L'oeuvre des conteurs allemands. Anonyme
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу L'oeuvre des conteurs allemands - Anonyme страница 5
«Quelles délices! Je t'adore! Ce que tu es aimable! Ah! pourquoi nous aimons-nous tant!» Et puis ce furent des onomatopées voluptueuses!
Chacune de ces paroles s'est fixée dans ma mémoire. Combien de fois les ai-je répétées en pensées! Ce qu'elles m'ont fait réfléchir et rêver! Il me semble que je les entends encore sonner dans mes oreilles.
Il y eut un moments d'arrêt. Ma mère restait immobile, les yeux clos, le corps détendu, dans l'attitude d'un soldat blessé qui ne peut plus suivre l'armée victorieuse. Je n'avais plus devant moi mon père sévère, ni ma mère vertueuse et digne. Je voyais un couple d'êtres ne connaissant plus aucune convention, se jeter éblouis, ivres, dans une jouissance ardente que je ne connaissais pas. Mon père resta un instant immobile, puis il s'assit sur le bord du lit. Ses yeux brûlants avaient une expression sauvage, ils ne pouvaient se détourner du point de leur convoitise. Ma mère gémissait voluptueusement. Durant ce spectacle, le souffle me manquait, je faillis étouffer, mon cœur battait trop fort. Mille pensées s'éveillèrent dans ma tête, et j'étais inquiète, car je ne savais comment quitter ma cachette. Mon incertitude ne dura cependant point, car ce que je venais de voir n'était qu'un prélude. Tout de suite je devais en voir assez en une seule fois pour ne plus avoir besoin de leçon ultérieure.
Mon père s'était assis à côté de ma mère étendue. Il tournait maintenant le visage vers moi. Il devait avoir chaud, car tout à coup il enleva chemise et robe de chambre pour ne reprendre que sa robe.
Je pleurais presque, tant la curiosité m'excitait.
Comme cela était autrement fait que chez les petits garçons et aux statues! Je me souviens très bien que j'en avais peur et que, pourtant, un frisson délicieux me coulait dans le dos. Mon père n'y prenait pas garde, il fixait toujours ses yeux sur ma mère, il semblait maîtriser sa propre ardeur comme s'il cherchait à ne pas effaroucher la victime qu'il allait sacrifier sur l'autel où, résignée, elle attendait le sacrificateur.
Je tremblais de plus en plus fort, et comme s'il allait m'arriver quelque chose, je crispais violemment tout mon être.
Je savais déjà, par les racontars de mes amies, que ces deux parties exposées pour la première fois à ma vue s'appartenaient. Mais comment était-ce possible? Je ne le pouvais pas comprendre, parce qu'il me paraissait que leur grandeur était disproportionnée. Après une pause de quelques instants, mon père saisit la main brûlante de ma mère et la porta passionnément à ses lèvres. Ma mère se laissa faire avec une sorte de résignation béate, et s'agitant péniblement elle ouvrit les yeux, sourit langoureusement, puis se pendit avec une telle passion aux lèvres de mon père que je compris aussitôt n'avoir assisté qu'aux préliminaires innocents de ce qui allait se passer. Ils ne parlaient pas. Mais après avoir échangé les plus brûlants baisers, ils se défirent tout à coup de ces voiles que la civilisation et le climat imposent à la frileuse humanité.
Puis ma mère se renversa sur un tas de coussins, comme pour prendre un long repos, et je remarquai qu'elle s'agitait de-ci de-là; enfin elle trouva la position la plus favorable pour pouvoir se contempler aisément dans le miroir qu'elle avait dressé au pied du lit avant l'arrivée de mon père. Mon père ne le remarqua point, car il regardait moins le beau visage rayonnant de ma mère que le radieux spectacle offert par tout son être. Elle avait trouvé maintenant la position qu'elle cherchait et mon père s'agenouilla devant elle et se dirigea, nouveau Moïse, vers la terre promise, ou, nouveau Colomb, vers les Indes désirées, ou, nouveau Montgolfier, vers le ciel qu'il voulait atteindre, ou, Dante d'un nouveau Virgile, vers l'enfer passionné, et elle-même poussait des roucoulements enivrés. Puis elle dit:
—Aime-moi avec une grande douceur, mon cher homme, pour que notre félicité soit sans cesse la même. Aujourd'hui, demain et toujours, même jusque dans la plus extrême vieillesse et encore, si c'est possible (ce dont je ne doute pas) après la mort qui ne pourra point séparer deux cœurs aussi tendrement unis que les nôtres.
