Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz
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Quelqu'un a dit de Berlioz, il y a une vingtaine d'années:—Il n'a pas le succès, mais il a la gloire....—Aujourd'hui, le voilà en train de conquérir l'un et l'autre; c'est pourquoi les éléments de ce livre ont été rassemblés et pourquoi cette notice a été écrite.
La gloire et le succès tout à la fois!.... Pour réunir ces deux attributs, qui ordinairement marchent de compagnie et qui n'avaient été séparés (dans le cas présent) que par le plus grand des hasards, Berlioz n'a eu qu'une chose très-simple à faire,—une chose à laquelle nous sommes soumis, vous et moi, une chose de laquelle dépendent les oiseaux qui volent dans l'air, les poissons qui nagent dans l'eau, les fleurs qui présentent leurs corolles aux baisers du soleil, le mendiant sous ses haillons et le souverain sous sa pourpre, une chose que nous ne pouvons ni éviter quand nous ne la cherchons pas, ni rencontrer quand nous la cherchons: il n'a eu qu'à mourir.
C'est que la mort est une fée mystérieuse dont la baguette a déjà accompli bien des prodiges. Telle marâtre insupportable, tel prince tyrannique, tel parent qui nous embarrassait, tel ami qui nous avait pris une place, nous apparaissent, dès qu'ils sont couchés dans la tombe, comme des modèles de vertus. Nous jetons des roses sur ces fosses encore béantes, nous avons soin de planter un bel arbre sur la terre fraîchement remuée, comme pour sceller le cachot et pour être assurés que le cadavre ne ressuscitera pas; ces précautions prises, rien ne nous empêche de chanter les louanges de ceux qui ne sont plus. Non-seulement ils ne nous gênent guère, mais, par-dessus le marché, ils nous servent contre les vivants. Quoi de plus naturel que d'écraser Mozart sous la réputation de Haydn! quoi de plus juste que de jeter à la tête de Rossini le Barbier de Paisiello?
Berlioz, en vie, avait tous les inconvénients de son état de vivant; quoique, par ses maladies fréquentes, il donnât beaucoup d'espérances aux gens qui attendaient qu'il disparût, il n'en occupait pas moins un rang dans la presse, un fauteuil à l'Institut, une loge au théâtre, un espace quelconque d'air respirable; je ne parle pas de son prestige musical; certains critiques croyaient l'avoir détruit à tout jamais, ou s'imaginaient qu'ils le croyaient; car, au fond, ils n'en étaient pas bien sûrs.
Il existait donc d'excellentes raisons pour que Berlioz fût attaqué, discuté, calomnié par ses concurrents, qui, ayant du talent, ne lui pardonnaient pas d'avoir du génie, et par ceux, beaucoup plus nombreux, qui, ne possédant ni génie ni talent, se ruaient indifféremment à l'assaut de toute réputation sérieuse, sans espoir d'en tirer avantage pour eux-mêmes et uniquement pour le plaisir de briser. Couvert de lauriers à l'étranger, Berlioz s'irritait de trouver dans les feuilles de ses couronnes triomphales des moustiques parisiens qui le piquaient. Il était plus préoccupé des haines qu'il rencontrait dans son propre pays que des magnifiques ovations qui l'attendaient au delà des frontières; et, de Londres, de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de Weimar, de Lowenberg, de partout, nous le voyons écrire au dévoué et savant Joseph d'Ortigue, le Thiriot de cet autre Voltaire:—«On m'a donné un banquet.... on m'a décoré de l'ordre de l'Aigle blanc.... On est venu m'offrir une tabatière de la part du Roi.... les journaux d'ici me portent aux nues.... fais en sorte que Paris le sache!—» Paris! Paris! il ne songeait qu'à cette ville ingrate.
Un jour, on lui propose, à lui qui n'avait rien, une place de maître de chapelle dans le palais de l'empereur d'Autriche: appointements élevés, résidence agréable, soins attentifs, nul souci de l'avenir, nuls risques de perdre ce poste, tout était réuni. Donizetti occupait déjà, dans la même résidence, une charge à peu près semblable, charge qui lui rapportait beaucoup et qui lui coûtait à peine une perte de temps. Berlioz refusa. Il voyageait en Allemagne à ce moment-là; sur le point de prendre une détermination il se tourne vers sa patrie, les yeux mouillés de larmes:—«Quoi! s'écrie-t-il, je ne te reverrai jamais (c'était dans les conditions du contrat); je n'aurai plus la liberté d'aller me faire traîner aux gémonies dans la fange de tes boulevards et sur les gradins de tes cirques! Mais je mourrais d'ennui, là-bas, au sein de mon opulence!»—Puis, s'adressant à ses amis, Desmarets, d'Ortigue, Dietsch, Schlesinger:—«O mes amis! je m'aperçois que je vous aime plus que tout au monde et que je ne peux pas me séparer de vous!»—Là-dessus, il repoussait les présents d'Artaxerce et reprenait avec joie le chemin de cette France adorée et maudite, qui, ayant parmi ses enfants le plus grand symphoniste du siècle après Beethoven, ne lui laissait à faire que des feuilletons.
