Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

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dans les Gaules dès une époque reculée, fut de préférence adopté pour toutes les clôtures à jour fabriquées pendant le moyen âge en France. L'art du forgeron était d'ailleurs développé chez nous, et il se perfectionna singulièrement pendant les XIe et XIIe siècles. Il faut savoir qu'alors on n'avait pas les moyens de fabrication introduits par l'industrie moderne; le fer était étendu en plaques ou corroyé en forme de barres, à la main, sans le secours de ces cylindres puissants qui, aujourd'hui, réduisent instantanément un bloc de fer rouge en fil de fer. Obtenir une barre de fer longue, d'une égale épaisseur, bien équarrie et dressée, c'était là une première difficulté, dont nous ne pouvons avoir une idée, puisque tous les fers nous sont livrés, par les usines, réduits en barres de toutes grosseurs et de sections très-variées, sans que la main du forgeron ait en rien participé à ce premier travail. Bien que l'on ne puisse méconnaître les immenses avantages de la fabrication mécanique, il est certain cependant que les forgerons ont dû peu à peu perdre l'habitude de manier le fer et d'en connaître les qualités. Il y a vingt-cinq ans, on aurait vainement cherché à Paris un forgeron capable de façonner la grille la plus simple, et si nous en trouvons aujourd'hui, c'est grâce aux recherches sur les arts industriels du moyen âge, grâce à quelques-uns de ces architectes, qui, au dire de plusieurs, ne tendent à rien moins qu'à faire rétrograder l'art de l'architecture vers la barbarie. Ceci dit, afin de rendre à chacun ce qui lui est dû, occupons-nous des grilles. On comprendra sans peine que, lorsqu'il fallait réduire à la main un morceau de fer rougi en une barre, on évitait autant que possible de donner à ces barres une grande longueur. Le forgeron, obligé de retourner le bloc sur l'enclume et de l'amener peu à peu aux dimensions d'une tringle équarrie, ne pouvait dépasser certaines dimensions assez peu étendues, et devait chercher, par des combinaisons d'assemblage, à éviter les pièces très-longues, par conséquent très-lourdes. Cela seul explique pourquoi les plus anciennes grilles sont composées autant que possible, de petites pièces de forge.

      Une des plus anciennes grilles que nous connaissions, et qui soit une oeuvre d'art, se trouve dans la cathédrale du Puy-en-Vélay. Cette grille ouvrante, à un vantail, se compose d'un châssis de fer de 0,04 c. sur 0,02 c. d'épaisseur, contenant quatre traverses séparées par des montants de 0,015m sur 0,02 c., entre lesquels sont disposés des rinceaux de fer très-artistement composés. Cette grille date, pensons-nous, du commencement du XIIe siècle. En voici un fragment (1).

      Dans la hauteur, on compte cinq panneaux de brindilles soudées à des embases et arrêtées aux montants par des embrasses B. Ces embrasses ne sont pas soudées, mais simplement contournées à chaud. Le fer forgé à la main présentant toujours des irrégularités, le forgeron, pour dissimuler ces défauts, a eu l'idée de couvrir les montants, les brindilles et leurs embases, de coups de poinçon et de burin qui donnent à cette ferronnerie un aspect brillant, précieux et fin. Le détail (2) indique ce genre de travail fait à froid. L'irrégularité même du travail donne un charme particulier à ces pièces de forge dans lesquelles on sent partout la main de l'homme. Les montants de cette grille sont posés de champ et portent, ainsi que nous l'avons dit, 0,015m sur 0,02 c. Les brindilles ont en moyenne 0,007m sur 0,015m.

      Pendant le cours du XIIe siècle, le mode de fabrication des grilles ne se modifie guère; ce sont toujours des montants compris dans des châssis et renfermant des ornements composés de brindilles de fer à section carrée ou méplate. Quand on veut donner beaucoup de force aux grilles, les montants, comme les brindilles, se présentent de champ (3); quand, au contraire, on prétend donner un aspect léger à ces grilles, les montants et brindilles présentent à la vue leur côté large (4). Ceci peut paraître étrange, car le tracé géométral produit précisément l'effet contraire; mais les architectes du moyen âge ne se préoccupaient pas de l'effet géométral, purement de convention. Il est clair que, toute grille se voyant obliquement dans la plus grande partie de sa surface, si les fers sont posés de champ, leurs côtés larges apparaissent et se développent, ce qui donne un aspect robuste à l'ouvrage; si les fers, au contraire, sont posés de plat, leurs faces larges diminuent par l'effet de la perspective, et les surfaces étroites n'empiètent point sur les vides.