Moi, pauvre petite fille ignorante, que comprenais-je alors à ce que ma mère disait? Je vis que, quand elle eut dit cela, ils s'étreignirent avec une tendresse et une ardeur juvéniles. Au lieu de crier de douleur, ainsi que je m'y attendais, ma mère faisait briller ses yeux de joie. Elle murmurait les mots les plus doux et les mieux trouvés, qu'elle répétait au hasard, comme aurait pu le faire un petit enfant. Ses yeux ardents suivaient dans le miroir tous leurs mouvements et tous leurs gestes. Les mille sentiments qui m'agitaient alors ne me permirent pas de juger que ces deux corps enlacés étaient très beaux. Je sais maintenant qu'une telle beauté est extrêmement rare. La beauté est toujours l'apanage des êtres sains et forts, et fort peu de personnes restent ainsi jusque dans l'âge mûr: les maladies, les soucis, les passions, les vices trop communs dans la société humaine ont pour premier effet de détruire en partie la force et la beauté dès que la jeunesse, ce printemps de la vie tire à sa fin. Ma mère s'agitait doucement et souriait encore. À chaque parole on eût dit que leur volupté grandissait. Malheureusement, je ne voyais pas le visage de mon père; mais à ses mouvements, à ses exclamations comme aux frissons qui parcouraient ces deux êtres si bien faits pour vivre ensemble, je sentais bien que l'ivresse les gagnait. Mon père bientôt ne parlait plus. Ma mère, par contre, poussait des paroles incohérentes, à peine intelligibles, mais qui me permettaient néanmoins de saisir ce qui se passait entre eux:
—Ne nous quittons jamais, mon seul aimé! Que la mort même nous accueille nous tenant par la main. Non, jamais. Ah! comme tu es fort, comme tu es bon! Je t'aime plus encore aujourd'hui qu'au temps de nos fiançailles. Dis-moi, le souvenir de ce temps-là doit te faire plaisir! Et toi, m'aimes-tu toujours comme en ces temps bénis où tu m'avouais ton amour? Oh! cher compagnon de ma vie, dis-moi que je suis ta compagne chérie et que jamais, même un seul instant, tu n'as cessé de m'aimer comme au premier jour, celui où tu m'apportas ce jolie bouquet de pensées et de myosotis!
Mon père ne disait toujours rien. Il souriait avec bienveillance et caressait le visage de son épouse bien-aimée. Lui aussi, sans aucun doute, pensait au temps écoulé de la jeunesse, au temps où prétendant à la main de ma mère, il lui offrait timidement des bouquets de pensées et de myosotis qu'elle acceptait en tremblant. Et le visage extasié il se jeta sur le lit où il demeura immobile, comme mort, la tête perdue dans la houle des souvenirs. Puis il se tourna comme épuisé sur le côté. Ma mère sortit la première de ces pensées d'autrefois; j'eus le temps de remarquer le changement qui se produisait chez tous les deux. Mon père, qui, quelques instants auparavant, paraissait si fort, si courageux, si vaillant, si menaçant, était devenu un être faible et sans ressort, on eût dit ce coureur de Marathon après qu'il eut annoncé la victoire, ou encore l'Arabe abandonné par la caravane. Ma mère paraissait plus vivante, bien que la lassitude se peignît sur son beau visage aux traits calmes, aux couleurs charmantes et aussi vives que si elle avait été de la première jeunesse.
Elle se leva et s'accouda pour contempler mon père avec tendresse. Heureux époux, qu'une longue union n'avait point lassés l'un de l'autre! J'étais là, vivant témoignage de leur tendresse, mais leur tendresse paraissait toujours forte, aussi vivante! Rares époux, trop rares en vérité, je ne pense jamais à vous sans me souvenir de cette scène inoubliable.
Enfin, ma mère se recoucha auprès de mon père immobile et rêveur. Il avait maintenant l'air complètement satisfait; ma mère, non. Elle semblait être en proie à la même excitation qui s'était emparée de lui, tout à l'heure. Elle se leva. En faisant sa toilette, elle releva, comme par hasard, le miroir, et mon père, qui était maintenant à sa place, sur l'oreiller, ne pouvait point voir l'image qui l'avait tant réjouie. J'avais suivi cette scène avec tant d'attention que ce petit geste ne m'échappa point, mais je ne me l'expliquai que beaucoup plus tard. Je croyais que tout était maintenant terminé. Mes sens étaient violemment agités et me faisaient presque mal. Je