Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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magistrats relevaient les bévues politiques; les militaires parlaient de Moscou et de Leipsick; les femmes, de son divorce avec Joséphine. Il semblait à ce monde royaliste, tout joyeux et tout triomphant non pas de la chute de l’homme, mais de l’anéantissement du principe, que la vie recommençait pour lui, et qu’il sortait d’un rêve pénible.

      Un vieillard, décoré de la croix de Saint-Louis, se leva et proposa la santé du roi Louis XVIII à ses convives; c’était le marquis de Saint-Méran.

      À ce toast, qui rappelait à la fois l’exilé de Hartwell et le roi pacificateur de la France, la rumeur fut grande, les verres se levèrent à la manière anglaise, les femmes détachèrent leurs bouquets et en jonchèrent la nappe. Ce fut un enthousiasme presque poétique.

      «Ils en conviendraient s’ils étaient là, dit la marquise de Saint-Méran, femme à l’œil sec, aux lèvres minces, à la tournure aristocratique et encore élégante, malgré ses cinquante ans, tous ces révolutionnaires qui nous ont chassés et que nous laissons à notre tour bien tranquillement conspirer dans nos vieux châteaux qu’ils ont achetés pour un morceau de pain, sous la Terreur: ils en conviendraient, que le véritable dévouement était de notre côté, puisque nous nous attachions à la monarchie croulante, tandis qu’eux, au contraire, saluaient le soleil levant et faisaient leur fortune, pendant que, nous, nous perdions la nôtre; ils en conviendraient que notre roi, à nous, était bien véritablement Louis le Bien-Aimé, tandis que leur usurpateur, à eux, n’a jamais été que Napoléon le Maudit; n’est-ce pas, de Villefort?

      – Vous dites, madame la marquise?… Pardonnez-moi, je n’étais pas à la conversation.

      – Eh! laissez ces enfants, marquise, reprit le vieillard qui avait porté le toast; ces enfants vont s’épouser, et tout naturellement ils ont à parler d’autre chose que de politique.

      – Je vous demande pardon, ma mère, dit une jeune et belle personne aux blonds cheveux, à l’œil de velours nageant dans un fluide nacré; je vous rends M. de Villefort, que j’avais accaparé pour un instant. Monsieur de Villefort, ma mère vous parle.

      – Je me tiens prêt à répondre à madame si elle veut bien renouveler sa question que j’ai mal entendue, dit M. de Villefort.

      – On vous pardonne, Renée, dit la marquise avec un sourire de tendresse qu’on était étonné de voir fleurir sur cette sèche figure; mais le cœur de la femme est ainsi fait, que si aride qu’il devienne au souffle des préjugés et aux exigences de l’étiquette, il y a toujours un coin fertile et riant: c’est celui que Dieu a consacré à l’amour maternel. On vous pardonne… Maintenant je disais, Villefort, que les bonapartistes n’avaient ni notre conviction, ni notre enthousiasme, ni notre dévouement.

      – Oh! madame, ils ont du moins quelque chose qui remplace tout cela: c’est le fanatisme. Napoléon est le Mahomet de l’Occident; c’est pour tous ces hommes vulgaires, mais aux ambitions suprêmes, non seulement un législateur et un maître, mais encore c’est un type, le type de l’égalité.

      – De l’égalité! s’écria la marquise. Napoléon, le type de l’égalité! et que ferez-vous donc de M. de Robespierre? Il me semble que vous lui volez sa place pour la donner au Corse; c’est cependant bien assez d’une usurpation, ce me semble.

      – Non, madame, dit Villefort, je laisse chacun sur son piédestal: Robespierre, place Louis XV, sur son échafaud; Napoléon, place Vendôme, sur sa colonne; seulement l’un a fait de l’égalité qui abaisse, et l’autre de l’égalité qui élève; l’un a ramené les rois au niveau de la guillotine, l’autre a élevé le peuple au niveau du trône. Cela ne veut pas dire, ajouta Villefort en riant, que tous deux ne soient pas d’infâmes révolutionnaires, et que le 9 thermidor et le 4 avril 1814 ne soient pas deux jours heureux pour la France, et dignes d’être également fêtés par les amis de l’ordre et de la monarchie; mais cela explique aussi comment, tout tombé qu’il est pour ne se relever jamais, je l’espère, Napoléon a conservé ses séides. Que voulez-vous, marquise? Cromwell, qui n’était que la moitié de tout ce qu’a été Napoléon, avait bien les siens!

