Histoire d'Henriette d'Angleterre. Madame de la Fayette
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Il y a enfin, dans les appartements de Louis XIV, un ample tableau de Jean Nocret qui représente la famille du grand roi dans des costumes de ballet et avec des attributs allégoriques [32]. Les têtes n'y manquent pas de caractère; elles ne semblent pas flattées; celle de Madame y est chétive, blafarde, maladive, point jolie. C'est celle d'une personne qui n'est pas, comme la belle-au-bois-dormant, belle sans y penser, mais qui peut plaire à son réveil, avec, ce qui ne manque guères, un peu de bonne volonté. Elle a un air de vérité, cette figure de Jean Nocret; malheureusement elle ne ressemble à aucun des autres portraits d'Henriette.
En somme de toutes les images de cette Princesse, deux seulement nous restent dans les yeux en y laissant quelque air de vie et de vérité: d'abord, celle d'une très jeune fille, souffreteuse, avec de beaux yeux et un air de bonté, celle enfin qu'on voit dans la gravure, d'ailleurs médiocre, de Claude Mellan. Puis, grâce aux progrès de l'âge, l'image d'une aimable personne, brillante et douce à la fois, agréable malgré ses joues lourdes et son menton mal fait, charmante d'expression: c'est Audran qui nous la fait voir le mieux ainsi. Ces deux gravures sont reproduites, la première en regard de la page xxij; l'autre, de la main de M. Boulard, dans une eau-forte qui sert de frontispice à ce volume.
IV. MADAME ET LE ROI.
La petite-fille de Henri IV avait dix-sept ans quand, mariée au frère de Louis XIV, elle prit rang à la cour d'un prince qui n'était pas encore ce «héros» dont parle Despréaux, ce
Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse
N'est pas le fruit tardif d'une lente vieillesse,
Et qui seul, sans ministre, à l'exemple des Dieux,
Soutient tout par lui même et voit tout par ses yeux [33].
C'était, en attendant, un fier garçon de bonne mine et de gros appétit, fort ignorant, parlant mal mais peu, étranger aux affaires, occupé principalement de danser dans les ballets. Il montrait pour les femmes un goût qui, s'il ne s'adressait qu'à quelques-unes, les occupait toutes. De là, une émulation mauvaise. Songez que cette Cour, oisive jusqu'au malaise, se traînait dans des divertissements perpétuels. Les hommes y perdaient tout caractère et leur platitude devint bientôt un lieu commun de poésie satirique sur lequel La Fontaine, par exemple, est intarissable. Une telle société était fort capable de gâter une très jeune femme. Et pour celle-là, les femmes étaient plus dangereuses que les hommes, parce qu'un instinct avertit la moins expérimentée de ce qu'elle peut craindre de la part d'un beau diseur, tandis qu'elle se livre sans défense à des femmes intéressées à ce que nulle n'ait sur elles l'avantage d'une vie exemplaire. C'était un intérêt que la surintendante de la maison de la Reine, la comtesse de Soissons, avait autant et plus qu'une autre, et l'intimité de cette italienne fut très mauvaise pour la jeune Stuart.
Le mari d'Henriette d'Angleterre, le second personnage du royaume par le rang, n'était point lâche ni tout à fait méchant, mais c'était le plus mauvais mari qui pût échoir à une femme de cœur. Il fut toute sa vie un enfant vicieux, une fausse femme, quelque chose de faible, d'inquiétant et de nuisible. Son incapacité pour les affaires auxquelles sa naissance le destinait, son incroyable puérilité et son entière soumission à ses favoris faisaient de lui une espèce d'infirme et lui donnaient un maintien pitoyable dont son frère riait et voulait être le seul à rire.
Joli garçon d'ailleurs, son plaisir fut longtemps de s'habiller en femme. Son rang seul l'empêcha d'aller, comme l'abbé de Choisy, à l'église et à la comédie avec une jupe et une fausse gorge [34]. Du moins, il se rattrapait au bal. Ce même abbé de Choisy raconte qu'une nuit qu'on dansait en masque au Palais-Royal, Monsieur s'habilla comme une dame et dansa le menuet avec le chevalier de Lorraine. Et l'abbé ajoute du ton d'un connaisseur satisfait: «On ne sauroit dire à quel point il poussa la coquetterie en mettant des mouches, en les changeant de place... [35].»
Voilà le mari qu'on donnait à une jeune femme spirituelle, bonne, indocile, ambitieuse, sensible à la gloire, à l'amour, aux arts, à toutes les belles et grandes choses et mettant dans toutes ses pensées l'impatience d'une malade. Car Henriette d'Angleterre, conçue dans de royales angoisses et portée, au bruit des armes, par une princesse en péril, naquit fière et brisée. On verra dans la deuxième partie du livre de madame de La Fayette quels sentiments Madame et le Roi eurent l'un pour l'autre. On sait que précédemment Louis XIV l'avait dédaignée quand il pouvait l'épouser. Leur inclination mutuelle éclata à Fontainebleau dans le bel été de 1661. Alors «elle fut occupée, dit la comtesse, de la joie d'avoir ramené le roi à elle» [36]. Madame de Motteville donne à Henriette les mêmes sentiments avec une nuance un peu trop sombre de rancune:
«Elle se souvenait que Louis XIV l'avoit autrefois méprisée, quand elle auroit pu prétendre à l'épouser, et le plaisir que donne la vengeance lui faisoit voir avec joie de contraires sentimens qui paroissoient s'établir pour elle dans l'âme du roi [37].»
Sans être touché jusqu'aux larmes, comme Bossuet [38], des sentiments que Louis XIV avait pour la femme de son frère, nous ne ferons pas un crime au jeune Roi d'un peu de surprise à se trouver si près d'une jeune femme dont le charme troublait tout le monde. Ce ne fut qu'un éclair et ils en vinrent bientôt à s'aimer comme frère et sœur, et même un peu moins, s'il est possible. Je place ici deux lettres du Roi à Madame qui font honneur à la politesse de celui qui les a écrites. L'une, que je crois la plus ancienne, n'est pas datée. Elle a été publiée pour la première fois par mon ami M. Etienne Charavay, dans sa Revue des documents historiques [39]. La voici:
«Ce vendredi.
«Les grottes et la fraischeur de St Clou ne me font point souhaitter dy estre car nous avons des lieux ja asses beaux pour nous consoler de ni estre pas, mais la compagnie qui sy treuue est si bonne qu'elle me donne des tentations furieuses de mi treuuer, et si je ne croiois vous voir demain je ne sait quel parti je prendrois et si je pourrois m'enpescher de faire un voyage au pres de vous. Faittes que touttes les dames ne moublie pas et vous souvenés de l'amitié que je vous ai promise; elle est telle qu'elle doit estre pour vous plaire, si vous auez envie que j'en aie beaucoup pour vous. Assures fort mon frère de mon amitié.»
La suscription porte entre deux cachets noirs aux armes de France: «A ma seur.»
L'autre lettre, écrite de Dijon, au milieu de l'heureuse et rapide campagne de 1668, n'est aussi qu'un petit compliment bien tourné.
«A Dijon, le 5 février 1668.
«Si je ne vous aimois tant, je ne vous escrirois pas car je nai rien a vous dire apres les nouvelles que jai mandees a mon frere mais je suis bien aise de vous confirmer ce que je vous ai dit qui est que j'ai autant damitie pour vous que vous le pouvés souhaitter. Soiés persuadés de ce que je