Le parfum de la Dame en noir. Гастон Леру
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le parfum de la Dame en noir - Гастон Леру страница 9
Il avait vu, dans un livre de géographie, des vues du midi, et jamais il n'avait regardé ces gravures sans pousser un soupir en songeant qu'il ne connaîtrait peut-être jamais ce pays enchanté. À force de vivre comme un bohémien, il fit la connaissance d'une petite caravane de romanichels qui suivait la même route que lui et qui se rendait aux Saintes-Maries-de-la-Mer – dans la Crau – pour élire leur roi. Il rendit à ces gens quelques services, sut leur plaire, et ceux-ci, qui n'ont point coutume de demander aux passants leurs papiers, ne voulurent point en savoir davantage. Ils pensèrent que, victime de mauvais traitements, l'enfant s'était enfui de quelque baraque de saltimbanques et ils le gardèrent avec eux. Ainsi parvint-il dans le midi. Aux environs d'Arles, il les quitta et arriva enfin à Marseille. Là, ce fut le paradis… un éternel été et… le port! Le port était d'une ressource inépuisable pour les petits vauriens de la ville. Ce fut un trésor pour Rouletabille. Il y puisa, comme il lui plaisait, au fur et à mesure de ses besoins, qui n'étaient point grands. Par exemple, il se fit «pêcheur d'oranges». C'est dans le moment qu'il exerçait cette lucrative profession qu'il fit connaissance, un beau matin, sur les quais, d'un journaliste de Paris, M. Gaston Leroux, et cette rencontre devait avoir par la suite une telle influence sur la destinée de Rouletabille que je ne crois point superflu de donner ici l'article où le rédacteur du Matin a rapporté cette mémorable entrevue:
Le petit pêcheur d'oranges
Comme le soleil, perçant enfin un ciel de nuées, frappait de ses rayons obliques la robe d'or de Notre-Dame-de-la-Garde, je descendis vers les quais. Les grandes dalles en étaient humides encore, et, sous nos pas, nous renvoyaient notre image. Le peuple des matelots, des débardeurs et des portefaix, s'agitait autour des poutres venues des forêts du nord, actionnait les poulies et tirait sur les câbles. Le vent âpre du large, se glissant sournoisement entre la tour Saint-Jean et le fort Saint-Nicolas, étalait sa rude caresse sur les eaux frissonnantes du vieux port. Flanc à flanc, hanche à hanche, les petites barques se tendaient les bras où s'enroulait la voile latine, et dansaient en cadence. À côté d'elles, fatiguées des roulis lointains, lasses d'avoir tangué pendant des jours et des nuits sur des mers inconnues, les lourdes carènes reposaient pesamment, étirant vers les cieux en loques leurs grands mâts immobiles. Mon regard, à travers la forêt aérienne des vergues et des hunes, alla jusqu'à la tour qui atteste qu'il y a vingt-cinq siècles des enfants de l'antique Phocée jetèrent l'ancre sur cette côte heureuse, et qu'ils venaient des routes liquides d'Ionie. Puis mon attention retourna à la dalle des quais, et j'aperçus le petit pêcheur d'oranges.
Il était debout, cambré dans les lambeaux d'une jaquette qui lui battait les talons, nu-tête et pieds nus, la chevelure blonde et les yeux noirs; et je crois bien qu'il avait neuf ans. Une corde passée en bretelle sur l'épaule soutenait à son côté un sac de toile. Son poing gauche était campé à la taille, et de la main droite il s'appuyait à un bâton, long trois fois comme lui, qui se terminait tout là-haut par une petite rondelle de liège. L'enfant était immobile et contemplatif. Alors je lui demandai ce qu'il faisait là. Il me répondit qu'il était pêcheur d'oranges.
Il paraissait très fier d'être pêcheur d'oranges et négligea de me demander des sous comme font les petits vauriens sur les ports. Je lui parlai encore; mais cette fois il garda le silence, car il considérait attentivement l'eau. Nous étions entre la fine taille du Fides, venu de Castellamare, et le beaupré d'un trois-mâts- goélette venu de Gênes. Plus loin, deux tartanes arrivées le matin des Baléares arrondissaient leurs ventres, et je vis que ces ventres étaient pleins d'oranges, car ils en perdaient de toutes parts. Les oranges nageaient sur les eaux; la houle légère les portait vers nous à petites vagues. Mon pêcheur sauta dans un canot, courut à la proue, et, armé de son bâton couronné de liège, attendit. Puis il pêcha. Le liège de son bâton amena une orange, deux, trois, quatre. Elles disparurent dans le sac. Il en pêcha une cinquième, sauta sur le quai et ouvrit la pomme d'or. Il plongea son petit museau dans la pelure entrouverte et dévora.
