La mare au diable. George Sand

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La mare au diable - George  Sand

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pauvres innocents ! nous donnent cette année beaucoup de souci. Ma bru est près d’accoucher et elle en a encore un tout petit sur les bras. Quand celui que nous attendons sera venu, elle ne pourra plus s’occuper de ta petite Solange, et surtout de ton Sylvain, qui n’a pas quatre ans et qui ne se tient guère en repos ni le jour ni la nuit. C’est un sang vif comme toi : ça fera un bon ouvrier, mais ça fait un terrible enfant, et ma vieille ne court plus assez vite pour le rattraper quand il se sauve du côté de la fosse ou quand il se jette sous les pieds des bêtes. Et puis, avec cet autre que ma bru va mettre au monde, son avant-dernier va retomber pendant un an au moins sur les bras de ma femme. Donc tes enfants nous inquiètent et nous surchargent. Nous n’aimons pas à voir des enfants mal soignés ; et quand on pense aux accidents qui peuvent leur arriver, faute de surveillance, on n’a pas la tête en repos. Il te faut donc une autre femme et à moi une autre bru. Songes-y, mon garçon. Je t’ai déjà averti plusieurs fois, le temps se passe, les années ne t’attendront point. Tu dois à tes enfants et à nous autres, qui voulons que tout aille bien dans la maison, de te remarier au plus tôt.

      – Eh bien, mon père, répondit le gendre, si vous le voulez absolument, il faudra donc vous contenter. Mais je ne veux pas vous cacher que cela me fera beaucoup de peine, et que je n’en ai guère plus d’envie que de me noyer. On sait qui on perd et on ne sait pas qui l’on trouve. J’avais une brave femme, une belle femme, douce, courageuse, bonne à ses père et mère, bonne à son mari, bonne à ses enfants, bonne au travail, aux champs comme à la maison, adroite à l’ouvrage, bonne à tout enfin ; et quand vous me l’avez donnée, quand je l’ai prise, nous n’avions pas mis dans nos conditions que je viendrais à l’oublier si j’avais le malheur de la perdre.

      – Ce que tu dis là est d’un bon cœur, Germain, reprit le père Maurice ; je sais que tu as aimé ma fille, que tu l’as rendue heureuse, et que si tu avais pu contenter la mort en passant à sa place, Catherine serait en vie à l’heure qu’il est, et toi dans le cimetière. Elle méritait bien d’être aimée de toi à ce point-là, et si tu ne t’en consoles pas, nous ne nous en consolons pas non plus. Mais je ne te parle pas de l’oublier. Le bon Dieu a voulu qu’elle nous quittât et nous ne passerons pas un jour sans lui faire savoir par nos prières, nos pensées, nos paroles et nos actions, que nous respectons son souvenir et que nous sommes fâchés de son départ. Mais si elle pouvait te parler de l’autre monde et te donner à connaître sa volonté, elle te commanderait de chercher une mère pour ses petits orphelins. Il s’agit donc de rencontrer une femme qui soit digne de la remplacer. Ce ne sera pas bien aisé ; mais ce n’est pas impossible ; et quand nous te l’aurons trouvée, tu l’aimeras comme tu aimais ma fille, parce que tu es un honnête homme et que tu lui sauras gré de nous rendre service et d’aimer tes enfants.

      – C’est bien, père Maurice, dit Germain, je ferai votre volonté comme je l’ai toujours faite.

      – C’est une justice à te rendre, mon fils, que tu as toujours écouté l’amitié et les bonnes raisons de ton chef de famille. Avisons donc ensemble au choix de ta nouvelle femme. D’abord je ne suis pas d’avis que tu prennes une jeunesse. Ce n’est pas ce qu’il te faut. La jeunesse est légère ; et comme c’est un fardeau d’élever trois enfants, surtout quand ils sont d’un autre lit, il faut une bonne âme bien sage, bien douce et très portée au travail. Si ta femme n’a pas environ le même âge que toi, elle n’aura pas assez de raison pour accepter un pareil devoir. Elle te trouvera trop vieux et tes enfants trop jeunes. Elle se plaindra et tes enfants pâtiront.

