La Curée. Emile Zola

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La Curée - Emile Zola

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du toit, régnait une balustrade sur laquelle étaient posées, de distance en distance, des urnes où des flammes de pierre flambaient. Et là, entre les œils-de-bœuf des mansardes, qui s'ouvraient dans un fouillis incroyable de fruits et de feuillages, s'épanouissaient les pièces capitales de cette décoration étonnante, les frontons des pavillons, au milieu desquels reparaissaient les grandes femmes nues, jouant avec des pommes, prenant des poses, parmi des poignées de jonc. Le toit, chargé de ces ornements, surmonté encore de galeries de plomb découpées, de deux paratonnerres et de quatre énormes cheminées symétriques, sculptées comme le reste, semblait être le bouquet de ce feu d'artifice architectural.

      A droite, se trouvait une vaste serre, scellée au flanc même de l'hôtel, communiquant avec le rez-de-chaussée par la porte-fenêtre d'un salon. Le jardin, qu'une grille basse, masquée par une haie, séparait du parc Monceau, avait une pente assez forte. Trop petit pour l'habitation, si étroit qu'une pelouse et quelques massifs d'arbres verts l'emplissaient, il était simplement comme une butte, comme un socle de verdure, sur lequel se campait fièrement l'hôtel en toilette de gala. A la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l'importance riche et sotte d'une parvenue, avec son lourd chapeau d'ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C'était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce Bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d'été, lorsque le soleil oblique allumait l'or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s'arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée; et, au travers des glaces si larges et si claires qu'elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d'étoffes, des morceaux de plafonds d'une richesse éclatante, dont la vue les clouait d'admiration et d'envie au beau milieu des allées.

      Mais, à cette heure, l'ombre tombait des arbres, la façade dormait. De l'autre côté, dans la cour, le valet de pied avait respectueusement aidé Renée à descendre de voiture. Les écuries, à bandes de briques rouges, ouvraient, à droite, leurs larges portes de chêne bruni, au fond d'un hangar vitré. A gauche, comme pour faire pendant, il y avait, collée au mur de la maison voisine, une niche très ornée, dans laquelle une nappe d'eau coulait perpétuellement d'une coquille que deux Amours tenaient à bras tendus. La jeune femme resta un instant au bas du perron, donnant de légères tapes à sa jupe, qui ne voulait point descendre. La cour, que venaient de traverser les bruits de l'attelage, reprit sa solitude, son silence aristocratique, coupé par l'éternelle chanson de la nappe d'eau. Et seules encore, dans la masse noire de l'hôtel, où le premier des grands dîners de l'automne allait bientôt allumer ses lustres, les fenêtres basses flambaient, toutes braisillantes, jetant sur le petit pavé de la cour, régulier et net comme un damier, des lueurs vives d'incendie.

      Comme Renée poussait la porte du vestibule, elle se trouva en face du valet de chambre de son mari, qui descendait aux offices, tenant une bouilloire d'argent.

      Cet homme était superbe, tout de noir habillé, grand, fort, la face blanche, avec les favoris corrects d'un diplomate anglais, l'air grave et digne d'un magistrat.

      —Baptiste, demanda la jeune femme, monsieur est-il rentré?

      —Oui, madame, il s'habille, répondit le valet avec une inclination de tête que lui aurait enviée un prince saluant la foule.

      Renée monta lentement l'escalier en retirant ses gants.

      Le vestibule était d'un grand luxe. En entrant, on éprouvait une légère sensation d'étouffement. Les tapis épais qui couvraient le sol et qui montaient les marches, les larges tentures de velours rouge qui masquaient les murs et les portes, alourdissaient l'air d'un silence, d'une senteur tiède de chapelle. Les draperies tombaient de haut, et le plafond, très élevé, était orné de rosaces saillantes, posées sur un treillis de baguettes d'or: l'escalier, dont la double balustrade de marbre blanc avait une rampe de velours rouge, s'ouvrait en deux branches, légèrement tordues, et entre lesquelles se trouvait, au fond, la porte du grand salon. Sur le premier palier, une immense glace tenait tout le mur. En bas, au pied des branches de l'escalier, sur des socles de marbre, deux femmes de bronze doré, nues jusqu'à la ceinture, portaient de grands lampadaires à cinq becs, dont les clartés vives étaient adoucis par des globes de verre dépoli. Et, des deux côtés, s'alignaient d'admirables pots de majolique, dans lesquels fleurissaient des plantes rares.

