Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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de venir. M. Morrel amenait un médecin; le médecin reconnut une gastro-entérite et ordonna la diète. J’étais là, monsieur, et je n’oublierai jamais le sourire du vieillard à cette ordonnance.

      «Dès lors, il ouvrit sa porte: il avait une excuse pour ne plus manger; le médecin avait ordonné la diète.»

      L’abbé poussa une espèce de gémissement.

      «Cette histoire vous intéresse, n’est-ce pas, monsieur? dit Caderousse.

      – Oui, répondit l’abbé; elle est attendrissante.

      – Mercédès revint; elle le trouva si changé, que, comme la première fois, elle voulut le faire transporter chez elle. C’était aussi l’avis de M. Morrel, qui voulait opérer le transport de force; mais le vieillard cria tant, qu’ils eurent peur. Mercédès resta au chevet de son lit. M. Morrel s’éloigna en faisant signe à Catalane qu’il laissait une bourse sur la chemin. Mais, armé de l’ordonnance du médecin, le vieillard ne voulut rien prendre. Enfin, après neuf jours de désespoir et d’abstinence, le vieillard expira en maudissant ceux qui avaient causé son malheur et disant à Mercédès:

      – Si vous revoyez mon Edmond, dites-lui que je meurs en le bénissant.»

      L’abbé se leva, fit deux tours dans la chambre en portant une main frémissante à sa gorge aride.

      «Et vous croyez qu’il est mort…

      – De faim… monsieur, de faim, dit Caderousse; j’en réponds aussi vrai que nous sommes ici deux chrétiens.»

      L’abbé, d’une main convulsive, saisit le verre d’eau encore à moitié plein, le vida d’un trait et se rassit les yeux rougis et les joues pâles.

      «Avouez que voilà un grand malheur! dit-il d’une voix rauque.

      – D’autant plus grand, monsieur, que Dieu n’y est pour rien, et que les hommes seuls en sont cause.

      – Passons donc à ces hommes, dit l’abbé; mais songez-y, continua-t-il d’un air presque menaçant, vous vous êtes engagé à me tout dire: voyons, quels sont ces hommes qui ont fait mourir le fils de désespoir, et le père de faim?

      – Deux hommes jaloux de lui, monsieur, l’un par amour, l’autre par ambition: Fernand et Danglars.

      – Et de quelle façon se manifesta cette jalousie, dites?

      – Ils dénoncèrent Edmond comme agent bonapartiste.

      – Mais lequel des deux le dénonça, lequel des deux fut le vrai coupable.

      – Tous deux, monsieur, l’un écrivit la lettre, l’autre la mit à la poste.

      – Et où cette lettre fut-elle écrite?

      – À la Réserve même, la veille du mariage.

      – C’est bien cela, c’est bien cela, murmura l’abbé. Ô Faria! Faria! comme tu connaissais les hommes et les choses!

      – Vous dites, monsieur? demanda Caderousse.

      – Rien, reprit le prêtre; continuez.

      – Ce fut Danglars qui écrivit la dénonciation de la main gauche pour que son écriture ne fût pas reconnue, et Fernand qui l’envoya.

      – Mais, s’écria tout à coup l’abbé, vous étiez là, vous!

      – Moi! dit Caderousse étonné; qui vous a dit que j’y étais?»

      L’abbé vit qu’il s’était lancé trop avant.

      «Personne, dit-il, mais pour être si bien au fait de tous ces détails, il faut que vous en ayez été le témoin.

      – C’est vrai, dit Caderousse d’une voix étouffée, j’y étais.

      – Et vous ne vous êtes pas opposé à cette infamie? dit l’abbé; alors vous êtes leur complice.

      – Monsieur, dit Caderousse, ils m’avaient fait boire tous deux au point que j’en avais à peu près perdu la raison. Je ne voyais plus qu’à travers un nuage. Je dis tout ce que peut dire un homme dans cet état; mais ils me répondirent tous deux que c’était une plaisanterie qu’ils avaient voulu faire, et que cette plaisanterie n’aurait pas de suite.

      – Le lendemain, monsieur, le lendemain, vous vîtes bien qu’elle en avait; cependant vous ne dîtes rien; vous étiez là cependant lorsqu’il fut arrêté.

      – Oui, monsieur, j’étais là et je voulus parler, je voulus tout dire, mais Danglars me retint.

      – «Et s’il est coupable, par hasard, me dit-il, s’il a véritablement relâché à l’île d’Elbe, s’il est véritablement chargé d’une lettre pour le comité bonapartiste de Paris, si on trouve cette lettre sur lui, ceux qui l’auront soutenu passeront pour ses complices.»

      «J’eus peur de la politique telle qu’elle se faisait alors, je l’avoue; je me tus, ce fut une lâcheté, j’en conviens, mais ce ne fut pas un crime.

      – Je comprends; vous laissâtes faire, voilà tout.

      – Oui, monsieur, répondit Caderousse, et c’est mon remords de la nuit et du jour. J’en demande bien souvent pardon à Dieu, je vous le jure, d’autant plus que cette action, la seule que j’aie sérieusement à me reprocher dans tout le cours de ma vie, est sans doute la cause de mes adversités. J’expie un instant d’égoïsme; aussi, c’est ce que je dis toujours à la Carconte lorsqu’elle se plaint: «Tais-toi, femme, c’est Dieu qui le veut ainsi.»

      Et Caderousse baissa la tête avec tous les signes d’un vrai repentir.

      «Bien, monsieur, dit l’abbé, vous avez parlé avec franchise; s’accuser ainsi, c’est mériter son pardon.

      – Malheureusement, dit Caderousse, Edmond est mort et ne m’a pas pardonné, lui!

      – Il ignorait, dit l’abbé…

      – Mais il sait maintenant, peut-être, reprit Caderousse; on dit que les morts savent tout.»

      Il se fit un instant de silence: l’abbé s’était levé et se promenait pensif; il revint à sa place et se rassit.

      «Vous m’avez nommé déjà deux ou trois fois un certain M. Morrel, dit-il. Qu’était-ce que cet homme?

      – C’était l’armateur du Pharaon, le patron de Dantès.

      – Et quel rôle a joué cet homme dans toute cette triste affaire? demanda l’abbé.

      – Le rôle d’un homme honnête, courageux et affectionné, monsieur. Vingt fois il intercéda pour Edmond; quand l’empereur rentra, il écrivit, pria, menaça, si bien qu’à la seconde Restauration il fut fort persécuté comme bonapartiste. Dix fois, comme je vous l’ai dit, il était venu chez le père Dantès pour le retirer chez lui, et la veille ou la surveille de sa mort, je vous l’ai dit encore, il avait laissé sur la cheminée une bourse avec laquelle on paya les dettes du bonhomme et l’on subvint à son enterrement; de sorte que le pauvre vieillard put du moins

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