La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер страница 26
II
On a sur les auteurs des Eddas, ou, plus exactement, sur leurs rédacteurs, leurs compilateurs, des données beaucoup plus précises que sur le compilateur du Nibelunge-nôt. Nous résumerons brièvement ces données. Les chants qui composent la première Edda[157-1] furent recueillis et coordonnés, en Islande, vers la fin du XIe siècle, par un prêtre du nom de Sœmund Sigfusson (1057?-1132). Ce Sœmund, après avoir étudié dans les universités d'Allemagne et de France, gallicana eloquentia in septentrionali viro, de retour dans sa patrie, s'appliqua à rassembler les traditions du Paganisme scandinave. Ces traditions, il fut le seul à ne les point répudier. L'île était convertie au Christianisme. On le taxa de sorcellerie. Cette lugubre Islande aspirait, elle aussi, vers l'Orient; l'Évangile, depuis peu, l'en entretenait. Elle voulait effacer les douloureux souvenirs du culte scandinave, culte dont les mystères allaient si bien pourtant avec cette terre de limbes, où déjà plane la stupeur du pôle. Les mélancoliques légendes scandinaves la racontaient si bien! Les flammes de ses volcans luisaient sur ses neiges, comme les flammes de la montagne d'Hindarfiall sur le sommeil de Brünnhilde. Les rougeurs et les lividités de la fin du monde scandinave,—un hiver épouvantable suivi d'un embrasement universel,—semblent envelopper cette terre où les volcans surgissent de la glace. Ces affinités, cette poésie, Sœmund la sentit peut-être; il la respecta dans les légendes qu'il recueillit et qui, très probablement, ne perdirent, entre ses mains, rien de leur caractère primitif. Lorsqu'il veut exprimer des idées plus récentes, personnelles, au lieu de remanier dans le sens de ces idées la matière dont il dispose (comme les Nibelungen, les Moines), il intercale, franchement, des passages de sa façon, et dont il n'atténue nullement les disparates. Tel est, dans son recueil, le Chant-du-Soleil, exposé d'une morale toute chrétienne.
Snorri-Sturluson (1178-1241), compilateur de la seconde Edda, recueillit et augmenta l'héritage des travaux de Sœmund. On lui doit le Gylfaginning (la Vision de Gylfi), écrit capital pour la connaissance de la mythologie scandinave. Certes, il ne tient que de seconde main les notions qu'il y coordonne, et que l'on retrouve, éparses, dans les principales sagas de Sœmund, telles que: La Prédiction de Wola-la-Savante, les Chants solennels d'Odin, le poème du Corbeau d'Odin, le poème de Vegtam, etc. Mais ces notions, on pourrait les considérer, après leur reproduction par Snorri, comme dûment contrôlées, car il les serait allé vérifier aux sources mêmes, en Suède et en Norvège.—L'œuvre de Snorri (y compris le Bragarodur, ou Entretiens de Bragi, fils d'Odin) est plus didactique que celle de Sœmund. On y démêle l'expression d'idées propres au Moyen Age, notamment cette préoccupation de ressortir à la tradition troyenne tous les cycles connus depuis, surtout les cycles scandinaves. Comme le premier roi franc, dans les Chroniques de Saint-Denis, le premier roi scandinave, Odin, est, dans Snorri, un des fils de Priam, échappé de la ruine de Troie. Le Ragnarœcker, la fin du monde scandinave, n'est autre que l'embrasement d'Ilion. Négligeons des rapprochements plus subtils, je veux dire naïfs; l'importance de ces fables c'est de confirmer en somme, ce que l'on sait des origines orientales des théogonies scandinaves. Ajoutons que Snorri, comme Sœmund, n'a fort heureusement pas infiltré ses lubies dans le corps même des sagas. Il les expose à part. Et voilà pourquoi les compilations de deux pauvres prêtres islandais, en butte à l'hostilité de leurs contemporains (c'est peut-être pour cela qu'ils se complurent si fort dans le Passé), sont bien autrement importantes, pour la connaissance des antiquités scandinaves, que le Nibelunge-nôt allemand. Après ces quelques mots sur la recension islandaise des Eddas, il nous faut parler de la rédaction originale des poèmes mythologiques qu'elles contiennent.
