Le pilote du Danube. Jules Verne
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le pilote du Danube - Jules Verne страница 4
Mais, que l'on fût ou que l'on ne fût pas étonné, il n'y avait qu'à s'incliner. L'impartialité du Jury ne pouvant être suspectée, Ilia Brusch était le vainqueur du concours, et cela dans des conditions que personne, de mémoire de ligueur, n'avait jamais réunies. L'assemblée se dégela donc, et des applaudissements suffisamment sonores saluèrent le triomphateur, au moment où il recevait ses diplômes et ses primes des mains du Président Miclesco.
Cela fait, Ilia Brusch, au lieu de descendre de l'estrade, eut un court colloque avec le Président, puis se retourna vers l'assemblée intriguée, en réclamant du geste un silence qu'il obtint comme par enchantement.
« Messieurs et chers collègues, dit Ilia Brusch, je vous demanderai la permission de vous adresser quelques mots, ainsi que notre Président veut bien m'y autoriser.
On aurait entendu voler une mouche dans la salle tout à l'heure si bruyante. A quoi tendait cette allocution non prévue au programme?
—Je désire d'abord vous remercier, continuait Ilia Brusch, de votre sympathie et de vos applaudissements, mais je vous prie de croire que je ne m'enorgueillis pas plus qu'il ne convient du double succès que je viens d'obtenir. Je n'ignore pas que ce succès, s'il eût appartenu au plus digne, eût été remporté par quelque membre plus ancien de la Ligue Danubienne, si riche en valeureux pêcheurs, et que je le dois, plutôt qu'à mon mérite, à un hasard favorable.
La modestie de ce début fut vivement appréciée de l'assistance, d'où plusieurs très bien! s'élevèrent en sourdine.
—Ce hasard favorable, il me reste à le justifier, et j'ai conçu dans ce but un projet que je crois de nature à intéresser cette réunion d'illustres pêcheurs.
«La mode, vous ne l'ignorez pas, mes chers collègues, est aux records. Pourquoi n'imiterions-nous pas les champions d'autres sports, inférieurs au nôtre à coup sûr, et ne tenterions-nous pas d'établir le record de la pêche?
Des exclamations étouffées coururent dans l'auditoire. On entendit des ah! ah!, des tiens! tiens!, des pourquoi pas?, chaque sociétaire traduisant son impression selon son tempérament particulier.
—Quand cette idée, poursuivait cependant l'orateur, m'est venue pour la première fois à l'esprit, je l'ai adoptée sur-le-champ, et sur-le-champ j'ai compris dans quelles conditions elle devait être réalisée. Mon titre d'associé de la Ligue Danubienne limitait, d'ailleurs, le problème. Ligueur du Danube, c'est au Danube seul qu'il me fallait demander l'heureuse issue de mon entreprise. J'ai donc formé le projet de descendre notre glorieux fleuve, de sa source même à la mer Noire, et de vivre, durant ce parcours de trois mille kilomètres, exclusivement du produit de ma pêche.
«La chance qui m'a favorisé aujourd'hui augmenterait encore, s'il était possible, mon désir d'accomplir ce voyage, dont, j'en suis certain, vous apprécierez l'intérêt, et c'est pourquoi, dès à présent, je vous annonce mon départ, fixé au 10 août, c'est-à dire à jeudi prochain, en vous donnant rendez-vous, ce jour-là, au point précis où commence le Danube.
Il est plus facile d'imaginer que de décrire l'enthousiasme que provoqua cette communication inattendue. Pendant cinq minutes, ce fut une tempête de hoch! et d'applaudissements frénétiques.
Mais un tel incident ne pouvait se terminer ainsi. M. Miclesco le comprit, et, comme toujours, il agit en véritable président. Un peu lourdement peut-être, il se leva une fois de plus entre ses deux assesseurs.
—A notre collègue Ilia Brusch! dit-il d'une voix émue, en brandissant une coupe de champagne.
—A notre collègue Ilia Brusch!» répondit l'assemblée avec un bruit de tonnerre, auquel succéda immédiatement un profond silence, les humains n'étant pas conformés, par suite d'une regrettable lacune, de manière à pouvoir crier et boire en même temps.
Toutefois, le silence fut de courte durée Le vin pétillant eut tôt fait de rendre aux gosiers lassés une vigueur nouvelle, ce qui leur permit de porter encore d'innombrables santés, jusqu'au moment où fut clôturé, au milieu de l'allégresse générale, le fameux concours de pêche ouvert ce jour-là, samedi 5 août 1876, par la Ligue Danubienne, dans la charmante petite ville de Sigmaringen.
II
AUX SOURCES DU DANUBE.
En annonçant à ses collègues réunis au Rendez-vous des Pêcheurs son projet de descendre le Danube, la ligne à la main, Ilia Brusch avait-il ambitionné la gloire? Si tel était son but, il pouvait se vanter de l'avoir Atteint.
La presse s'était emparée de l'incident, et tous les journaux de la région danubienne, sans exception, avaient consacré au concours de Sigmaringen une copie plus ou moins abondante, mais toujours capable de chatouiller agréablement l'amour-propre du vainqueur, dont le nom était en passe de devenir tout à fait populaire.
Dès le lendemain, dans son numéro du 6 août, la Neue Freie Press, de Vienne, notamment, avait inséré ce qui suit:
Le dernier concours de pêche de la Ligue Danubienne s'est terminé hier à Sigmaringen sur un véritable coup de théâtre, dont un Hongrois du nom d'Ilia Brusch, hier inconnu, aujourd'hui presque célèbre, a été le héros.
»Qu'a donc fait Ilia Brusch, demandez-vous, pour mériter une gloire aussi soudaine?
»En premier lieu, cet habile homme a réussi à s'adjuger les deux premiers prix du poids et du nombre, en distançant de loin tous ses concurrents, ce qui, paraît-il, ne s'était jamais vu depuis qu'il existe des concours de ce genre. Ce n'est déjà pas mal. Mais il y a mieux.
»Quand on a récolté une pareille moisson de lauriers, quand on a remporté une aussi éclatante victoire, il semblerait qu'on soit en droit de goûter un repos mérité. Or, tel n'est pas l'avis de ce Hongrois étonnant, qui se prépare à nous étonner plus encore.
»Si nous sommes bien informés—et l'on connaît la sûreté de nos informations—Ilia Brusch aurait annoncé à ses collègues qu'il se proposait de descendre, la ligne à la main, tout le Danube, depuis sa source, dans le duché de Bade, jusqu'à son embouchure, dans la mer Noire, soit un parcours de trois mille kilomètres environ.
»Nous tiendrons nos lecteurs au courant des péripéties de cette originale entreprise.
»C'est jeudi prochain, 10 août, qu'Ilia Brusch doit se mettre en route. Souhaitons-lui bon voyage, mais souhaitons aussi que le terrible pêcheur n'extermine pas, jusqu'au dernier représentant, la gent aquatique qui peuple les eaux du grand fleuve international!»
Ainsi s'exprimait la Neue Freie Press de Vienne. Le Pester Lloyd de Budapest ne se montrait pas moins chaleureux, non plus que le Srbské Noviné de Belgrade et le Românul de Bucarest, dans lesquels la note se haussait aux dimensions d'un véritable article.
Cette littérature était bien faite