      La fig. 5, qui donne le même dessin de grille, l'un, celui A, obtenu avec des fers de champ, l'autre, celui B, avec des fers de plat, fera comprendre cette loi si simple et si peu observée généralement, par suite de l'habitude que nous avons prise de ne pas nous préoccuper de l'effet perspectif en exécution. D'après le tracé géométral, la grille A semblerait légère et la grille B paraîtrait robuste, tandis qu'en exécution c'est le contraire qui a lieu.

      Vers la fin du XIIe siècle, cependant, les serruriers cherchèrent, parfois, d'autres combinaisons que celles données par des enroulements de brindilles compris entre des montants et des traverses: ils assemblèrent ensemble, avec beaucoup d'adresse, des panneaux d'ornements formant, par leur réunion, de grands dessins. Cela toutefois ne fut guère employé que pour des clôtures délicates et composées de fers très-minces. M. Didron possède une très-jolie grille de ce genre, qui a été gravée dans les Annales archéologiques 17, et qui appartient certainement à la serrurerie si remarquable de la fin du XIIe siècle et du commencement du XIIIe. Ces grilles, composées de brindilles enroulées et seulement ornées de quelques coups de poinçons ou de gravures, semblèrent trop pauvres aux forgerons du XIIe siècle, lorsqu'il fallut entourer des sanctuaires, fermer certaines parties importantes des édifices religieux ou civils; bientôt ils terminèrent ces brindilles par des ornements enlevés à chaud au moyen d'une étampe ou matrice de fer trempé. C'est ainsi que sont fabriquées les belles grilles dont nous voyons encore quelques débris dans l'église abbatiale de Saint-Denis, et dont nous donnons ici un spécimen (6).

      Ces grilles, qui datent de la fin du XIIe siècle, sont forgées avec une rare perfection, et il semble qu'entre les mains de l'ouvrier le fer avait acquis la malléabilité du plomb. Les ornements ne sont étampés que sur une face. Notre figure est au quart de l'exécution; en A, nous avons tracé la section d'une des brindilles, moitié d'exécution. L'abbé Suger avait fait faire pour son église des grilles en cuivre fondu, ainsi que le constatent les auteurs contemporains et Dom Doublet qui les avait vues; elles ont été détruites au commencement du dernier siècle. On observera que le système de grilles en fer composées de panneaux d'ornements compris entre des montants et traverses offrait en même temps beaucoup de solidité et de légèreté; ces panneaux pouvaient être facilement montés, démontés ou réparés, riches ou simples, très-fournis ou grêles. Il arrivait que ces panneaux étaient parfois embrevés entre des montants munis de plaques de fer débordant leur largeur et formant ainsi une suite de rainures. Beaucoup de sanctuaires d'églises étaient fermés par des grilles ainsi combinées; nous en trouvons encore un assez bel exemple dans le choeur de l'église abbatiale de Saint-Germer 18, et, de tous côtés, des débris qui nous font assez voir que leur emploi était fréquent, que ces sortes d'ouvrages n'étaient point très-rares, et que les forgerons les façonnaient sans difficulté. Des armoires contenant des objets précieux, des tombeaux, des châsses, étaient entourés parfois de grilles d'une extrême richesse, surtout à l'époque où l'art du forgeron nous fournit les plus beaux exemples de serrurerie, nous voulons parler du XIIIe siècle (voy. SERRURERIE). Ces sortes de grilles ne sont décorées que du côté de la face extérieure, et les brindilles, au lieu d'être comprises entre des montants et des traverses, sont souvent appliquées devant l'armature principale. Telle est, par exemple, la belle grille en fer qui protége le tombeau de la reine Eléonor dans le choeur de l'église abbatiale de Westminster. Nous possédons aussi, dans les magasins de l'église impériale de Saint-Denis, des fragments de grilles forgées et assemblées suivant cette méthode (6 bis), qui avait l'avantage de roidir singulièrement

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<p>17</p>

T. X, p, 117.

<p>18</p>

Voy. l'Encyclopédie d'architecture. Bance, éditeur.