Pour L’éternité, et un Jour . Sophie Love
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L'émotion allait devenir trop pour Emily. Elle ignorait totalement qu'il était possible de ressentir tant de choses contradictoires et complexes à la fois. Elle réalisa soudain qu'une fois cette visite terminée, une fois qu'ils s’assoiraient face à face dans le salon, elle libérerait une explosion de rage à l’encontre de son père.
Elle sentit brusquement la main de ce dernier sur son bras, qui la soutenait, la rassurait. Elle regarda dans ses yeux bleus, vit en eux le chagrin et le regret, mélangés à un soulagement absolu. Il lui disait silencieusement que ça allait, qu’il comprenait sa colère. Elle n'avait pas besoin de la lui cacher.
Ils se baladèrent à travers le reste de l’étage, jetant un coup d'œil dans quelques-unes des chambres d'hôtes afin que Roy puisse avoir une idée de la décoration. Il hésita brièvement à côté de la porte de son bureau. La dernière fois qu'il avait été là, il avait été plus jeune de deux décennies, avec les cheveux noirs au lieu de gris, son corps plus mince et plus agile au lieu de la légère bedaine qui se trouvait maintenant au-dessus de sa ceinture.
« C'est le même », répondit Emily. « Je ne l'ai pas changé. »
Il hocha de la tête, mais ne prononça pas un mot. Elle se demanda s'il pensait à la myriade de documents qu'il avait verrouillés à l'intérieur de son bureau, qu’elle avait lus à présent. Les lettres et les secrets qu'elle avait trouvés. Emily savait qu'il n'y avait aucun moyen de savoir ce que Roy pensait. L'homme était autant un mystère pour elle maintenant qu'il l'avait toujours été.
Ils allèrent au troisième étage et Roy s’attarda pendant un moment à côté de l'escalier menant au belvédère. Avait-il la soirée du Nouvel An à l’esprit ? se demanda Emily. Celle où il lui avait dit de ne pas avoir peur, d'ouvrir les yeux et de regarder les feux d'artifice ? Ou avait-il oublié tous ces souvenirs comme elle l'avait fait autrefois ?
Chantelle sautillait tout autour, en lui montrant toutes les chambres vides. Elle avait l'air excitée qu’il soit là, et tellement fière de lui montrer sa maison. Emily aurait aimé se sentir aussi légère que l'enfant l’était, mais elle avait tant de choses en tête que cela l’emplissait d'angoisse.
« Je suis vraiment émerveillé par le travail que tu as accompli ici », dit Roy. « Ça n'a pas dû être facile de faire rentrer toutes ces salles de bains. »
« Ça ne l’a pas été », répondit Emily. « Nous n'avions qu’environ vingt-quatre heures pour le faire aussi. C’est une longue histoire. »
« J'ai le temps. » Roy sourit.
Emily ne savait même pas comment répondre à cela. Le temps n'était pas quelque chose qu'elle pouvait considérer pour acquis avec lui. Elle ne pouvait pas faire confiance à ses sentiments.
« Allons dans le salon », dit-elle durement. « Pour prendre quelque chose à boire ? » Puis, en réalisant sa bévue en proposant de l'alcool à un alcoolique, elle ajouta rapidement, « Du café. »
À chaque marche descendue, Emily sentait sa colère devenir plus forte. Elle détestait ce sentiment. Elle voulait que cette réunion soit joyeuse, mais comment pouvait-elle l’être, vraiment, quand elle avait tout ce ressentiment en elle ? Son père devait entendre parler de la douleur qu'il lui avait causée.
Ils atteignirent le couloir du rez-de-chaussée. Daniel se dirigea vers la cuisine pour préparer le café pendant que Chantelle menait Roy dans le salon. Il poussa une exclamation quand il vit les rénovations, la façon dont Emily avait mélangé nouveaux styles et vieux styles, comment elle avait intégré l'art moderne et les verreries Kandinsky.
« C’est mon ancien piano ? », demanda-t-il.
Emily acquiesça. « Je l’ai fait réparer. Le gars qui l'a fait, Owen, il joue ici parfois. Il jouera à notre mariage en fait. »
Pour la première fois, Emily éprouva une impression de triomphe. N'ayant pas vécu longtemps à Sunset Harbour, Owen n'était pas quelqu'un que son père avait connu avant elle, plus longtemps qu’elle, ou connaissait mieux qu'elle. Il y avait des gens ici qui étaient les siens, qui n'étaient pas souillés par l’aspect déplaisant de ce passé partagé.
« Owen m'aide avec mon chant », dit Chantelle.
« Oh, tu chantes ? », répondit Roy. « Est-ce que je peux en entendre un peu ? »
« Peut-être plus tard », coupa Emily. « Chantelle m'a promis qu'elle rangerait tous ses jouets aujourd'hui. »
« Je ne peux pas le faire plus tard ? », gémit Chantelle.
Elle voulait clairement passer plus de temps avec Papa Roy et Emily ne pouvait pas l’en blâmer. À la surface, il ressemblait à un doux géant, une sorte de Père Noël. Mais Emily ne pouvait pas continuer à afficher un sourire factice sur son visage juste pour Chantelle. Il était temps pour elle et son père de parler comme des adultes.
Emily secoua la tête. « Pourquoi est-ce que tu ne ferais pas sur le champ, puis tu auras toute la journée pour jouer avec Papa Roy, d'accord ? »
Chantelle céda et quitta la pièce en frappant des pieds.
« Tu as ouvert le bar clandestin », remarqua Roy, en regardant le bar tout juste restauré. Il semblait impressionné par la manière dont Emily avait conservé son époque de la même manière qu'il l’avait fait, un hommage au temps passé. « Vous savez que c'est un original. »
Elle acquiesça. « Je m’en doutais aussi. Sauf les bouteilles d'alcool. »
Sans Chantelle pour amortir la situation, une tension s’éleva entre eux. Emily fit un geste vers le canapé.
« Tu veux t’asseoir ? »
Roy hocha de la tête et s'installa. Son visage avait pâli, comme s'il avait senti que le moment de rendre des comptes approchait d’eux.
Mais avant qu'Emily n’en ait eu la chance, Daniel apparu avec un plateau contenant la cafetière, la crème, le sucre et les tasses. Il le posa sur la table basse. Le silence enfla tandis qu'il remplissait les tasses.
Roy s'éclaircit la gorge. « Emily Jane, si tu as des questions à me poser, tu le pouvez. »
La capacité d'Emily à rester polie et cordiale cessa. « Pourquoi est-ce que tu m'as laissée ? », dit-elle.
Daniel leva brusquement la tête avec surprise. Ses yeux étaient aussi larges que des soucoupes. Il n'avait probablement pas réalisé que la joie d'Emily vis-à-vis du retour de Roy avait également entraîné sa colère, qu'elle avait porté son émotion avec elle pendant toute la visite de la maison. Il se leva alors.
« Je devrais vous laisser du temps à tous les deux », dit-il poliment.
Emily tourna les yeux vers lui. Il avait l'air si maladroit, là debout, comme s'il empiétait soudain sur une affaire privée, et Emily se sentit un peu coupable d'avoir fait tourner si rapidement la conversation au vinaigre en sa présence, sans lui donner l'occasion de s'excuser d'une manière plus polie.
« Merci », dit-elle tandis qu’il sortait en hâte de la pièce.
Elle reporta son regard vers son père. Roy semblait blessé par sa douleur