Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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pendant un an j'écrive chaque jour cette maxime: «Ne jamais céder à mon premier mouvement.»

      —Et, en effet, ajouta le placeur, une année durant, M. de Clinchan a écrit cette phrase en tête de toutes les pages de son journal. Je tiens ces faits des gens qui ont eu les volumes entre les mains.

      C'était bien la dixième fois que B. Mascarot mettait en avant ces «gens» dont il se prétendait le mandataire contraint, et M. de Mussidan s'obstinait à ne le pas remarquer, s'entêtait à ne pas demander: «Quels sont donc ces gens?» Cela était extraordinaire, sinon un peu inquiétant.

      Le comte s'était levé et il arpentait son cabinet, soit qu'il cherchât des idées, soit qu'il voulût enlever au placeur la possibilité de suivre dans ses yeux le reflet de ses émotions.

      —C'est tout? demanda-t-il après un silence.

      —Oui, monsieur le comte.

      —Cela étant, savez-vous ce que vous répondrait un juge impartial?

      —Oui, je serais assez curieux de savoir...

      —Il vous répondrait ceci, interrompit le comte: Un homme en possession de son bon sens n'écrit pas des choses pareilles. Il est de ces secrets qu'on s'efforce d'oublier, qu'on ne dit pas à son bonnet de nuit, qu'à plus forte raison on ne confie pas à une feuille de papier qui s'égare, qui peut être volée, qui doit tomber entre les mains d'héritiers. Il est impossible qu'un homme sensé, coupable d'un faux témoignage, c'est-à-dire d'un crime qui entraîne les travaux forcés, aille s'amuser à en coucher les détails sur un registre, en y joignant l'analyse de ses sensations.

      L'honnête placeur ne put retenir un mouvement de commisération.

      C'est à reculons qu'il sortit. C'est à reculons qu'il sortit.

      —Mon avis, monsieur le comte, dit-il, est que vous avez tort de chercher une

      issue de ce côté. Votre thèse n'est pas soutenable, pas un avocat ne l'accepterait. Si, pour arriver à des preuves certaines, j'entends des preuves judiciaires, on examinait les trente et quelques volumes du journal de M. de Clinchan, on y trouverait, paraît-il, bien d'autres énormités.

      M. de Mussidan réfléchissait, mais sa physionomie ne portait aucune trace d'appréhension si légère qu'elle fût. Il paraissait avoir arrêté un parti et ne plus discuter que pour la forme.

      —Soit, fit-il, j'abandonne ce système.

      —Oui, cela vaut autant.

      —Mais qui m'assure que je n'ai pas sous les yeux l'œuvre d'un faussaire? On imite terriblement bien les écritures, en un temps où la Banque a eu de la peine à reconnaître des billets faux mêlés aux siens.

      —On peut vérifier. Manque-t-il ou non des feuillets à un des volumes de M. de Clinchan?

      —Qu'est-ce que cela prouve?

      —Tout, monsieur le comte. Laissez-moi vous montrer que ce système ne vaut pas mieux que l'autre. Tout d'abord, j'abandonne le témoignage de M. de Clinchan; il est clair qu'il répondrait conformément à vos intérêts.

      —Passons, passons!...

      —Mais en l'état de cause, le journal de M. de Clinchan est pour nous comme un livre à souche. Les fragments des feuillets déchirés remplissent le rôle du talon. Si les deux déchirures se rapportent, n'y a-t-il pas évidence? Hélas! les gens qui m'envoient vers vous sont bien habiles, ils n'ont rien oublié.

      Le comte eut un sourire ironique, un de ces sourires d'homme qui tient en réserve un argument vainqueur.

      —Est-ce vraiment votre opinion? demanda-t-il.

      —En mon âme et conscience, oui!

      —Alors, autant avouer.

      —Oh!... avec de telles preuves contre soi, on avoue pas, on est convaincu.

      —Alors, oui, c'est vrai, Montlouis a été tué comme le dit Clinchan. Et Clinchan, s'il est un imprudent, est un homme de cœur. Il a su quelles raisons, dans ma discussion avec Montlouis, m'ont exalté jusqu'au délire, et ces raisons, il ne les a pas consignées.

      B. Mascarot eut un soupir de soulagement, quoique, en vérité, il fut inquiet de la tournure de l'entretien et du ton dégagé de son adversaire.

      —Seulement, reprit le comte, ce sont des niais, ceux qui ont prétendu se faire une arme contre moi de cet immense malheur.

      Il prit en parlant ainsi, un volume sur les rayons de sa bibliothèque, le feuilleta et le plaça tout ouvert devant B. Mascarot, en disant:

      —Voici le code d'instruction criminelle, lisez, tenez, ici, article 637:

      «L'action publique et l'action civile résultant d'un crime de nature à entraîner la peine de mort ou des peines afflictives perpétuelles... se prescriront après dix années révolues, etc., etc.»

      M. de Mussidan espérait bien que ce seul article écraserait le louche personnage. Point.

      Loin de sembler surpris, M. Mascarot eut un large et bon sourire.

      —Eh!... répondit-il, je suis agent d'affaires, monsieur le comte, c'est vous dire que je connais mon code. Le jour où ceux que je représente sont venus me trouver, mon premier mouvement a été de leur lire cet article.

      —Ah!... Et qu'ont-ils répondu?

      —Ceci, textuellement: «Pardieu!... nous savons cela. S'il n'y avait pas prescription, nous n'aurions pas besoin de vos services; nous irions tout bonnement trouver le comte, nous lui demanderions la moitié de sa fortune, et il se ferait un plaisir de nous la donner.»

      Il n'y avait pas à se tromper à l'air et à l'accent d'assurance de B. Mascarot.

      M. de Mussidan comprit bien que des misérables, d'une audace et d'une habileté supérieures, devaient avoir trouvé quelque infaillible moyen d'utiliser contre lui le crime de sa jeunesse.

      Mais s'il fut saisi, à cette certitude, d'une inquiétude si grande que son cœur se serra, il était assez maître de lui pour n'en rien laisser échapper.

      —Allons fit-il, la moitié de ma fortune l'échappe belle, à ce qu'il paraît. Les prétentions, je l'imagine et je l'espère, sont plus modestes, maintenant que les feuillets volés à mon ami ne sont plus que d'inutiles chiffons.

      —Oh! inutiles!...

      —Le code, à cet égard, est précis, ce me semble?

      M. Mascarot prit la peine d'ajuster ses lunettes, signe manifeste qu'il allait dire quelque chose de grave.

      —Vous avez raison, monsieur le comte, prononça-t-il. On ne doit pas songer à vous atteindre par les voies judiciaires. Vous ne pouvez être ni recherché ni poursuivi pour ce meurtre qui date de vingt-trois ans.

      —Donc!

      —Pardon!...

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