Le crime de l'omnibus. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'omnibus - Fortuné du Boisgobey

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chambrette sous les toits; une étroite mansarde dont les murs étaient blanchis à la chaux et où il n’y avait d’autres meubles qu’un petit lit de fer, trois chaises de paille et un miroir cassé. Elle y passait tout le temps que lui laissait l’atelier, elle l’y passait à lire, – elle avait appris à lire, – à chanter des chansons de ses montagnes et à rêver… à quoi? Freneuse s’amusait quelquefois à le lui demander, et elle lui répondait qu’elle n’en savait rien elle-même. Peut-être rêvait-elle à ses quinze ans qui venaient de sonner.

      Ce qu’elle gagnait en posant chez son bienfaiteur lui suffisait, et au-delà, car elle ne mangeait guère plus qu’un oiseau, et elle dépensait fort peu d’argent pour sa toilette, quoiqu’elle fût très soigneuse de sa personne et de ses vêtements.

      Et elle était gaie, comme le sont rarement les Romaines, gaie de cette gaieté franche que donnent le contentement de soi-même et l’absence de soucis. Quand elle arrivait dans l’atelier de Paul, la joie y entrait avec elle.

      Depuis un mois cependant, Freneuse avait cru s’apercevoir qu’elle était moins rieuse, plus réservée, plus pensive, moins enfant, pour tout dire en un mot. Elle ne jouait plus avec le chat favori de l’atelier, un superbe angora qui l’avait prise en affection, et qui ne manquait jamais de sauter sur ses genoux, dès qu’elle s’asseyait pour prendre la pose.

      Ces symptômes avaient paru graves à l’artiste. Il connaissait ces natures-là, ces fillettes transplantées d’Italie en France qui languissent pendant les premiers temps sous notre froid climat et qui mûrissent tout à coup au premier rayon de soleil. Et il soupçonnait un commencement d’amourette.

      Pour éclaircir le cas, il avait questionné doucement la petite, qui s’était mise à pleurer au lieu de répondre, et il n’avait pas voulu insister, quoique l’idée qui lui était venue l’attristât. Freneuse s’était attaché à cette enfant, et il s’affligeait de penser qu’elle allait peut-être s’éprendre sottement de quelque pâtre grossier venu des Abruzzes à Paris pour récolter des gros sous en jouant de la vielle. Il lui arrivait même parfois de se demander s’il n’était pas jaloux d’elle, et il se reprochait d’oublier qu’il avait vingt-neuf ans, presque le double de l’âge de Pia. Alors il devenait grave, presque froid, et la séance de pose se passait sans qu’il dît un seul mot à la pauvre enfant, qui s’en allait le cœur gros.

      Mais le lendemain de son aventure en omnibus, Paul Freneuse était dans un de ses bons jours. La certitude de n’être pas mêlé, même indirectement, à une enquête judiciaire le faisait tout joyeux, et il causait gaiement avec la chevrière à demi couchée au fond de l’atelier sur un haut marchepied destiné à figurer un bloc de marbre détaché du tombeau de Cecilia Metella.

      – Pia, ma belle, dit Paul Freneuse en riant, tu ne te doutes pas que, hier soir, j’ai failli grimper tes six étages pour te surprendre. Je suis allé dîner dans ton quartier.

      – Et vous n’êtes pas venu me voir! s’écria la jeune fille. J’aurais été si heureuse de vous montrer ma chambre… elle est si jolie maintenant… J’ai trois pots de fleurs et un oiseau qui chante si bien… C’est à vous que je dois tout cela…

      – J’ai eu peur de te gêner… elle n’est guère plus grande que la cage de ton oiseau, ta mansarde. Et puis… tomber chez toi, sans te prévenir… ma foi! je n’ai pas osé. Je n’aurais eu qu’à rencontrer ton amoureux…

      Pia pâlit, et des larmes lui vinrent aux yeux.