      – Voilà justement ce qui m’inquiète, dit Germain. Si ces pauvres petits venaient à être maltraités, haïs, battus ?

      – à Dieu ne plaise ! reprit le vieillard. Mais les méchantes femmes sont plus rares dans notre pays que les bonnes, et il faudrait être fou pour ne pas mettre la main sur celle qui convient.

      – C’est vrai, mon père : il y a de bonnes filles dans notre village. Il y a la Louise, la Sylvaine, la Claudie, la Marguerite… enfin, celle que vous voudrez.

      – Doucement, doucement, mon garçon, toutes ces filles-là sont trop jeunes ou trop pauvres… ou trop jolies filles ; car, enfin, il faut penser à cela aussi, mon fils. Une jolie femme n’est pas toujours aussi rangée qu’une autre.

      – Vous voulez donc que j’en prenne une laide ? dit Germain un peu inquiet.

      – Non, point laide, car cette femme te donnera d’autres enfants, et il n’y a rien de si triste que d’avoir des enfants laids, chétifs, et malsains. Mais une femme encore fraîche, d’une bonne santé et qui ne soit ni belle ni laide, ferait très bien ton affaire.

      – Je vois bien, dit Germain en souriant un peu tristement, que, pour l’avoir telle que vous la voulez, il faudra la faire faire exprès : d’autant plus que vous ne la voulez point pauvre, et que les riches ne sont pas faciles à obtenir surtout pour un veuf.

      – Et si elle était veuve elle-même, Germain ? là, une veuve sans enfants et avec un bon bien ?

      – Je n’en connais pas pour le moment dans notre paroisse.

      – Ni moi non plus, mais il y en a ailleurs.

      – Vous avez quelqu’un en vue, mon père ; alors, dites-le tout de suite.

      IV. Germain le fin laboureur

      – Oui, j’ai quelqu’un en vue, répondit le père Maurice. C’est une Léonard, veuve d’un Guérin, qui demeure à Fourche.

      – Je ne connais ni la femme ni l’endroit, répondit Germain résigné, mais de plus en plus triste.

      – Elle s’appelle Catherine, comme ta défunte.

      – Catherine ? Oui, ça me fera plaisir d’avoir à dire ce nom-là : Catherine ! Et pourtant, si je ne peux pas l’aimer autant que l’autre, ça me fera encore plus de peine, ça me la rappellera plus souvent.

      – Je te dis que tu l’aimeras : c’est un bon sujet, une femme de grand cœur ; je ne l’ai pas vue depuis longtemps, elle n’était pas laide fille alors ; mais elle n’est plus jeune, elle a trente-deux ans. Elle est d’une bonne famille, tous braves gens, et elle a bien pour huit ou dix mille francs de terres, qu’elle vendrait volontiers pour en acheter d’autres dans l’endroit où elle s’établirait ; car elle songe aussi à se remarier, et je sais que, si ton caractère lui convenait, elle ne trouverait pas ta position mauvaise.

      – Vous avez donc déjà arrangé tout cela ?

      – Oui, sauf votre avis à tous les deux ; et c’est ce qu’il faudrait vous demander l’un à l’autre, en faisant connaissance. Le père de cette femme-là est un peu mon parent et il a été beaucoup mon ami. Tu le connais bien, le père Léonard ?

      – Oui, je l’ai vu vous parler dans les foires, et à la dernière, vous avez déjeuné ensemble ; c’est donc de cela qu’il vous entretenait si longuement ?

      – Sans doute ; il te regardait vendre tes bêtes et il trouvait que tu t’y prenais bien, que tu étais un garçon de bonne mine, que tu paraissais actif et entendu ; et quand je lui eus dit tout ce que tu es et comme tu te conduis bien avec nous, depuis huit ans que nous vivons et travaillons ensemble, sans avoir jamais eu un mot de chagrin ou de colère, il s’est mis dans la tête de te faire épouser sa fille ; ce qui me convient aussi, je te le confesse, d’après la bonne renommée qu’elle a, d’après l’honnêteté de sa famille et les bonnes affaires où je sais qu’ils sont.

      – Je vois, père

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