      – Savez-vous que ce que vous dites là, Villefort, sent la révolution d’une lieue? Mais je vous pardonne: on ne peut pas être fils de girondin et ne pas conserver un goût de terroir.»

      Une vive rougeur passa sur le front de Villefort.

      «Mon père était girondin, madame, dit-il, c’est vrai; mais mon père n’a pas voté la mort du roi; mon père a été proscrit par cette même Terreur qui vous proscrivait, et peu s’en est fallu qu’il ne portât sa tête sur le même échafaud qui avait vu tomber la tête de votre père.

      – Oui, dit la marquise, sans que ce souvenir sanglant amenât la moindre altération sur ses traits; seulement c’était pour des principes diamétralement opposés qu’ils y fussent montés tous deux, et la preuve c’est que toute ma famille est restée attachée aux princes exilés, tandis que votre père a eu hâte de se rallier au nouveau gouvernement, et qu’après que le citoyen Noirtier a été girondin, le comte Noirtier est devenu sénateur.

      – Ma mère, ma mère, dit Renée, vous savez qu’il était convenu qu’on ne parlerait plus de ces mauvais souvenirs.

      – Madame, répondit Villefort, je me joindrai à Mlle de Saint-Méran pour vous demander bien humblement l’oubli du passé. À quoi bon récriminer sur des choses dans lesquelles la volonté de Dieu même est impuissante? Dieu peut changer l’avenir; il ne peut pas même modifier le passé. Ce que nous pouvons, nous autres hommes, c’est sinon le renier, du moins jeter un voile dessus. Eh bien, moi, je me suis séparé non seulement de l’opinion, mais encore du nom de mon père. Mon père a été ou est même peut-être encore bonapartiste et s’appelle Noirtier; moi, je suis royaliste et m’appelle de Villefort. Laissez mourir dans le vieux tronc un reste de sève révolutionnaire, et ne voyez, madame, que le rejeton qui s’écarte de ce tronc, sans pouvoir, et je dirai presque sans vouloir s’en détacher tout à fait.

      – Bravo, Villefort, dit le marquis, bravo, bien répondu! Moi aussi, j’ai toujours prêché à la marquise l’oubli du passé, sans jamais avoir pu l’obtenir d’elle, vous serez plus heureux, je l’espère.

      – Oui, c’est bien, dit la marquise, oublions le passé, je ne demande pas mieux, et c’est convenu; mais qu’au moins Villefort soit inflexible pour l’avenir. N’oubliez pas, Villefort, que nous avons répondu de vous à Sa Majesté: que Sa Majesté, elle aussi, a bien voulu oublier, à notre recommandation (elle tendit la main), comme j’oublie à votre prière. Seulement s’il vous tombe quelque conspirateur entre les mains, songez qu’on a d’autant plus les yeux sur vous que l’on sait que vous êtes d’une famille qui peut-être est en rapport avec ces conspirateurs.

      – Hélas! madame, dit Villefort, ma profession et surtout le temps dans lequel nous vivons m’ordonnent d’être sévère. Je le serai. J’ai déjà eu quelques accusations politiques à soutenir, et, sous ce rapport, j’ai fait mes preuves. Malheureusement, nous ne sommes pas au bout.

      – Vous croyez? dit la marquise.

      – J’en ai peur. Napoléon à l’île d’Elbe est bien près de la France; sa présence presque en vue de nos côtes entretient l’espérance de ses partisans. Marseille est pleine d’officiers à demi-solde, qui, tous les jours, sous un prétexte frivole, cherchent querelle aux royalistes; de là des duels parmi les gens de classe élevée, de là des assassinats dans le peuple.

      – Oui, dit le comte de Salvieux, vieil ami de M. de Saint-Méran et chambellan de M. le comte d’Artois,

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