      – Pourquoi me dites-vous cela? murmura-t-elle. Vous savez bien que je n’ai pas d’amoureux.

      – Allons, petite, reprit gaiement Freneuse, ne pleure pas. Ça t’enlaidit et ça dérange la pose. Est-ce que tu pleurais quand tu menais paître ta chèvre, là-bas, dans la montagne?

      – Non, jamais… et ici non plus… excepté quand vous cherchez à me chagriner… il n’y a que vous qui me fassiez pleurer…

      – Et rire aussi… Voyons, ris un peu, ou je croirai que tu m’en veux. Je ne parlais pas sérieusement.

      – À la bonne heure!… Tenez, je n’y pense déjà plus… Mais, je vous en prie, ne dites pas que j’ai un amoureux… où le prendrais-je, mon Dieu? Là-bas, à la maison, tous les garçons qui travaillent pour le père Lorenzo sont laids et méchants comme des singes… Sur la place Pigalle alors?… sur les marches de la fontaine?… Mais si vous vous mettiez à la fenêtre quand j’arrive, vous verriez que je ne m’y arrête jamais. Je suis bien trop pressée d’entrer dans votre atelier pour me chauffer… et pour embrasser mon ami Mirza… c’est lui mon amoureux.

      L’angora qui ronronnait près du poêle entendit son nom et sauta d’un bond sur les genoux de Pia, qui reprit en éclatant de rire:

      – Il m’aime bien, celui-là…, il vient sans que je l’appelle…, et il ne me fait jamais de peine.

      – Tu as raison, petite. Mirza est une bonne bête. Il vaut mieux que moi… et que cet animal de Binos, qui ne vient ici que pour te tourmenter.

      – Oh! lui, ça m’est égal… mais vous, M. Paul… dès que vous vous moquez de moi, je perds la tête… et la pose. Tenez! je n’avais pas remué depuis le commencement de la séance, et maintenant que vous m’avez dérangée, je ne sais plus comment me mettre…

      – Comme tu étais tout à l’heure… la tête un peu plus en arrière. Regarde-moi… chasse Mirza… et reste immobile.

      Pia fit ce que lui disait Freneuse, et le chat revint se coucher à la place qu’il affectionnait.

      – C’est parfait comme ça, reprit le peintre, et puisque tu es gentille, tu sauras que si je ne suis pas allé te dire bonsoir hier, c’est qu’il était trop tard quand je suis passé près de ta rue… minuit moins un quart… tout le monde dormait dans la caserne où Lorenzo loge ses pifferari.

      – Moi, je ne dormais pas, dit tout bas Pia.

      – À cette heure indue! c’est très mal, petite. Les fillettes de ton âge doivent se coucher comme les fauvettes… à l’Ave Maria, comme on dit dans ton pays.

      – C’est ce que je fais tous les soirs, mais hier…

      – Pas d’explications, mademoiselle. Vous changeriez encore de position si vous vous mettiez à bavarder, et je n’ai pas de temps à perdre. Le jour s’en va déjà. Et pour que vous ne soyez pas tentée de causer, je ne vous raconterai pas une histoire qui m’est arrivée… en revenant de votre maudit quartier…

      – Oh! M. Paul!… je vous jure que je ne dirai pas un mot.

      – Du tout! du tout! tu te tairais peut-être, mais mon histoire te ferait encore pleurer… et justement, je tiens tes yeux.

      – Il ne vous est rien arrivé de mal, j’espère!

      – Non, non. Tu le vois bien. Je n’ai jamais été si en train de travailler. Si je continuais de ce train-là, mon tableau serait fini dans quinze jours.

      – Et après…, je ne viendrais plus? demanda vivement Pia.

      – Allons! voilà encore que ta figure change d’expression. À la pose, gamine, à la pose! Après ce tableau, j’en ferai un autre… où tu seras debout…, trois heures sur tes jambes… Tu seras si fatiguée, que tu n’auras pas envie de parler.

      À

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