Les mille et une nuits: contes choisis. Anonyme
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Les mille et une nuits: contes choisis - Anonyme страница 16
Le porteur alla jusque-là et y lut ces mots qui étaient écrits en gros caractères d'or. «Qui parle des choses qui ne le regardent point, entend ce qui ne lui plaît pas.» Il revint ensuite trouver les trois sœurs: Mesdames, leur dit-il, je jure que vous ne m'entendrez parler d'aucune chose qui ne me regardera pas, et où vous puissiez avoir intérêt.
Cette convention faite, Amine apporta le souper, et quand elle eut éclairé la salle d'un grand nombre de bougies préparées avec le bois d'aloès et l'ambre gris, qui répandirent une odeur agréable et firent une belle illumination, elle s'assit à table avec ses sœurs et le porteur. Ils recommencèrent à manger, à boire, à chanter et à réciter des vers. Les bons mots ne furent point épargnés. Enfin ils étaient tous de la meilleure humeur du monde, lorsqu'ils ouïrent frapper à la porte...
XXVE NUIT
Dès que les dames, poursuivit Scheherazade, entendirent frapper à la porte, elles se levèrent toutes trois en même temps pour aller ouvrir; mais Safie, à qui cette fonction appartenait particulièrement, fut la plus diligente: les deux autres, se voyant prévenues, demeurèrent et attendirent qu'elle vînt leur apprendre qui pouvait avoir affaire chez elles si tard. Safie revint. Mes sœurs, dit-elle, il se présente une belle occasion de passer une bonne partie de la nuit fort agréablement; et si vous êtes du même sentiment que moi, nous ne la laisserons point échapper. Il y a à notre porte trois Calenders, au moins ils me paraissent tels à leur habillement; mais, ce qui va sans doute vous surprendre, ils sont tous trois borgnes de l'œil droit, et ont la tête, la barbe et les sourcils ras, ils ne font, disent-ils, que d'arriver tout présentement à Bagdad, où ils ne sont jamais venus, et comme il est nuit et qu'ils ne savent où aller loger, ils ont frappé par hasard à notre porte et ils nous prient, pour l'amour de Dieu, d'avoir la charité de les recevoir. Ils se mettent peu en peine du lieu que nous voudrons leur donner, pourvu qu'ils soient à couvert; ils se contenteront d'une écurie. Ils sont jeunes et assez bien faits; ils paraissent même avoir beaucoup d'esprit; mais je ne puis penser, sans rire, à leur figure plaisante et uniforme. En cet endroit Safie s'interrompit elle-même, et se mit à rire de si bon cœur, que les deux autres dames et le porteur ne purent s'empêcher de rire aussi. Mes bonnes sœurs, reprit-elle, ne voulez-vous pas bien que nous les fassions entrer? Il est impossible qu'avec des gens tels que je viens de vous les dépeindre, nous n'achevions la journée encore mieux que nous ne l'avons commencée. Ils nous divertiront fort et ne nous seront point à charge, puisqu'ils ne nous demandent une retraite que pour cette nuit seulement, et que leur intention est de nous quitter d'abord qu'il sera jour.
Zobéide et Amine firent difficulté d'accorder à Safie ce qu'elle demandait, et elle en savait bien la raison elle-même; mais elle leur témoigna une si grande envie d'obtenir d'elles cette faveur, qu'elles ne purent la lui refuser. Allez, lui dit Zobéide, faites-les donc entrer; mais n'oubliez pas de les avertir de ne point parler de ce qui ne les regardera pas et de leur faire lire ce qui est écrit au-dessus de la porte. A ces mots, Safie courut ouvrir avec joie, et peu de temps après elle revint accompagnée des trois Calenders.
Les trois Calenders firent en entrant une profonde révérence aux dames qui s'étaient levées pour les recevoir, et qui leur dirent obligeamment qu'ils étaient les bienvenus, qu'elles étaient bien aises de trouver l'occasion de les obliger, et de contribuer à les remettre de la fatigue de leur voyage, et enfin elles les invitèrent à s'asseoir auprès d'elles. La magnificence du lieu et l'honnêteté des dames firent concevoir aux Calenders une haute idée de ces belles hôtesses; mais, avant que de prendre place, ayant par hasard jeté les yeux sur le porteur, et le voyant habillé à peu près comme d'autres Calenders avec lesquels ils étaient en différend sur plusieurs points de discipline, et qui ne se rasaient pas la barbe et les sourcils, un d'entre eux prit la parole: Voilà dit-il, apparemment un de nos frères arabes les révoltés.
