Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 4

Автор:
Серия:
Издательство:
Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

Скачать книгу

persistance féroce, j'ai vendu la semaine passée mes dernières nippes, nous n'avons plus de bois, enfin nous n'avons pas mangé depuis hier matin.

      A ces objections formulées comme des reproches poignants, le malheureux jeune homme étreignait son front de ses mains crispées, comme s'il eût espéré en faire jaillir une idée de salut.

      —Voilà le tableau!... continuait l'imperturbable Rose. Moi, je dis qu'il serait bon de trouver un moyen, un expédient, quelque chose, n'importe quoi.

      Brusquement, Paul se débarrassa de son léger pardessus et le jeta sur une des chaises:

      —Tiens, porte cela au mont-de-piété.

      La jeune femme ne bougea pas.

      —C'est tout ce que tu trouves pour nous tirer d'affaire? interrogea-t-elle.

      —On te prêtera bien trois francs; ce sera toujours de quoi acheter du bois et du pain.

      —Et après?

      —Après!... nous verrons, je réfléchirai, je chercherai. Qu'est-ce que je veux? gagner du temps. Je finirai bien par briser le cercle fatal qui m'étreint. Le succès me viendra, et avec le succès la fortune. Mais il faut savoir attendre.

      —Il faut pouvoir.

      —N'importe... fais toujours ce que je te dis, et demain...

      Moins troublé, Paul eût bien reconnu à la contenance de Rose qu'elle était résolue à le pousser à bout.

      —Demain!... fit-elle avec une ironie de plus en plus accentuée, toujours demain!... Voici des mois que nous vivons sur ce mot. Tiens, Paul, tu n'es qu'un enfant, et il faut que tu aies enfin le courage de regarder la vérité en face. Que me prêtera-t-on sur ce vêtement usé? Trois francs... si on me les prête. Combien de jours vivrons-nous avec ces trois francs? Mettons trois jours. Et ensuite? Déjà, ne le comprends-tu pas? tu es trop pauvrement vêtu pour être bien reçu. Seuls, les solliciteurs élégants sont favorablement écoutés. Pour obtenir une chose, il faut surtout avoir l'air de n'en pas avoir besoin. Où iras-tu quand tu n'auras que ton habit? Tu seras ridicule; tu n'oseras plus sortir.

      —Tais-toi, interrompit Paul, je t'en prie, tais-toi. Hélas! je ne le vois que trop clairement, à cette heure, tu es comme les autres, comme tout le monde: ne pas réussir te semble un crime. Autrefois, tu avais confiance en moi, tu ne parlais pas ainsi.

      —Autrefois, je ne savais pas.

      —Non, Rose, non, mais tu m'aimais. Mon Dieu! n'ai-je donc pas tout essayé, tout tenté!... Je suis allé de porte en porte offrir mes compositions, ces mélodies que tu chantais si bien, j'ai demandé des leçons à tous les échos de Paris. Qu'aurais-tu fait de plus, à ma place? parle, réponds...

      Paul s'animait par degrés. Rose, au contraire, affectait une irritante nonchalance.

      —Je ne sais, répondit-elle enfin, pourtant il me semble que si j'étais homme, je ne laisserais jamais manquer du nécessaire la femme que je prétendrais aimer, non, jamais. J'irais, je travaillerais...

      —Je ne suis pas un ouvrier, malheureusement, je n'ai pas d'état.

      —Moi, j'en apprendrais un. Combien gagne-t-on par jour à servir les maçons? C'est peut-être pénible, ce n'est pas, ce me semble, bien difficile. Tu as, à ce que tu prétends, un rare talent? Je ne dis pas non. Mais si j'étais un grand compositeur et s'il n'y avait pas de pain chez moi, j'irais, sans hésiter, jouer dans les rues et dans les cafés, je chanterais dans les cours. Enfin, j'aurais de l'argent quand même, n'importe comment, n'importe d'où, à tout prix, quand je devrais...

      —Tu oublies que je suis un honnête homme, Rose!

      —Vraiment! ne dirait-on pas que je te propose une mauvaise action! Ta réponse, Paul, est celle de tous ceux qui, faute d'adresse ou d'énergie, restent en chemin. On va vêtu comme un mendiant, le ventre vide, crevant de jalousie, mais on se redresse pour dire: Je suis honnête. Comme si on ne pouvait absolument être riche ou faire fortune sans être le dernier des coquins. C'est trop bête, à la fin!

      Elle parlait d'une voix vibrante, et une infernale hardiesse étincelait dans ses yeux. C'était bien là une de ces créatures redoutables, énergiques surtout pour le mal, qui peuvent conduire un homme faible sur le bord de l'abîme, l'y pousser et l'oublier avant même qu'il ait roulé jusqu'au fond.

      Sous le fouet de ces sarcasmes, la nature violente de Paul se réveillait; la colère empourprait ses joues.

      —Que ne m'aides-tu toi-même, s'écria-t-il, que ne travailles-tu!

      —Oh!... moi... c'est autre chose, je ne suis pas faite pour travailler.

      Paul eut un geste terrible, il marcha la main levée sur la jeune femme.

      —Malheureuse, disait-il, tu n'es qu'une malheureuse!

      —Non... j'ai faim!

      Une querelle arrivée à ce point devait finir mal, lorsqu'un bruit assez fort attira l'attention des jeunes gens; ils se retournèrent.

      La porte de la mansarde était ouverte, et sur le seuil se tenait, debout, un vieux homme qui les regardait avec un sourire paternel.

      Il était grand et légèrement voûté. De son visage, on ne découvrait que les pommettes couleur brique et le nez rouge; une barbe grisonnante, longue, épaisse, inculte, cachait le reste. Il portait des lunettes de pacotille à verres teintés, mais il avait en le soin d'entourer d'un ruban noir la monture de fer.

      Paul eut un geste terrible, il marcha la main levée sur la jeune femme. Paul eut un geste terrible, il marcha la main levée sur la jeune femme.

      En lui, tout respirait la misère et l'incurie à leur apogée. Son paletot, à larges poches éraillées, informe, graisseux, portait les traces de toutes les murailles essuyées à boire. Il devait être un de ces cyniques nomades qui, jugeant fastidieux de quitter les vêtements pour dormir, couchent tout habillés, à terre ou sur leur grabat.

      Ce vieux, Paul et Rose le connaissaient bien. Ils l'avaient déjà rencontré dans les escaliers, et savaient qu'il habitait le taudis voisin et qu'on l'appelait le père Tantaine.

      Sa vue rappela à Paul que d'une mansarde à l'autre on distinguait les moindres paroles, et cette idée qu'on l'avait écouté l'exaspéra.

      —Que voulez-vous, monsieur, demanda-t-il brutalement, et qui vous a permis d'entrer chez moi sans frapper?

      Cette question, adressée d'un ton presque menaçant, ne sembla ni fâcher ni déconcerter le vieil homme.

      —Je mentirais, répondit-il, si je n'avouais pas que me trouvant par hasard chez moi, et vous entendant causer de vos petites affaires, j'ai prêté l'oreille.

      —Monsieur!...

      —Attendez donc, bouillante jeunesse!... Vous en êtes vite venus à une querelle, et, par ma foi! cela s'explique. Quand il n'y a rien dans le râtelier, les chevaux les plus jolis, les mieux élevés se battent, je connais, ça, moi!

      Il

Скачать книгу