Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes. H. de Graffigny

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Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes - H. de Graffigny

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vieillard poussa un profond soupir.

      —Malheureusement, répondit-il, c'est quand elle est nouvelle et absolument obscure; lorsqu'elle est pleine, elle se trouve de l'autre côté du soleil, c'est-à-dire à plus de soixante millions de lieues au lieu de dix. C'est même là une des causes des difficultés que l'on éprouve à étudier la géographie de ce monde, car lorsqu'il est le plus près de nous, on n'en voit qu'une infime partie.

      —Je sais, quant à moi, déclara Gontran sérieusement, que mon illustre homonyme n'a pu, jusqu'à présent, distinguer nettement les taches signalées par certains astronomes sur le disque de Vénus.

      —Bravo! lui cria à l'oreille Fricoulet, véritablement émerveillé de l'aplomb de son ami.

      —Continents célestes... page 163, lui riposta, sur le même ton, M. de Flammermont.

      —Vous dites? demanda, en se retournant brusquement, le vieillard qui avait déjà ressaisi sa lunette.

      Ce fut l'ingénieur qui prit la parole.

      —Gontran, répondit-il, était en train de me donner de très intéressants détails sur les travaux auxquels se sont déjà livrés Bianchini, Cassini, Denning...

      —C'est Bianchini qui a le mieux réussi; car il est parvenu à dresser un rudiment de carte portant trois mers dans la région équatoriale et une dans chaque région polaire; cette carte signale également des continents, des promontoires, des détroits...

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      —Mais, dit Fricoulet, c'est en 1726 que Bianchini dressa cette carte, et depuis cette époque, on a dû la compléter et la modifier sensiblement.

      —Erreur absolue, mon cher monsieur, répliqua le vieux savant, non seulement cette carte n'a pas été modifiée, mais ses indications, malgré les progrès de l'optique, n'ont même pas été vérifiées.

      —Mais pour faire à cette époque des études que personne, après lui, n'a pu contrôler, Bianchini avait donc des instruments merveilleux, demanda Farenheit.

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      —C'est surtout à la pureté du beau ciel d'Italie que Bianchini doit les découvertes qu'il a faites.

      —Ou cru faire... observa Gontran.

      Le vieillard tressaillit.

      —Vous dites?... fit-il d'une voix émue.

      —Je dis: ou qu'il a cru faire; car, pour que mon illustre homonyme n'ait pu distinguer nettement ces taches...

      —Errare humanum est, déclara sentencieusement Ossipoff; toujours est-il que si Bianchini a été le jouet d'une illusion d'optique, Cassini, Webb, Denning et d'autres encore se sont trompés également, car ces taches: océans, continents et promontoires, eux les ont vues aussi.

      Il avait prononcé ces paroles d'un ton vibrant, un peu agressif, si bien que M. de Flammermont répliqua sèchement:

      —Pour moi, vous me permettrez de m'en tenir à l'opinion de mon illustre homonyme, car, de ces continents, que connaît-on?

      —Je vous ai déjà dit, et je répète que, par suite de sa situation dans l'espace, Vénus présente, pour ceux qui ont entrepris de l'étudier, des difficultés considérables et qui s'opposent à ce qu'on ait sur elle des notions aussi exactes que celles que l'on possède sur la Lune ou sur Mars, par exemple. Aussi, en 1833 et 1836, les sélénographes Beer et Madler ont dessiné l'aspect de Vénus; leurs dessins ont été refaits, en 1847, par Gruithuisen et, en 1881, par M. Niester, à l'observatoire de Bruxelles.

      —Tout cela est fort joli, s'exclama brusquement Jonathan Farenheit, mais le résultat?

      —Le résultat est qu'on est certain de l'existence de montagnes très élevées sur Vénus; le relief géographique est considérable et, les mêmes forces en action sur la Terre s'étant également donné jeu sur ce monde, il s'ensuit qu'il existe des volcans, des chaînes de montagnes: mais quant à des mesures précises sur tout cela, on n'en a pas.

      —Donc, les Continents célestes ont raison! s'écria triomphalement M. de Flammermont.

      —Ai-je donc dit qu'ils eussent tort? répliqua le vieux savant d'un ton piqué.

      Pour faire diversion Fricoulet demanda:

      —J'ai entendu soutenir quelquefois cette théorie: que Vénus avait un satellite.

      Gontran considéra son ami avec stupeur, le croyant devenu fou subitement; mais sa surprise fut bien plus grande encore, lorsqu'il entendit Ossipoff répondre en hochant la tête:

      —Beaucoup d'astronomes ont cru voir, en effet, le satellite dont vous parlez; quant à moi, malgré les nombreuses brochures publiées à ce sujet, je persiste à considérer son existence comme problématique... vous me répondrez qu'il est difficile, d'un autre côté, d'admettre que des savants comme Cassini, Horrebow, Short et Montaigne aient mal vu ou aient pu prendre, pour argent comptant, une illusion d'optique.

      —Alors comment expliquer?...

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      —Pour moi, il n'y a que deux explications possibles: ou bien, ils ont pris pour un satellite de Vénus une petite planète passant dans le même champ optique, ou bien ce satellite, très petit, n'est visible de la terre que dans des conditions tout à fait exceptionnelles.

      —Il se peut encore, observa Gontran, que, depuis ces observations, ce satellite soit tombé sur la planète.

      —Cette supposition n'a rien d'invraisemblable: aucune loi naturelle ne s'opposant à ce qu'un semblable phénomène puisse se produire.

      Ils en étaient là de leur conversation, lorsque soudain Fricoulet, qui avait tiré son chronomètre, s'écria:

      —Comment diable! se fait-il que nous ne descendions pas plus vite que cela... nous devrions être arrivés depuis longtemps.

      —Et il semble que nous ne bougions pas, ajouta Farenheit.

      —Pardon, répliqua Gontran, nous bougeons, au contraire; mais pas dans le sens perpendiculaire, dans le sens horizontal.

      Il étendit son bras vers l'avant et déclara:

      —Nous filons bon train de ce côté.

      L'écran nuageux, qui s'était un moment entr'ouvert, venait de se refermer, et les voyageurs se trouvaient plongés de nouveau dans la masse épaisse de l'atmosphère.

      Après avoir contrôlé l'affirmation du jeune comte et constaté, en effet, qu'emporté par un courant d'air formidable, l'appareil filait avec une vitesse prodigieuse, le vieux savant s'écria:

      —Mais il ne faut pas nous laisser dévier... il nous faut descendre... descendre au plus vite... où que ce soit... mais descendre, sinon...

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