Le porteur, à moitié endormi, et la tête échauffée du vin qu'il avait bu, se trouva choqué de ces paroles, et sans se lever de sa place, il répondit aux Calenders, en les regardant fièrement: Asseyez-vous et ne vous mêlez pas de ce que vous n'avez que faire. N'avez-vous pas lu au-dessus de la porte l'inscription qui y est? Ne prétendez pas obliger le monde à vivre à votre mode; vivez à la nôtre.
Bonhomme, reprit le Calender qui avait parlé, ne vous mettez point en colère; nous serions bien fâchés de vous en avoir donné le moindre sujet, et nous sommes au contraire prêts à recevoir vos commandements. La querelle aurait pu avoir des suites; mais les dames s'en mêlèrent, et pacifièrent toutes choses.
Quand les Calenders se furent assis à table, les dames leur servirent à manger; et l'enjouée Safie, particulièrement, prit soin de leur verser à boire...
XXVIE NUIT
Une heure avant le jour, Scheherazade continua de cette manière ce qui se passa entre les dames et les Calenders:
Après que les Calenders eurent bu et mangé à discrétion, ils témoignèrent aux dames qu'ils se feraient un grand plaisir de leur donner un concert, si elles avaient des instruments, et qu'elles voulussent leur en faire apporter. Elles acceptèrent l'offre avec joie. La belle Safie se leva pour en aller quérir. Elle revint un moment ensuite, et leur présenta une flûte du pays, une autre à la persane, et un tambour de basque. Chaque Calender reçut de sa main l'instrument qu'il voulut choisir, et ils commencèrent tous trois à jouer un air. Les dames, qui savaient des paroles sur cet air, qui était des plus gais, l'accompagnèrent de leurs voix; mais elles s'interrompaient de temps en temps par de grands éclats de rire, que leur faisaient faire les paroles. Au plus fort de ce divertissement, et lorsque la compagnie était le plus en joie, on frappa à la porte. Safie cessa de chanter, et alla voir ce que c'était.
Mais, Sire, dit en cet endroit Scheherazade au sultan, il est bon que Votre Majesté sache pourquoi l'on frappait si tard à la porte des dames; en voici la raison. Le calife Haroun-al-Raschid avait coutume de marcher très-souvent la nuit incognito, pour savoir par lui-même si tout était tranquille dans la ville, et s'il ne s'y commettait pas de désordres.
Cette nuit-là, le calife était sorti de bonne heure, accompagné de Giafar, son grand vizir, et de Mesrour, chef des eunuques de son palais, tous trois déguisés en marchands. En passant par la rue des trois dames, ce prince, entendant le son des instruments et des voix, et le bruit des éclats de rire, dit au vizir: Allez, frappez à la porte de cette maison où l'on fait tant de bruit; je veux y entrer et en apprendre la cause. Le vizir eut beau lui représenter qu'il ne devait pas s'exposer à recevoir quelque insulte; qu'il n'était pas encore heure indue, et qu'il ne fallait pas troubler le divertissement de ceux qu'ils entendaient rire. Il n'importe, reprit le calife: frappez, je vous l'ordonne.
C'était donc le grand vizir Giafar qui avait frappé à la porte des dames, par ordre du calife, qui ne voulait pas être connu. Safie ouvrit; et le vizir, remarquant, à la clarté d'une bougie qu'elle tenait, que c'était une dame d'une grande beauté, joua parfaitement bien son personnage. Il lui fit une profonde révérence, et lui dit d'un air respectueux: Madame, nous sommes trois marchands de Moussoul, arrivés depuis environ dix jours, avec de riches marchandises que nous avons en magasin dans un khan où nous avons pris logement. Nous avons été aujourd'hui chez un marchand de cette ville qui nous avait invités à l'aller voir. Il nous a régalés d'une collation; et comme le vin nous avait mis de belle humeur, il a fait venir une troupe de danseuses. Il était déjà nuit; et dans le temps que l'on jouait des instruments, que les danseuses dansaient, et que la compagnie faisait grand bruit, le guet a passé et s'est fait ouvrir. Quelques-uns de la compagnie ont été arrêtés. Pour nous, nous avons été assez heureux pour nous sauver par-dessus une