invention infernale a dépossédées de leur industrie? Anathème… anathème sur ces orgueilleux monuments de la superbe de Satan!.. Par le sang de ma race! si l'on ne l'arrêtait pas dans ses inventions sacriléges, l'homme finirait, Dieu me garde! par changer sa vallée de larmes en un paradis terrestre! comme si la tâche originelle ne le condamnait point à la douleur pour l'éternité.

      – Corbleu! cher oncle, un moment, – s'écria le colonel. – Je ne tiens pas, moi, à accomplir si scrupuleusement ma destinée!

      – Grand enfant! – dit le cardinal en prisant son tabac. – Pour que l'immense majorité de la race d'Adam souffre et ait une conscience méritoire de sa souffrance, ne faut-il pas qu'il y ait toujours en évidence un bon petit nombre d'heureux en ce monde?

      – J'entends… Pour le contraste, n'est-ce pas, cher oncle?

      – Nécessairement… On ne s'aperçoit de la profondeur des vallées qu'à la hauteur des montagnes. Mais assez philosopher… Tu le sais, j'ai le coup d'œil juste, prompt et sûr… la position est telle que je te le dis… Je te le répète, fais comme moi, réalise toutes tes valeurs négociables en or et en bon papier sur Londres, envoie ta démission aujourd'hui, et partons demain. L'aveuglement de ces gens-là est tel, qu'ils ne craignent rien; tu le dis toi-même… Presque aucune disposition militaire n'est prise… tu peux donc sans blesser en rien le point d'honneur militaire quitter ton régiment, et m'accompagner.

      – Impossible, mon cher oncle… ce serait une lâcheté.

      – Une lâcheté!..

      – Si la république s'établit, ce ne sera pas sans coups de fusil, et j'en veux ma part… quitte à rendre politesse pour politesse à bons coups de mousqueton! car, je vous en réponds, mes dragons chargeront cette canaille à cœur joie.

      – Ainsi, tu vas défendre le trône de ces misérables d'Orléans, – s'écria le cardinal avec un éclat de rire sardonique, – toi, un Plouernel?

      – Mon cher oncle, vous le savez, je ne me suis pas rallié aux d'Orléans; ainsi que vous, je ne les aime pas… Je me suis rallié à l'armée, parce que j'ai du goût pour l'état militaire; l'armée n'a pas d'autre opinion que la discipline… Encore une fois, si vous voyez juste, et votre vieille expérience me fait supposer que vous ne vous trompez pas, il y aura bataille ces jours-ci… Je serais donc un misérable de donner ma démission la veille d'une affaire.

      – De sorte que tu tiens extrêmement à risquer de te faire égorger par la populace sur une barricade pour le plus grand appui de la dynastie d'Orléans?

      – Je suis soldat… je tiens à faire jusqu'au bout mon métier de soldat.

      – Mais, maudit opiniâtre, si tu es tué, notre maison tombe de lance en quenouille.

      – Je vous ai promis, cher oncle, de me marier quand j'aurai quarante ans…

      – Mais d'ici là, songez-y donc, cette guerre des rues est atroce… mourir dans la boue d'un ruisseau, massacré par des gueux en haillons!

      – Je me donnerai du moins le régal d'en sabrer quelques-uns; et si je succombe, – dit en riant le colonel, – vous trouverez toujours bien de mon fait quelque petit bâtard de Plouernel… que vous adopterez, cher oncle… il continuera notre nom… Les bâtards portent souvent bonheur aux grandes maisons.

      – Triple fou! jouer ainsi ta vie… au moment où l'avenir n'a jamais été plus beau pour nous! au moment où, après avoir été vaincus, abaissés, bafoués, par les fils de ceux qui, depuis quatorze siècles, étaient nos vassaux et nos serfs, nous allons enfin effacer d'un trait, cinquante ans de honte! au moment où, instruits par l'expérience, servis par les événements, nous allons redevenir plus puissants qu'avant 89!.. Tiens, tu me fais pitié… Tu as raison, les races dégénèrent, – s'écria l'intraitable vieillard en se levant. – Ce serait à désespérer de notre cause si tous les nôtres te ressemblaient.

      Le valet de chambre, entrant de nouveau après avoir frappé, dit à M. de Plouernel:

      – Monsieur le comte, c'est le marchand de toile de la rue Saint-Denis… il attend dans l'antichambre.

      – Faites-le entrer dans le salon des portraits, – répondit le comte… – J'y vais à l'instant.

      Le domestique sorti, le colonel dit au cardinal, qu'il vit prendre brusquement son chapeau et se diriger vers la porte.

      – Pour Dieu, mon oncle, ne vous en allez pas ainsi fâché…

      – Je ne m'en vais pas fâché, je m'en vais honteux; car tu portes notre nom.

      – Allons,

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