      Renée montait, et, à chaque marche, elle grandissait dans la glace; elle se demandait, avec ce doute des actrices les plus applaudies, si elle était vraiment délicieuse, comme on le lui disait.

      Puis, quand elle fut dans son appartement, qui était au premier étage, et dont les fenêtres donnaient sur le parc Monceau, elle sonna Céleste, sa femme de chambre, et se fit habiller pour le dîner. Cela dura cinq bons quarts d'heure. Lorsque la dernière épingle eut été posée, comme il faisait très chaud dans la pièce, elle ouvrit une fenêtre, s'accouda, s'oublia. Derrière elle, Céleste tournait discrètement, rangeant un à un les objets de toilette.

      En bas dans le parc, une mer d'ombre roulait. Les masses couleur d'encre des hauts feuillages secoués par de brusques rafales avaient un large balancement de flux et de reflux, avec ce bruit de feuilles sèches qui rappelle l'égouttement des vagues sur une plage de cailloux.

      Seuls, rayant par instants ce remous de ténèbres, les deux yeux jaune d'or d'une voiture paraissaient et disparaissaient entre les massifs, le long de la grande allée qui va de l'avenue de la Reine-Hortense au boulevard Malesherbes. Renée, en face de ces mélancolies de l'automne, sentit toutes ses tristesses lui remonter au cœur.

      Elle se revit enfant dans la maison de son père, dans cet hôtel silencieux de l'île Saint-Louis, où depuis deux siècles les Béraud du Châtel mettaient leur gravité noire de magistrats. Puis elle songea au coup de baguette de son mariage, à ce veuf qui s'était vendu pour l'épouser, et qui avait troqué son nom de Rougon contre ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sèches avaient sonné à ses oreilles, les premières fois, avec la brutalité de deux râteaux ramassant de l'or; il la prenait, il la jetait dans cette vie à outrance, où sa pauvre tête se détraquait un peu plus tous les jours. Alors, elle se mit à rêver, avec une joie puérile, aux belles parties de raquette qu'elle avait faites jadis avec sa jeune sœur Christine.

      Et, quelque matin, elle s'éveillerait du rêve de jouissance qu'elle faisait depuis dix ans, folle, salie par une des spéculations de son mari, dans laquelle il se noierait lui-même. Ce fut comme un pressentiment rapide. Les arbres se lamentaient à voix plus haute. Renée, troublée par ces pensées de honte et de châtiment, céda aux instincts de vieille et honnête bourgeoisie qui dormaient au fond d'elle; elle promit à la nuit noire de s'amender, de ne plus tant dépenser pour sa toilette, de chercher quelque jeu innocent qui pût la distraire, comme aux jours heureux du pensionnat, lorsque les élèves chantaient:

      Nous n'irons plus au bois, en tournant doucement sous les platanes.

      A ce moment, Céleste, qui était descendue, rentra et murmura à l'oreille de sa maîtresse:

      —Monsieur prie madame de descendre. Il y a déjà plusieurs personnes au salon.

      Renée tressaillit. Elle n'avait pas senti l'air vif qui glaçait ses épaules. En passant devant son miroir, elle s'arrêta, se regarda d'un mouvement machinal. Elle eut un sourire involontaire, et descendit.

      En effet, presque tous les convives étaient arrivés. Il y avait en bas sa sœur Christine, une jeune fille de vingt ans, très simplement mise en mousseline blanche; sa tante Élisabeth, la veuve du notaire

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