«Bon appétit! lui fis-je.
– Monsieur, me répondit-il, tout barbouillé de jus vermeil, moi, je n'aime que les fruits.
– Ça tombe bien, répliquai-je; mais quand il n'y a pas d'oranges?
– Je travaille au charbon.»
Et sa menotte, s'étant engouffrée dans le sac, en sortit avec un énorme morceau de charbon.
Le jus de l'orange avait coulé sur la guenille de sa jaquette. Cette guenille avait une poche. Le petit sortit de la poche un mouchoir inénarrable et, soigneusement, essuya sa guenille. Puis il remit avec orgueil son mouchoir dans sa poche.
«Qu'est-ce que fait ton père? demandai-je.
– Il est pauvre.
– Oui, mais qu'est-ce qu'il fait?»
Le pêcheur d'oranges eut un mouvement d'épaules.
«Il ne fait rien, puisqu'il est pauvre!»
Mon questionnaire sur sa généalogie n'avait point l'air de lui plaire.
Il fila le long du quai et je le suivis; nous arrivâmes ainsi au «gardiennage», petit carré de mer où l'on tient en garde les petits yachts de plaisance, les petits bateaux bien propres d'acajou ciré, les petits navires d'une toilette irréprochable. Mon gamin les considérait d'un oeil connaisseur et prenait à cette inspection un vif plaisir. Une embarcation jolie, toute sa voile dehors – elle n'en avait qu'une – accosta. Cette voile était immaculée, gonflait son albe triangle, éclatant dans le radieux soleil.
«Voilà du beau linge!» fit mon bonhomme.
Là-dessus, il marcha dans une flaque, et sa jaquette, qui décidément le préoccupait au-dessus de toutes choses, en fut tout éclaboussée. Quel désastre! Il en aurait pleuré. Vite, il sortit son mouchoir et essuya, essuya, puis il me regarda d'un oeil suppliant et me dit:
«Monsieur! je ne suis pas sale par derrière?…» Je lui en donnai ma parole d'honneur. Alors, confiant, il remit encore une fois son mouchoir dans sa poche. À quelques pas de là, sur le trottoir qui longe les vieilles maisons jaunes ou rouges ou bleues, les maisons dont les fenêtres étalent la lessive des chiffons multicolores, il y avait, derrière des tables, des marchandes de moules. Les petites tables étalaient les moules, un couteau rouillé, un flacon de vinaigre.
Comme nous arrivions devant les marchandes et que les moules étaient fraîches et tentantes, je dis au pêcheur d'oranges:
«Si tu n'aimais pas que les fruits, je pourrais t'offrir une douzaine de moules.»
Ses yeux noirs brillaient de désir et nous nous mîmes, tous deux, à manger des moules. La marchande nous les ouvrait et nous dégustions. Elle voulut nous servir du vinaigre, mais mon compagnon l'arrêta d'un geste impérieux. Il ouvrit son sac, tâtonna, et sortit triomphalement un citron. Le citron, ayant voisiné avec le morceau de charbon, était passé au noir. Mais son propriétaire reprit son mouchoir et essuya. Puis il coupa le fruit et m'en offrit la moitié, mais j'aime les moules pour elles-mêmes et je le remerciai.
Après déjeuner, nous revînmes sur le quai. Le pêcheur d'oranges me demanda une cigarette qu'il alluma avec une allumette qu'il avait dans une autre poche de sa jaquette.
Alors, la cigarette aux lèvres, lançant vers le ciel des bouffées comme un homme, le bambin se campa sur une dalle au-dessus de l'eau, et, le regard fixé tout là-haut sur Notre-Dame-de-la-Garde, il se mit dans la position du gamin célèbre qui fait le plus bel ornement de Bruxelles. Il ne perdait pas un pouce de sa taille, était très fier et semblait vouloir emplir le port.