Quatrevingt treize. Victor Hugo
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Un peu après dix heures, le comte du Boisberthelot et le chevalier de La Vieuville reconduisirent l’homme aux habits de paysan jusqu’à sa cabine qui était la propre chambre du capitaine. Au moment d’y entrer, il leur dit en baissant la voix:
– Vous le savez, messieurs, le secret importe. Silence jusqu’au moment de l’explosion. Vous seuls connaissez ici mon nom.
– Nous l’emporterons au tombeau, répondit Boisberthelot.
– Quant à moi, repartit le vieillard, fussé-je devant la mort, je ne le dirais pas.
Et il entra dans sa chambre.
III. NOBLESSE ET ROTURE MÊLÉES
Le commandant et le second remontèrent sur le pont et se mirent à marcher côte à côte en causant. Ils parlaient évidemment de leur passager, et voici à peu près le dialogue que le vent dispersait dans les ténèbres.
Boisberthelot grommela à demi-voix à l’oreille de La Vieuville:
– Nous allons voir si c’est un chef.
La Vieuville répondit:
– En attendant, c’est un prince.
– Presque.
– Gentilhomme en France, mais prince en Bretagne.
– Comme les La Trémoille, comme les Rohan.
– Dont il est l’allié.
Boisberthelot reprit:
– En France et dans les carrosses du roi, il est marquis comme je suis comte et comme vous êtes chevalier.
– Ils sont loin les carrosses! s’écria La Vieuville.
Nous en sommes au tombereau.
Il y eut un silence.
Boisberthelot repartit:
– À défaut d’un prince français, on prend un prince breton.
– Faute de grives…
– Non, faute d’un aigle, on prend un corbeau.
– J’aimerais mieux un vautour, dit Boisberthelot.
Et La Vieuville répliqua:
– Certes! un bec et des griffes.
– Nous allons voir.
– Oui, reprit La Vieuville, il est temps qu’il y ait un chef. Je suis de l’avis de Tinténiac: un chef, et de la poudre! Tenez, commandant, je connais à peu près tous les chefs possibles et impossibles; ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain; pas un n’est la caboche de guerre qu’il nous faut. Dans cette diable de Vendée, il faut un général qui soit en même temps un procureur; il faut ennuyer l’ennemi, lui disputer le moulin, le buisson, le fossé, le caillou, lui faire de mauvaises querelles, tirer parti de tout, veiller à tout, massacrer beaucoup, faire des exemples, n’avoir ni sommeil ni pitié. À cette heure, dans cette armée de paysans, il y a des héros, il n’y a pas de capitaines. D’Elbée est nul, Lescure est malade, Bonchamps fait grâce; il est bon, c’est bête; La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant; Silz est un officier de rase campagne, impropre à la guerre d’expédients. Cathelineau est un charretier naïf, Stofflet est un garde-chasse rusé, Bérard est inepte, Boulainvilliers est ridicule, Charette est horrible. Et je ne parle pas du barbier Gaston. Car, mordemonbleu! à quoi bon chamailler la révolution et quelle différence y a-t-il entre les républicains et nous si nous faisons commander les gentilshommes par les perruquiers?
– C’est que cette chienne de révolution nous gagne, nous aussi.
– Une gale qu’a la France!
– Gale du tiers état, reprit Boisberthelot. L’Angleterre seule peut nous tirer de là.
– Elle nous en tirera, n’en doutez pas, capitaine.
– En attendant, c’est laid.
– Certes, des manants partout; la monarchie qui a pour général en chef Stofflet, garde-chasse de M. de Maulevrier, n’a rien à envier à la république qui a pour ministre Pache, fils du portier du duc de Castries. Quel vis-à-vis que cette guerre de la Vendée: d’un côté Santerre le brasseur, de l’autre Gaston le merlan!
– Mon cher La Vieuville, je fais un certain cas de ce Gaston. Il n’a point mal agi dans son commandement de Guéménée. Il a gentiment arquebusé trois cents bleus après leur avoir fait creuser leur fosse par eux-mêmes.
– À la bonne heure; mais je l’eusse fait tout aussi bien que lui.
– Pardieu, sans doute. Et moi aussi.
– Les grands actes de guerre, reprit La Vieuville, veulent de la noblesse dans qui les accomplit. Ce sont choses de chevaliers et non de perruquiers.
– Il y a pourtant dans ce tiers état, répliqua Boisberthelot, des hommes estimables. Tenez, par exemple, cet horloger Joly. Il avait été sergent au régiment de Flandre; il se fait chef vendéen; il commande une bande de la côte; il a un fils, qui est républicain, et, pendant que le père sert dans les blancs, le fils sert dans les bleus. Rencontre. Bataille. Le père fait prisonnier son fils, et lui brûle la cervelle.
– Celui-là est bien, dit La Vieuville.
– Un Brutus royaliste, reprit Boisberthelot.
– Cela n’empêche pas qu’il est insupportable d’être commandé par un Coquereau, un Jean-Jean, un Moulins, un Focart, un Bouju, un Chouppes!
– Mon cher chevalier, la colère est la même de l’autre côté. Nous sommes pleins de bourgeois; ils sont pleins de nobles. Croyez-vous que les sans-culottes soient contents d’être commandés par le comte de Canclaux, le vicomte de Miranda, le vicomte de Beauharnais, le comte de Valence, le marquis de Custine et le duc de Biron!
– Quel gâchis!
– Et le duc de Chartres!
– Fils d’Égalité. Ah çà, quand sera-t-il roi, celui-là?
– Jamais!
– Il