Contes d'une grand-mère. George Sand

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Contes d'une grand-mère - George Sand

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souillés par la volaille, des toits de chaume pourri, où poussaient des orties, un air d'abandon cynique, de pauvreté simulée ou volontaire, c'était de quoi soulever de dégoût le coeur d'Emmi, habitué aux verdures vierges et aux bonnes senteurs de la forêt. Il suivit pourtant la vieille Catiche, qui le fit entrer dans sa hutte de terre battue, plus semblable à une étable à porcs qu'à une habitation. L'intérieur était tout différent: les murs étaient garnis de paillassons, et le lit avait matelas et couvertures de bonne laine. Une quantité de provisions de toute sorte: blé, lard, légumes et fruits, tonnes de vin et même bouteilles cachetées. Il y avait de tout, et, dans l'arrière-cour, l'épinette était remplie de grasses volailles et de canards gorgés de pain et de son.

      —Tu vois, dit la Catiche à Emmi, que je suis autrement riche que ta tante; elle me fait l'aumône toutes les semaines, et, si je voulais, je porterais de meilleurs habits que les siens. Veux-tu voir mes armoires? Rentrons, et, comme tu dois avoir faim, je vas te faire manger un souper comme tu n'en as goûté de ta vie.

      En effet, tandis qu'Emmi admirait le contenu des armoires, la vieille alluma le feu et tira de sa besace une tête de chèvre, qu'elle fricassa avec des rogatons de toute sorte et où elle n'épargna ni le sel, ni le beurre rance, ni les légumes avariés, produit de la dernière tournée. Elle en fit je ne sais quel plat, qu'Emmi mangea avec plus d'étonnement que de plaisir et qu'elle le força d'arroser d'une demi-bouteille de vin bleu. Il n'avait jamais bu de vin, il ne le trouva pas bon, mais il but quand même, et, pour lui donner l'exemple, la vieille avala une bouteille entière, se grisa et devint tout à fait expansive. Elle se vanta de savoir voler encore mieux que mendier et alla jusqu'à lui montrer sa bourse, qu'elle enterrait sous une pierre du foyer et qui contenait des pièces d'or à toutes les effigies du siècle. Il y en avait bien pour deux mille francs. Emmi, qui ne savait pas compter, n'apprécia pas autant qu'elle l'eût voulu l'opulence de la mendiante.

      Quand elle lui eut tout montré:

      —A présent, lui dit-elle, je pense que tu ne voudras plus me quitter. J'ai besoin d'un gars, et, si tu veux être à mon service, je te ferai mon héritier.

      —Merci, répondit l'enfant; je ne veux pas mendier.

      —Eh bien, soit, tu voleras pour moi.

      Emmi eut envie de se fâcher, mais la vieille avait parlé de le conduire le lendemain à Mauvert, où se tenait une grande foire, et, comme il avait envie de voir du pays et de connaître les endroits où on peut gagner sa vie honnêtement, il répondit sans montrer de colère:

      —Je ne saurais pas voler, je n'ai jamais appris.

      —Tu mens, reprit Catiche, tu voles très-habilement à la forêt de Cernas son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-là n'appartiennent à personne? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre qu'aux dépens d'autrui? Il y a longtemps que cette forêt est quasi abandonnée. Le propriétaire était un vieux riche qui ne s'occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder. A présent qu'il est mort, tout ça va changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on te conduira en prison.

      —Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner à voler pour vous?

      —Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris. Tu réfléchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avec le jour pour aller à la foire. Je vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une couverture. Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un prince.

      Emmi n'osa résister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle avait quelque chose d'effrayant dans le regard et dans la voix. Il se coucha et s'étonna d'abord de se trouver si bien; mais, au bout d'un instant, il s'étonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plumes l'étouffait, la couverture, le manque d'air libre, la mauvaise odeur de la cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fièvre. Il se leva tout effaré en disant qu'il voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui fallait passer la nuit enfermé.

      La Catiche ronflait, et la porte était barricadée. Emmi se résigna à dormir étendu sur la table, regrettant fort son lit de mousse dans le chêne.

      Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'oeufs et six poules à vendre, en lui ordonnant de la suivre à distance et de n'avoir pas l'air de la connaître.

      —Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien.

      Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait pas de vue, et que, s'il ne lui rapportait pas fidèlement l'argent, elle saurait bien le forcer à le lui rendre.

      —Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre marchandise vous-même et laissez-moi m'en aller.

      —N'essaye pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe où; ne réplique pas et obéis.

      Il la suivit à distance comme elle l'exigeait, et vit bientôt le chemin couvert de mendiants plus affreux les uns que les autres. C'étaient les habitants d'Oursines, qui, ce jour-là, allaient tous ensemble se faire guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante.

      Emmi vendit ses oeufs et ses poules, en reporta vite l'argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut à travers la foule, les yeux écarquillés, admirant tout et s'étonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenants, et il s'était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux dorés, lorsqu'il entendit à côté de lui un singulier dialogue. C'était la voix de la Catiche qui s'entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n'étaient séparés de lui que par la toile de la baraque.

      —Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C'est un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pèse pas plus qu'un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles.

      —Et vous dites qu'il n'est pas intéressé? reprit le saltimbanque.

      —Non, il ne se soucie pas de l'argent. Vous le nourrirez, et il n'aura pas l'esprit d'en demander davantage.

      —Mais il voudra se sauver?

      —Bah! avec des coups, vous lui en ferez passer l'envie.

      —Allez me le chercher, je veux le voir.

      —Et vous me donnerez vingt francs?

      —Oui, s'il me convient.

      La Catiche sortit de la baraque et se trouva face à face avec Emmi, à qui elle fit signe de la suivre.

      —Non pas, lui dit-il, j'ai entendu votre marché. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-là pour être battu.

      —Tu y viendras, pourtant, répondit la Catiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l'attirant vers la baraque.

      —Je ne veux pas, je ne veux pas! cria l'enfant en se débattant

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