Le Juge Et Les Sorcières. Guido Pagliarino

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Le Juge Et Les Sorcières - Guido Pagliarino

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l’égard des puissants : y a-t-il plus de risques, en effet, à être attaqué par un coupe-jarret de grands chemins que poursuivi par l’hostilité et la malveillance d’un seul d’entr’eux ? Astolfo Rinaldi était devenu très puissant. Il aurait représenté le véritable danger, l’eussé-je attaqué. Lui, en entrant dans le cercle de Bartolomeo Spina et donc de son protecteur Giulio Medici, avant même que celui-ci ne devint le pape Clément VII, avait atteint le grade de Juge Général ; puis, après le sac de Rome, alors que moi j’étais nommé à son poste, il fut élevé au rang de chevalier gentilhomme et promu Majordome Honoraire aux Chambres de Sa Sainteté. Il en avait assumé de nombreuses charges importantes, aussi bien diplomatiques que privées et, murmurait-on, même des missions secrètes. Il avait, depuis le temps qu’il était magistrat, les faveurs amicales de l’omnipotent prince Turibio Fiorilli di Biancacroce, homme très riche et Premier Secrétaire Ecclésiastique Cardinal Percepteur et Trésorier, de fait lui-même à la tête de la perception des impôts et de la trésorerie pontificale, mais aussi Duc des Milices Territoriales, Premier Conseiller de l’Ordre Public et Porte-parole Séculier du Pape Souverain.

      Désormais je connaissais Astolfo Rinaldi comme un homme avide d’argent, sur le modèle de son compagnon et patron Biancacroce. Déjà, alors qu’il était encore magistrat, il était arrivé à accumuler d’énormes richesses. Il avait fait des cadeaux somptueux à Clément, cet ecclésiastique qui, après sa mort, fut appelé le pape du malheur, lui aussi affamé d’argent et assoiffé des louanges que lui prodiguait le juge ; c’est tout cela sans aucun doute qui valut au chevalier Rinaldi le succès.

      Vraiment, au début de ma carrière, je n’avais pas compris cet homme et, jeune ingénu désireux de justice, je l’avais pris pour maître ; mais après un certain temps, ayant compris mon attachement et l’ayant sans doute pris pour une suggestion timide, il s’était légèrement dévoilé : un après-midi, alors qu’il était particulièrement gai puisque, comme le trahit son haleine, son repas ayant été plus arrosé que d’ordinaire, il me dit : « la chasse aux sorcières nous nourrit tous : moi, vous… tous ! C’est une affaire : sbires, geôliers, scribes et greffiers, tourmenteurs, bourreaux ; bûcherons, charpentiers, pompiers ; et… nous les juges. » Mon oreille se dressa. « Vive ces maudites ! » avait-il ajouté, levant haut la main comme s’il y tenait une coupe de cocktail : »…et l’atout politique ? Les puissants font ce qu’il leur plait alors que la faute de tous les maux revient aux sorcières. Ou, aussi, aux juifs, « les perfides assassins du Christ » ; et quant aux commerçants ? Quel avantage que la plèbe s’en prenne à eux ! Quel bien lorsqu’un prince réduit la part en métal précieux de la monnaie, voit la dévaluation attribuée à ces misérables qui, devant à leur tour augmenter les prix, apparaissent comme la cause première du mal ; c’est ensuite à nous d’intervenir pour les mettre au pilori public pour calmer le peuple, et même, de temps en temps, en pendre un d’entre eux. Quel succès pour l’ordre public, cher Grillandi ! Quel paix pour les grands, les cardinaux, les princes, les banquiers ! C’est toute une industrie, mon cher, un immense pouvoir dont nous sommes les serviteurs fidèles. Vous n’en éprouvez pas de l’orgueil ? »

      J’en eus la nausée. Pendant plusieurs jours j’avais eu l’envie de tout abandonner pour me consacrer au barreau. Je me souviens que je m’étais demandé si le juge Rinaldi, tant intéressé par l’argent, n’avait pas, dans certaines circonstances, et moyennant rétribution, influé sur les sentences. Je regrettais en effet, plus d’une fois, qu’alors que j’aurais certainement infligé le bûcher, lui n’avait ordonné que la réclusion. Au contraire, dans d’autres situations où, selon moi, seule la prison s’imposait, mon supérieur avait demandé le bûcher. En particulier, restait encré dans ma mémoire le cas de Giannetto Spighini, homme riche de famille marchande et fonctionnaire ordurier des finances du Pape, une charge publique qu’il avait achetée précédemment pour augmenter son prestige social.

      J’eus à traiter de son cas durant les premières années de ma carrière, quand j’avais encore beaucoup d’estime pour Astolfo Rinaldi.

      Je connaissais Spighini avant le procès parce qu’il habitait dans un beau palais face au logement que j’avais loué et m’avait adressé son salut et, parfois, de la terrasse au balcon, accordé un brin de causette. C’était quelqu’un de spontané et de sanguin et, à dire vrai, même fou, comme quand il s’asseyait sur la terrasse torse nu pour jouir, selon lui, de l’influence bénéfique des rayons de l’astre solaire. Une soirée d’été il était sorti pour prendre un bol d’air sur la petite terrasse et je l’avais surpris appuyé sur la rambarde, le visage renfrogné et la bouche tordue par une grimace de dégoût. Me voyant, sans toutefois me saluer, il m’avait dit violemment : « Mon bon monsieur, a quand la justice ? »

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