L'abîme. Уилки Коллинз

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L'abîme - Уилки Коллинз

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elle ne l'était point, vous l'eussé-je racontée, monsieur?—répliqua-t-elle.

      —Je vous demande pardon,—continua Wilding.—Il faut être indulgente pour moi. Je ne puis encore trouver la force d'admettre comme réelle cette terrible découverte. Nous nous aimions si tendrement l'un et l'autre (il montrait le portrait en disant cela). Je sentais si profondément que j'étais son fils.... Elle est morte dans mes bras, Madame Goldstraw, morte en me bénissant comme une mère seule peut bénir. Et c'est après tant d'années qu'on vient me dire: Elle n'était pas ta mère!

      —Malheureusement,—fit Madame Goldstraw,—elle ne l'était pas, mais elle vous aimait....

      —Je ne sais ce que je dis!—s'écria-t-il.

      Déjà l'empire passager qu'il avait pu prendre sur lui-même quelques moments auparavant et qui lui avait donné un peu de force s'évanouissait.

      —Ce n'était pas à ce terrible chagrin que je songeais tout à l'heure. Non, c'était tout autre chose qui me traversait l'esprit.... Oui, oui, vous m'avez surpris et blessé, Madame Goldstraw. Votre langage me donne à supposer que vous regrettez de ne m'avoir point laissé une erreur qui m'était si chère. Ne vous laissez pas aller à de telles pensées, et surtout gardez-vous bien de me les dire. C'eût été un crime que de m'épargner la vérité. Je sais que votre intention était bonne, je le sais! je ne désire pas vous affliger, vous avez bon cœur. Mais songez à la situation où je me trouve. Dans la fausse conviction que j'étais son fils, elle m'a laissé tout ce qu'elle possédait. Je ne suis pas son fils. J'ai pris la place, j'ai accepté, sans le savoir, la place d'un autre. Cet autre, il faut que je le trouve. L'espoir de le retrouver est le seul qui me relève et me fortifie au milieu de ce terrible chagrin qui me frappe. Vous en devez savoir bien plus que vous ne m'en avez raconté, Madame Goldstraw? Quelle était cette étrangère qui a adopté l'enfant? Son nom, vous l'avez entendu?

      —Je ne l'ai jamais entendu... je ne l'ai jamais revue elle-même... je n'ai jamais reçu de ses nouvelles....

      —Elle n'a donc rien dit lorsqu'elle a emmené l'enfant?... Rappelez vos souvenirs, elle doit avoir dit quelque chose.

      —Une seule, monsieur, une seule qui me revienne. Cette année-là, l'hiver avait été très cruel et beaucoup de nos petits élèves avaient souffert. Lorsqu'elle prit le baby dans ses bras, l'étrangère me dit en riant: «Ne soyez pas en peine pour sa santé. Il grandira sous un climat meilleur que le vôtre. Je vais le conduire en Suisse.»

      —En Suisse?... dans quelle partie de la Suisse?

      —Elle ne me l'a pas dit.

      —Rien que ce faible indice... rien que ce fil léger pour trouver ma route...—murmura Wilding,—et un quart de siècle s'est écoulé depuis ce jour! Que dois-je faire?

      —J'espère que vous ne vous offenserez pas de la franchise de mon langage, monsieur,—reprit Madame Goldstraw.—En vérité, je ne vois point pourquoi vous voilà si fort incertain de ce que vous avez à faire. Chercher cet enfant! Qui sait s'il est en vie? Et, monsieur, s'il vit, il ne connaît sûrement pas l'adversité. L'étrangère qui l'a adoptée était une femme de condition; elle a dû prouver au directeur de l'Hospice qu'elle était en état de se charger d'un enfant, sans quoi on ne lui aurait point permis de le prendre. Si j'étais à votre place, monsieur, pardonnez-moi de vous parler si librement.... Je me consolerais en songeant que j'ai aimé la pauvre femme qui est là (elle montrait à son tour le portrait), aussi fortement qu'on aime sa mère et qu'elle a eu pour moi la même tendresse que si j'avais été son fils. Tout ce qu'elle vous a donné, n'est-ce pas en raison de son affection même? Son cœur ne s'est jamais démenti envers vous durant sa vie; le vôtre, j'en suis bien sûre, ne se démentira jamais envers elle. Quel meilleur droit pouvez-vous avoir à conserver ses présents?...

      —Arrêtez!—s'écria Wilding.

      Sa probité native lui faisait voir le charitable sophisme que lui opposait Madame Goldstraw pour le consoler.

      —Vous ne comprenez pas,—reprit-il;—c'est parce que je l'ai aimée que mon devoir maintenant est de faire justice à son fils. Un devoir sacré, Madame Goldstraw. Oh! si ce fils est encore au monde, je le retrouverai. Je succomberais, d'ailleurs, dans cette terrible épreuve, si je n'avais la ressource et la consolation de m'occuper tout de suite activement de ce que ma conscience me commande de faire. Il faut que je cause sans retard avec mon homme de loi. Je veux l'avoir mis à l'œuvre avant de m'endormir ce soir.

      Il s'approcha d'un tube attaché à la muraille, et par ce moyen appela quelqu'un dans le bureau de l'étage inférieur.

      —Veuillez me laisser un moment, Madame Goldstraw,—dit-il,—je serai plus calme et plus en état de causer avec vous dans l'après-midi! nous nous plairons ensemble, j'en suis sûr, en dépit de ce qui arrive. Oh! ce n'est pas votre faute.... Donnez-moi la main, Madame Goldstraw. Et maintenant faites de votre mieux dans la maison....

      Comme Madame Goldstraw se dirigeait vers la porte Jarvis parut sur le seuil.

      —Envoyez chercher Monsieur Bintrey,—lui dit Wilding,—j'ai besoin de le voir sur-le-champ.

      Le commis n'était point venu là seulement pour recevoir un ordre. Quelqu'un le suivait qu'il avait mission d'introduire; il annonça:

      —Monsieur Vendale.

      Le nouvel associé de Wilding et Co. entra.

      —Excusez-moi pour un moment, George Vendale,—dit Wilding,—j'ai encore un mot à dire à Jarvis. Envoyez, envoyez tout de suite chercher Monsieur Bintrey.

      Jarvis, avant de quitter la chambre, déposa une lettre sur la table.

      —De nos correspondants de Neufchâtel, monsieur, je pense,—dit-il.—Cette lettre porte un timbre Suisse.

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