Quatrevingt treize. Victor Hugo
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– N’ayez pas peur, nous sommes le bataillon du Bonnet-Rouge.
La femme trembla de la tête aux pieds. Elle regarda le sergent, rude visage dont on ne voyait que les sourcils, les moustaches et deux braises qui étaient les deux yeux.
– Le bataillon de la ci-devant Croix-Rouge, ajouta la vivandière.
Et le sergent continua:
– Qui es-tu, madame?
La femme le considérait, terrifiée. Elle était maigre, jeune, pâle, en haillons; elle avait le gros capuchon des paysannes bretonnes et la couverture de laine rattachée au cou avec une ficelle. Elle laissait voir son sein nu avec une indifférence de femelle. Ses pieds, sans bas ni souliers, saignaient.
– C’est une pauvre, dit le sergent.
Et la vivandière reprit de sa voix soldatesque et féminine, douce en dessous:
– Comment vous appelez-vous?
La femme murmura dans un bégaiement presque indistinct:
– Michelle Fléchard.
Cependant la vivandière caressait avec sa grosse main la petite tête du nourrisson.
– Quel âge a ce môme? demanda-t-elle.
La mère ne comprit pas. La vivandière insista.
– Je vous demande l’âge de çà.
– Ah! dit la mère, dix-huit mois.
– C’est vieux, dit la vivandière. Ça ne doit plus téter. Il faudra me sevrer çà. Nous lui donnerons de la soupe.
La mère commençait à se rassurer. Les deux petits qui s’étaient réveillés étaient plus curieux qu’effrayés. Ils admiraient les plumets.
– Ah! dit la mère, ils ont bien faim.
Et elle ajouta:
– Je n’ai plus de lait.
– On leur donnera à manger, cria le sergent, et à toi aussi. Mais ce n’est pas tout çà. Quelles sont tes opinions politiques?
La femme regarda le sergent et ne répondit pas.
– Entends-tu ma question?
Elle balbutia:
– J’ai été mise au couvent toute jeune, mais je me suis mariée, je ne suis pas religieuse. Les soeurs m’ont appris à parler français. On a mis le feu au village. Nous nous sommes sauvés si vite que je n’ai pas eu le temps de mettre des souliers.
– Je te demande quelles sont tes opinions politiques?
– Je ne sais pas ça.
Le sergent poursuivit:
– C’est qu’il y a des espionnes. Ça se fusille, les espionnes. Voyons. Parle. Tu n’es pas bohémienne? Quelle est ta patrie?
Elle continua de le regarder comme ne comprenant pas. Le sergent répéta:
– Quelle est ta patrie?
– Je ne sais pas, dit-elle.
– Comment, tu ne sais pas quel est ton pays?
– Ah! mon pays. Si fait.
– Eh bien, quel est ton pays? La femme répondit:
– C’est la métairie de Siscoignard, dans la paroisse d’Azé.
Ce fut le tour du sergent d’être stupéfait. Il demeura un moment pensif, puis il reprit:
– Tu dis?
– Siscoignard.
– Ce n’est pas une patrie, ça.
– C’est mon pays.
Et la femme, après un instant de réflexion, ajouta:
– Je comprends, monsieur. Vous êtes de France, moi je suis de Bretagne.
– Eh bien?
– Ce n’est pas le même pays.
– Mais c’est la même patrie! cria le sergent.
La femme se borna à répondre:
– Je suis de Siscoignard.
– Va pour Siscoignard, repartit le sergent. C’est de là qu’est ta famille?
– Oui.
– Que fait-elle?
– Elle est toute morte. Je n’ai plus personne.
Le sergent, qui était un peu beau parleur, continua l’interrogatoire.
– On a des parents, que diable! ou on en a eu. Qui es-tu? Parle.
La femme écouta, ahurie, cet – ou on en a eu – qui ressemblait plus à un cri de bête qu’à une parole humaine.
La vivandière sentit le besoin d’intervenir. Elle se remit à caresser l’enfant qui tétait, et donna une tape sur la joue aux deux autres.
– Comment s’appelle la téteuse? demanda-t-elle; car c’est une fille, ça.
La mère répondit: Georgette.
– Et l’aîné? car c’est un homme, ce polisson-là.
– René-Jean.
– Et le cadet? car lui aussi, il est un homme, et joufflu encore!
– Gros-Alain, dit la mère.
– Ils sont gentils, ces petits, dit la vivandière; çà vous a déjà des airs d’être des personnes.
Cependant le sergent insistait.
– Parle donc, madame. As-tu une maison?
– J’en avais une.
– Où çà?
– À Azé.
– Pourquoi n’es-tu pas dans ta maison?
– Parce qu’on l’a brûlée.
– Qui çà?
– Je ne sais pas. Une bataille.
– D’où viens-tu?
– De là.
– Où vas-tu?
– Je ne sais pas.
– Arrive au fait. Qui