LUPIN: Les aventures complètes. Морис Леблан
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– Écoute, mon petit, lui dis-je à l’oreille, je suis Arsène Lupin. Tu vas me rendre toute de suite et de bonne grâce mon portefeuille et la sacoche de la dame… moyennant quoi je te tire des griffes de la police, et je t’enrôle parmi mes amis. Un mot seulement : oui ou non ?
– Oui, murmura-t-il.
– Tant mieux. Ton affaire, ce matin, était joliment combinée. On s’entendra.
Je me relevai. Il fouilla dans sa poche, en sortit un large couteau et voulut m’en frapper.
– Imbécile ! m’écriai-je.
D’une main, j’avais paré l’attaque. De l’autre, je lui portai un violent coup sur l’artère carotide, ce qui s’appelle le « hook à la carotide ». Il tomba assommé.
Dans mon portefeuille, je retrouvai mes papiers et mes billets de banque. Par curiosité, je pris le sien. Sur une enveloppe qui lui était adressée, je lus son nom : Pierre Onfrey.
Je tressaillis. Pierre Onfrey, l’assassin de la rue Lafontaine, à Auteuil ! Pierre Onfrey, celui qui avait égorgé Mme Delbois et ses deux filles. Je me penchai sur lui. Oui, c’était ce visage qui, dans le compartiment, avait éveillé en moi le souvenir de traits déjà contemplés.
Mais le temps passait. Je mis dans une enveloppe deux billets de cent francs, une carte et ces mots :
« Arsène Lupin à ses bons collègues Honoré Massol et Gaston Delivet, en témoignage de reconnaissance. »
Je posai cela en évidence au milieu de la pièce. À côté, la sacoche de Mme Renaud. Pouvais-je ne point la rendre à l’excellente amie qui m’avait secouru ?
Je confesse cependant que j’en retirai tout ce qui présentait un intérêt quelconque, n’y laissant qu’un peigne en écaille, et un porte-monnaie vide. Que diable ! Les affaires sont les affaires. Et puis, vraiment, son mari exerçait un métier si peu honorable !…
Restait l’homme. Il commençait à remuer. Que devais-je faire ? Je n’avais qualité ni pour le sauver ni pour le condamner.
Je lui enlevai ses armes et tirai en l’air un coup de revolver.
– Les deux autres vont venir, pensai-je, qu’il se débrouille ! Les choses s’accompliront dans le sens de son destin.
Et je m’éloignai au pas de course par le chemin de la cavée.
Vingt minutes plus tard, une route de traverse, que j’avais remarquée lors de notre poursuite, me ramenait auprès de mon automobile.
À quatre heures, je télégraphiais à mes amis de Rouen qu’un incident imprévu me contraignait à remettre ma visite. Entre nous, je crains fort, étant donné ce qu’ils doivent savoir maintenant, d’être obligé de la remettre indéfiniment. Cruelle désillusion pour eux !
À six heures, je rentrais à Paris par l’Isle-Adam, Enghien et la porte Bineau.
Les journaux du soir m’apprirent que l’on avait enfin réussi à s’emparer de Pierre Onfrey.
Le lendemain – ne dédaignons point les avantages d’une intelligente réclame – l’Écho de France publiait cet entrefilet sensationnel :
« Hier, aux environs de Buchy, après de nombreux incidents, Arsène Lupin a opéré l’arrestation de Pierre Onfrey. L’assassin de la rue Lafontaine venait de dévaliser, sur la ligne de Paris au Havre, Mme Renaud, la femme du sous-directeur des services pénitentiaires. Arsène Lupin a restitué à Mme Renaud la sacoche qui contenait ses bijoux, et a récompensé généreusement les deux agents de la Sûreté qui l’avaient aidé au cours de cette dramatique arrestation. »
5
Le Collier de la Reine
Deux ou trois fois par an, à l’occasion de solennités importantes, comme les bals de l’ambassade d’Autriche ou les soirées de lady Billingstone, la comtesse de Dreux-Soubise mettait sur ses blanches épaules « le Collier de la Reine ».
C’était bien le fameux collier, le collier légendaire que Bohmer et Bassenge, joailliers de la couronne, destinaient à la du Barry, que le cardinal de Rohan-Soubise crut offrir à Marie-Antoinette, reine de France, et que l’aventurière Jeanne de Valois, comtesse de La Motte, dépeça un soir de février 1785, avec l’aide de son mari et de leur complice Rétaux de Villette.
Pour dire vrai, la monture seule était authentique. Rétaux de Villette l’avait conservée, tandis que le sieur de La Motte et sa femme dispersaient aux quatre vents les pierres brutalement desserties, les admirables pierres si soigneusement choisies par Bohmer. Plus tard, en Italie, il la vendit à Gaston de Dreux-Soubise, neveu et héritier du cardinal, sauvé par lui de la ruine lors de la retentissante banqueroute de Rohan-Guéménée, et qui en souvenir de son oncle, racheta les quelques diamants qui restaient en la possession du bijoutier anglais Jefferys, les compléta avec d’autres de valeur beaucoup moindre, mais de même dimension, et parvint à reconstituer le merveilleux « collier en esclavage », tel qu’il était sorti des mains de Bohmer et Bassenge.
De ce bijou historique, pendant près d’un siècle, les Dreux-Soubise s’enorgueillirent. Bien que diverses circonstances eussent notablement diminué leur fortune, ils aimèrent mieux réduire leur train de maison que d’aliéner la royale et précieuse relique. En particulier le comte actuel y tenait comme on tient à la demeure de ses pères. Par prudence, il avait loué un coffre au Crédit Lyonnais pour l’y déposer. Il allait l’y chercher lui-même l’après-midi du jour où sa femme voulait s’en parer, et l’y reportait lui-même le lendemain.
Ce soir-là, à la réception du Palais de Castille – l’aventure remonte au début du siècle – la comtesse eut un véritable succès, et le roi Christian, en l’honneur de qui la fête était donnée, remarqua sa beauté magnifique. Les pierreries ruisselaient autour du cou gracieux. Les mille facettes des diamants brillaient et scintillaient comme des flammes à la clarté des lumières. Nulle autre qu’elle, semblait-il, n’eût pu porter avec tant d’aisance et de noblesse le fardeau d’une telle parure.
Ce fut un double triomphe, que le comte de Dreux goûta profondément, et dont il s’applaudit, quand ils furent rentrés dans la chambre de leur vieil hôtel du faubourg Saint-Germain. Il était fier de sa femme et tout autant peut-être du bijou qui illustrait sa maison depuis quatre générations. Et sa femme en tirait une vanité un peu puérile, mais qui était bien la marque de son caractère altier.
Non sans regret, elle détacha le collier de ses épaules et le tendit à son mari qui l’examina avec admiration, comme s’il ne le connaissait point. Puis, l’ayant remis dans son écrin de cuir rouge aux armes du Cardinal, il passa dans un cabinet voisin, sorte d’alcôve plutôt, que l’on avait complètement isolée de la chambre, et dont l’unique entrée se trouvait au pied de leur lit. Comme les autres fois, il le dissimula sur une planche