On a fort peu de choses sur les Skaldes norwégiens qui, les premiers, célébrèrent les traditions religieuses du Nord. Snorri, dont le travail offrirait pourtant plus de ressources critiques que celui de Sœmund, cite, çà et là, quelques très vagues autorités, dont ce qu'il dit de plus explicite se trouve dans le Skaldskaparmal, recueil de règles poétiques, conçues d'après les Skaldes, et qu'on peut lire à la suite des sagas. Or, ces indications sont tout à fait insuffisantes. D'après les opinions les plus autorisées (Lachmann, Grimm, etc.), ces sagas mythologiques ne seraient point postérieures au VIIIe siècle.
Qu'étaient les Skaldes de ce temps-là?—Disciples des prêtres, prêtres, eux-mêmes, d'un rang inférieur, ils tenaient d'eux les traditions mythologiques, les antiques légendes, dont ils reportaient, ensuite, la grandeur sur un roi, qu'ils célébraient, lui prêtant la gloire des héros mythiques, lui arrangeant de divines généalogies[159-1]. Et c'est par ainsi que les symboles théogoniques entrèrent si profondément dans la vie, dont ils purent accueillir les fastes. Le rêve et l'action se confondirent.
Communs, d'abord, oralement, à tout le monde germanico-scandinave, ces symboles, après la conversion de l'Allemagne au Christianisme, étaient remontés vers la Scandinavie, où les Skaldes les avaient recueillis. Or, les légendes historiques du cycle des Nibelungen se propagèrent, également, dans le Nord, en Danemark et en Norvège. Appuyées, là, sur les traditions religieuses, qui s'y étaient conservées intactes, elles y gardèrent ce caractère primordial, que les idées du moyen âge devaient, en Allemagne, défigurer. Elles y furent à l'abri des influences latines, les Danois et les Norvégiens s'étant déclarés les ennemis des Allemands, dès ceux-ci convertis; et Charlemagne, en décimant les Saxons, éleva plus haut cette barrière.
Ainsi c'est en Scandinavie que les traditions épiques de la Germanie se combinèrent avec les traditions religieuses du Nord, et acquirent, par ainsi, une ampleur, une portée symbolique.
Le cycle des héros burgundes, francs et goths fut comme raccordé aux anciennes mythologies. L'invasion d'Attila, la chute du premier royaume de Bourgogne, les exploits de Siegfried, tout cela se trouva cadrer, pour ainsi dire, avec des dogmes préétablis, avec des prédispositions d'âme, et qui auraient trouvé, dans ces événements, d'harmoniques résultats.
Par la voix des Skaldes, chez des peuples qui avaient gardé leur caractère natif, ces événements furent proclamés avec une sorte de faste sacerdotal.
Tandis que dans l'Occident latin, les Moines retraçaient, à leur façon, ce passé légendaire, ici il s'évoquait, vivant.
A cette force que prenait l'évocation, dans un milieu d'ingénuité, vinrent s'ajouter les rehauts des formes mythiques: les traditions humaines se prolongèrent dans l'éternité; les colonnes de Walhall se superposèrent aux portiques des villes, et les héros ne moururent que pour renaître auprès de Wotan.
Il faut le redire ici, très utilement: La religion scandinave contenait, mythes ou légendes, des formes toutes prêtes à exprimer, symboliquement, la chute de l'empire romain, le renouvellement historique du monde (Ragnarœcker).—C'est pour cela que le cycle des Nibelungen, écho de cet événement, conserva, dans l'extrême Nord, toute sa véritable signification, toute son ampleur fatidique. Il est plus épique chez les Allemands, plus religieux chez les Scandinaves; ici, glorification des hommes; là, volition de Dieu. Si c'est de l'Allemagne que le fait est parti, c'est dans le Nord scandinave que le symbole s'est produit.