Cependant il fallait, ou que la France se trompât au sujet de ce fils (si peu dénaturé pourtant!) ou que le reste de l'Europe se trompât de son côté; le doute n'est plus permis à présent, le procès est jugé; le bon sens de l'Europe avait raison contre la frivolité de la France... Que voulez-vous? le Gaulois est né léger comme d'autres naissent coiffés... Du temps des Romains, il montait à l'assaut du Capitole sans avoir pris soin d'éclairer sa route, en sorte que les oies criaient contre lui et avertissaient l'ennemi de se tenir en garde. Louis XV, à la veille d'une révolution qui devait emporter sa race, disait:—«Cela durera bien autant que moi.»—Légèreté des légèretés! tout n'est que légèreté. En ce qui concerne la musique, les Français ont eu des naïvetés et des fatuités formidables... Un émigré en Angleterre auquel on demandait s'il savait jouer du clavecin, répliquait d'un air digne:—«Je ne sais pas, je n'ai jamais essayé.»
Nul n'est prophète en son village, ou plutôt ceux qui passent pour tels ne sont souvent que de faux prophètes. Berlioz, admiré au loin, bafoué par ses compatriotes, était une des organisations les plus riches et les mieux douées que l'on pût voir. Compositeur inégal, mais souvent sublime, écrivain de race et primesautier, il a laissé une double réputation, alors que ses ennemis se sont donné tant de mal pour en laisser seulement la moitié d'une. La Correspondance que nous publions aujourd'hui ne nuira pas, croyons-nous, à la renommée du musicien et augmentera de beaucoup celle du littérateur. On connaissait déjà par les Mémoires[1] ce style haché, décousu, violent, plein de fantaisie et de grâce, se perdant en élans désespérés ou s'affaiblissant en des tristesses mornes. Quel beau livre, malgré ses défauts! comme il vibre à chaque page, comme il sait mélanger le plaisant au sévère! La pensée de l'auteur est une balle qui rebondit selon la nature des objets qu'elle frappe, tantôt s'élevant jusqu'au pur lyrisme, tantôt échouant dans le marécage du calembour. Quelle opposition avec les paisibles récits de Grétry sur son enfance liégeoise! Les musiciens se suivent et ne se ressemblent pas; il y a entre l'auteur de Richard Cœur de lion et l'auteur du Dies iræ grotesque la différence qu'on remarquerait entre un ruisselet tranquille et un torrent débordé.
La Correspondance, venant après les Mémoires, a une utilité qui ne sera contestée par personne; d'abord, elle fermera la bouche aux détracteurs (s'il en reste encore), aux malveillants qui secouaient la tête quand on leur annonçait telle ou telle victoire remportée au dehors:—«A beau mentir qui vient de loin.»—Ils n'avaient pas d'autre réponse; ils seront obligés maintenant de chercher un biais. La plupart des lettres que nous avons retrouvées sont des bulletins écrits à l'issue de la bataille et encore noircis de la fumée du combat; impossible de nier ces documents triomphants,—et triomphants dans un double sens,—impossible de les rejeter, car ils acquièrent la valeur de pièces historiques. Ils nous donnent la vérité prise sur le fait; un artiste, ivre de la joie du succès, les oreilles remplies du bruit des applaudissements, les joues rougies par de fraternelles embrassades, se hâte de faire part de son bonheur aux amis qu'il a laissés à Paris; il leur mande que tels princes l'ont complimenté, que telles récompenses lui ont été décernées, que les populations organisent en son honneur des sérénades, des banquets, que la recette du concert a été superbe... Comment récuser ces témoignages? Si on les repousse, nous ne voyons plus aucune manière d'écrire l'histoire avec certitude et nous ne comprenons pas ce qu'on pourra répondre aux mauvais plaisants qui prétendent que Napoléon Ier n'a jamais existé.
Dans quelques passages, la Correspondance, faisant allusion à des événements