Les Chants de Maldoror. Comte de Lautréamont
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Читать онлайн книгу Les Chants de Maldoror - Comte de Lautréamont страница 6
J'entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.
—Plût au ciel que sa naissance ne soit pas une calamité pour son pays, qui l'a repoussé de son sein. Il va de contrée en contrée, abhorré partout. Les uns disent qu'il est accablé d'une espèce de folie originelle, depuis son enfance. D'autres croient savoir qu'il est d'une cruauté extrême et instinctive, dont il a honte lui-même, et que ses parents en sont morts de douleur. Il y en a qui prétendent qu'on l'a flétri d'un surnom dans sa jeunesse: qu'il en est resté inconsolable le reste de son existence, parce que sa dignité blessée voyait là une preuve flagrante de la méchanceté des hommes, qui se montre aux premières années, pour augmenter ensuite. Ce surnom était le vampire!...
J'entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.
—Ils ajoutent que, les jours, les nuits, sans trêve ni repos, des cauchemars horribles lui font le saigner le sang par la bouche et les oreilles; et que des spectres s'assoient au chevet de son lit, et lui jettent à la face, poussés malgré eux par une force inconnue, tantôt d'une voix douce, tantôt d'une voix pareille aux rugissements des combats, avec une persistance implacable, ce surnom toujours vivace, toujours hideux, et qui ne périra qu'avec l'univers. Quelques-uns même ont affirmé que l'amour l'a réduit en cet état: ou que ces cris témoignent du repentir de quelque crime enseveli dans la nuit de son passé mystérieux. Mais le plus grand nombre pense qu'un incommensurable le torture, comme jadis Satan, et qu'il voulait égaler Dieu ...
J'entends dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante.
—Mon fils, se sont là des confidences exceptionnelles: je plains ton âge de les avoir entendues, et j'espère que tu n'imiteras jamais cet homme.
Parle, ô mon Édouard; réponds que tu n'imiteras jamais cet homme.
—O mère bien-aimée, à qui je dois le jour, je te promets, si la sainte promesse d'un enfant a quelque valeur, de ne jamais imiter cet homme.
—C'est parfait, mon fils; il faut obéir à sa mère, en quoi que ce soit.
On n'entend plus les gémissements.
—Femme, as-tu fini ton travail?
—Il me manque quelques points à cette chemise, quoique nous ayons prolongé la veille bien tard.
—Moi aussi, je n'ai pas fini un chapitre commencé. Profitons des dernières lueurs de la lampe; car il n'y a presque plus d'huile, et achevons chacun notre travail ...
L'enfant s'est écrié:
—Si Dieu nous laisse vivre!
—Ange radieux, viens à moi: tu te promèneras dans la prairie, du matin jusqu'au soir: tu ne travailleras point. Mon palais magnifique est construit avec des murailles d'argent, des colonnes d'or et des portes de diamants. Tu te coucheras quand tu voudras, au son d'une musique céleste, sans faire ta prière. Quand, au matin, le soleil montrera ses rayons resplendissants et que l'alouette joyeuse emportera, avec elle, son cri, à perte de vue, dans les airs, tu pourras encore rester au lit, jusqu'à ce que cela te fatigue. Tu marcheras sur les tapis les plus précieux; tu seras constamment enveloppé dans une atmosphère composée des essences parfumées des fleurs les plus odorantes.
—Il est temps de reposer le corps et l'esprit. Lève-toi, mère de famille, sur tes chevilles musculeuses. Il est juste que tes doigts raidis abandonnent l'aiguille du travail exagéré. Les extrêmes n'ont rien de bon.
—Oh! que ton existence sera suave! Je te donnerai une bague enchantée; quand tu en retourneras le rubis, tu seras invisible, comme les princes, dans les contes des fées.
—Remets tes armes quotidiennes dans l'armoire protectrice, pendant que, de mon côté, j'arrange mes affaires.
—Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire, tu reparaîtras tel que la nature t'a formé, ô jeune magicien. Cela, parce que je t'aime et que j'aspire à faire ton bonheur.
—Va-t'en, qui que tu sois; ne me prends pas par les épaules.
—Mon fils, ne t'endors point, bercé par les rêves de l'enfance: la prière en commun n'est pas commencée et tes habits ne sont pas encore soigneusement placés sur une chaise ... A genoux! Éternel créateur de l'univers, tu montres la bonté inépuisable jusque dans les plus petites choses.
—Tu n'aimes donc pas les ruisseaux limpides, où glissent des milliers de petits poissons rouges, bleus et argentés? Tu les prendras avec un filet si beau, qu'il les attirera de lui-même, jusqu'à ce qu'il soit rempli. De la surface, tu verras des cailloux brillants, plus polis que le marbre.
—Mère, vois ces griffes; je me méfie de lui; mais ma conscience est calme, car je n'ai rien à me reprocher.
—Tu nous vois, prosternés à tes pieds, accablés du sentiment de ta grandeur. Si quelque pensée orgueilleuse s'insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t'en faisons le sacrifice irrémissible.
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