Pièces choisies. Valentin Krasnogorov

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Pièces choisies - Valentin Krasnogorov

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Parce que j’en ai eu envie.

      LUI. Je vois que tu ne lâcheras pas comme ça, aussi mettons les choses au clair : je ne me compromets pas avec les filles des rues. Tu n’as aucune chance.

      ELLE. Vous préférez, bien sûr, les honnêtes filles.

      LUI. Ça va de soi.

      ELLE. Et qu’est-ce que c’est, selon vous, une femme des rues?

      LUI. Celle qui fait commerce de son amour.

      ELLE. C’est donc par économie que vous préférez les honnêtes filles?

      LUI. Ne me provoque pas.

      ELLE. Entendu. Donc, selon vous, je suis une fille des rues?

      LUI. Quoi d’autre?

      ELLE. Est-ce que je vous racole dans la rue?

      LUI. Dans la rue, au restaurant, quelle différence? Ce qui compte, c’est l’argent.

      ELLE. Je vous ai demandé de l’argent?

      LUI. (de mauvais gré). Pas encore.

      ELLE. Dites, et si une femme trompe son mari gratuitement, elle est honnête?

      LUI. (ne sachant que répondre). Lâche-moi.

      ELLE. Et si je passe la nuit avec vous sans me faire payer, je serai une fille honnête?

      LUI. Je t’ai dit de me lâcher.

      ELLE. En somme, vous me repoussez.

      LUI. Oui.

      ELLE. Pourquoi?

      LUI. Je crains qu’après cette nuit enflammée je doive aller chez le médecin et alors elle deviendra effectivement inoubliable.

      ELLE. Vous le craignez réellement ou vous vouliez simplement m’insulter?

      LUI. Je le crains réellement.

      ELLE. Et moi qui croyais que c’était l’honnêteté qui vous retenait de la tentation.

      LUI. Et aussi l’honnêteté.

      ELLE. C’est très louable. Comme l’écrivait déjà Horace : «Fuis toutes les jouissances car la jouissance est au prix de la souffrance».

      LUI. (Il ne peut cacher son étonnement.). C’est la première fois que je rencontre une femme de petite vertu qui cite Horace.

      ELLE. Et vous en rencontrez souvent des femmes pareilles?

      LUI. Ça, c’est mon affaire.

      ELLE. Et vous, vous avez vu beaucoup d’ingénieurs citant Horace? Ou des médecins?

      LUI. Pour être honnête, pas beaucoup. Pas du tout. D’où tenez-vous ces références?

      ELLE. Je les moissonne chez mes clients. Car parmi eux, on en trouve aussi de tout à fait cultivés. (Posément.) Parfois même hautement diplômés.

      LUI. (lui jetant un regard inquisiteur). Vous savez des choses sur moi?

      ELLE. Peut-être.

      LUI. Je vois, avec vous il faut être sur ses gardes. Et vous n’avez pas votre langue dans la poche.

      ELLE. Hélas, je n’ai pas de poche. Seulement un petit sac.

      LUI. (À nouveau, il la regarde attentivement.). Je n’arrive pas à vous cerner.

      ELLE. Je pense que ça n’en vaut pas la peine. Vous le regretteriez.

      LUI. Vous ne ressemblez pas à une prostituée ordinaire.

      ELLE. Je vois que vous avez une riche expérience. Malgré votre froideur, votre fermeté et votre dégoût vous arrivez à savoir à quoi ressemblent les prostituées.

      LUI. Je vais au cinéma.

      ELLE. Ne vous diminuez pas. Dites-moi plutôt à quoi ressemblent et comment se conduisent les belles de nuit.

      LUI. Je ne sais pas… Sans doute avec plus de sans-gêne.

      ELLE. Sans doute, vouliez-vous dire avec « plus de rentre-dedans ». Disons, comme ça. (Elle s’assoit en croisant les jambes, met à nu une épaule, remonte très haut sa robe et allume une cigarette imaginaire.) C’est ressemblant?

      LUI. (souriant involontairement). Il y a de ça.

      ELLE. Ça vous plaît?

      LUI. Oui et non. Ça repousse… mais ça attire aussi.

      ELLE. Merci pour cet aveu sincère.

      LUI. (lui versant à boire). Un peu de vodka?

      ELLE. Pourquoi? Dans les films ces filles-là boivent toujours de la vodka? Je vais rarement au cinéma, mais je croyais que leur occupation principale était tout autre.

      LUI. Vous n’êtes pas obligée de boire. Pour être honnête, je ne l’aime pas non plus moi-même.

      ELLE. Eh bien, que pensez-vous des femmes qui font le plus vieux métier du monde?

      LUI. (Il hausse les épaules.). Je ne sais pas. Elles existent, c’est donc qu’elles sont nécessaires à quelqu’un.

      ELLE. Mais pas à vous.

      LUI. Pas à moi.

      ELLE. Qu’est-ce qu’elles vous ont fait pour vous irriter à ce point?

      LUI. Elles se donnent à tous venants.

      ELLE. Pourquoi ne pourraient-elles pas donner du plaisir à ceux qui en ont besoin? Je dirais même que c’est notre devoir de femme. (Avec une solennité moqueuse :) Platon déjà affirmait que nous devons vivre non seulement pour nous-mêmes, mais pour partie appartenir à la société, pour partie aux amis.

      LUI. Mais vous vous êtes forgé un joli savoir.

      ELLE. La vie est un bon forgeron, qui apprend à battre le verbe quand il le faut.

      LUI. Tu as beau dire, se vendre est immoral.

      ELLE. Dans une certaine mesure, nous vendons tous notre temps, nos services et notre travail. Selon vous, si une femme travaille à la chaîne, courbe l’échine sur un chantier ou bêche la terre, c’est plus moral? Car celles que vous attaquez ainsi ne sont pas des oisives, elles travaillent. En Amérique, on appelle de telles dames des sexual workers, des travailleuses du sexe et elles sont syndiquées. En Hollande, on les nomme plus poétiquement ‒ Froelischsmädchen ‒ « les filles de joie ». Chez nous, de quels noms ne les gratifie-t-on pas, sans parler encore du vocabulaire obscène.

      LUI. Selon vous, elles ne méritent pas de tels sobriquets?

      ELLE. Alors, que méritent les hommes qui bénéficient de leurs services?

      LUI. Voyons, il y a une différence.

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