Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas
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«Ah! mon Dieu! s’écria-t-il, le château d’If! et qu’allons nous faire là?»
Le gendarme sourit.
«Mais on ne me mène pas là pour être emprisonné? continua Dantès. Le château d’If est une prison d’État, destinée seulement aux grands coupable politiques. Je n’ai commis aucun crime. Est-ce qu’il y a des juges d’instruction, des magistrats quelconque au château d’If?
– Il n’y a, je suppose, dit le gendarme, qu’un gouverneur, des geôliers, une garnison et de bons murs. Allons, allons, l’ami, ne faites pas tant l’étonné; car, en vérité, vous me feriez croire que vous reconnaissez ma complaisance en vous moquant de moi.»
Dantès serra la main du gendarme à la lui briser.
«Vous prétendez donc, dit-il, que l’on me conduit au château d’If pour m’y emprisonner?
– C’est probable, dit le gendarme; mais en tout cas, camarade, il est inutile de me serrer si fort.
– Sans autre information, sans autre formalité? demanda le jeune homme.
– Les formalités sont remplies, l’information est faite.
– Ainsi, malgré la promesse de M. de Villefort?…
– Je ne sais si M. de Villefort vous a fait une promesse, dit le gendarme, mais ce que je sais, c’est que nous allons au château d’If. Eh bien, que faites-vous donc? Holà! camarades, à moi!»
Par un mouvement prompt comme l’éclair, qui cependant avait été prévu par l’œil exercé du gendarme, Dantès avait voulu s’élancer à la mer; mais quatre poignets vigoureux le retinrent au moment où ses pieds quittaient le plancher du bateau.
Il retomba au fond de la barque en hurlant de rage.
«Bon! s’écria le gendarme en lui mettant un genou sur la poitrine, bon! voilà comme vous tenez votre parole de marin. Fiez-vous donc aux gens doucereux! Eh bien, maintenant, mon cher ami, faites un mouvement, un seul, et je vous loge une balle dans la tête. J’ai manqué à ma première consigne, mais, je vous en réponds, je ne manquerai pas à la seconde.»
Et il abaissa effectivement sa carabine vers Dantès qui sentit s’appuyer le bout du canon contre sa tempe. Un instant, il eut l’idée de faire ce mouvement défendu et d’en finir ainsi violemment avec le malheur inattendu qui s’était abattu sur lui et l’avait pris tout à coup dans ses serres de vautour. Mais, justement parce que ce malheur était inattendu, Dantès songea qu’il ne pouvait être durable; puis les promesses de M. de Villefort lui revinrent à l’esprit; puis, s’il faut le dire enfin, cette mort au fond d’un bateau, venant de la main d’un gendarme, lui apparue laide et nue. Il retomba donc sur le plancher de la barque en poussant un hurlement de rage et en se rongeant les mains avec fureur. Presque au même instant, un choc violent ébranla le canot. Un des bateliers sauta sur le roc que la proue de la petite barque venait de toucher, une corde grinça en se déroulant autour d’une poulie, et Dantès comprit qu’on était arrivé et qu’on amarrait l’esquif.
En effet, ses gardiens, qui le tenaient à la fois par les bras et par le collet de son habit, le forcèrent de se relever, le contraignirent à descendre à terre, et le traînèrent vers les degrés qui montent à la porte de la citadelle, tandis que l’exempt, armé d’un mousqueton à baïonnette, le suivait par-derrière.
Dantès, au reste, ne fit point une résistance inutile; sa lenteur venait plutôt d’inertie que d’opposition; il était étourdi et chancelant comme un homme ivre. Il vit de nouveau des soldats qui s’échelonnaient sur les talus rapide, il sentit des escaliers qui le forçaient de lever les pieds, il s’aperçut qu’il passait sous une porte et que cette porte se refermait derrière lui, mais tout cela machinalement, comme à travers un brouillard, sans rien distinguer de positif. Il ne voyait même plus la mer, cette immense douleur des prisonniers, qui regardent l’espace avec le sentiment terrible qu’ils sont impuissants à le franchir.
Il y eut une halte d’un moment, pendant laquelle il essaya de recueillir ses esprits. Il regarda autour de lui: il était dans une cour carrée, formée par quatre hautes murailles; on entendait le pas lent et régulier des sentinelles; et chaque fois qu’elles passaient devant deux ou trois reflets que projetait sur les murailles la lueur de deux ou trois lumières qui brillaient dans l’intérieur du château, on voyait scintiller le canon de leurs fusils.
On attendit là dix minutes à peu près; certains que Dantès ne pouvait plus fuir, les gendarmes l’avaient lâché. On semblait attendre des ordres, ces ordres arrivèrent.
«Où est le prisonnier? demanda une voix.
– Le voici, répondirent les gendarmes.
– Qu’il me suive, je vais le conduire à son logement.
– Allez», dirent les gendarmes en poussant Dantès. Le prisonnier suivit son conducteur, qui le conduisit effectivement dans une salle presque souterraine, dont les murailles nues et suantes semblaient imprégnées d’une vapeur de larmes. Une espèce de lampion posé sur un escabeau, et dont la mèche nageait dans une graisse fétide, illuminait les parois lustrées de cet affreux séjour, et montrait à Dantès son conducteur, espèce de geôlier subalterne, mal vêtu et de basse mine.
«Voici votre chambre pour cette nuit, dit-il; il est tard, et M. le gouverneur est couché. Demain, quand il se réveillera et qu’il aura pris connaissance des ordres qui vous concernent, peut-être vous changera-t-il de domicile; en attendant, voici du pain, il y a de l’eau dans cette cruche, de la paille là-bas dans un coin: c’est tout ce qu’un prisonnier peut désirer. Bonsoir.»
Et avant que Dantès eût songé à ouvrir la bouche pour lui répondre, avant qu’il eût remarqué où le geôlier posait ce pain, avant qu’il se fût rendu compte de l’endroit où gisait cette cruche, avant qu’il eût tourné les yeux vers le coin où l’attendait cette paille destinée à lui servir de lit, le geôlier avait pris le lampion, et, refermant la porte, enlevé au prisonnier ce reflet blafard qui lui avait montré, comme à la lueur d’un éclair, les murs ruisselants de sa prison.
Alors il se trouva seul dans les ténèbres et dans le silence, aussi muet et aussi sombre que ces voûtes dont il sentait le froid glacial s’abaisser sur son front brûlant.
Quand les premiers rayons du jour eurent ramené un peu de clarté dans cet antre, le geôlier revint avec ordre de laisser le prisonnier où il était. Dantès n’avait point changé de place. Une main de fer semblait l’avoir cloué à l’endroit même où la veille il s’était arrêté: seulement son œil profond se cachait sous une enflure causée par la vapeur humide de ses larmes. Il était immobile et regardait la terre.
Il avait ainsi passé toute la nuit debout, et sans dormir un instant.
Le geôlier s’approcha de lui, tourna autour de lui, mais Dantès ne parut pas le voir.
Il lui frappa sur l’épaule, Dantès tressaillit et secoua la tête.
«N’avez-vous donc pas dormi, demanda le geôlier.
– Je ne sais pas», répondit Dantès.
Le geôlier le regarda avec étonnement.
«N’avez-vous