Les derniers iroquois. Emile Chevalier

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Les derniers iroquois - Emile Chevalier

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murmurer le joug de la domination anglaise, et que beaucoup courtisaient leurs maîtres, adulaient Son Excellence le gouverneur général, les Montréalais ou Montréalistes, comme on les appelle dans le pays, protestaient ouvertement contre toutes les exactions du pouvoir, lui faisaient une opposition énergique, et aspiraient les uns à l’indépendance, les autres à l’annexion aux États-Unis, une certaine, mais faible minorité, à un retour sous l’administration française.

      Les motifs de leur désaffection étaient divers. Pour les Franco-Canadiens, c’était principalement cette vieille inimitié de race que le temps n’a malheureusement pas effacée. D’ailleurs, peuple conquis, il n’eut guère été naturel qu’ils supportassent sans se plaindre leurs conquérants.

      Pour les Anglo-Canadiens, la vue de l’égalité et de la liberté qui régnait aux États-Unis, comparées à l’oligarchie aristocratique et tyrannique du gouvernement colonial, pouvait être un sujet d’envie. Quoi qu’il en soit, le mécontentement avait atteint ses limites extrêmes. Et les mécontents formulèrent, en 1834, leurs griefs dans un factum célèbre, sous le titre Les quatre-vingt-douze résolutions, rédigées, en grande partie, sous la direction de M. Louis-Joseph Papineau, le tribun du parti libéral à l’Assemblée législative[18].

      Ce document fut envoyé à Londres. Mais, loin de faire droit à ses instantes réclamations, quoiqu’elles fussent appuyées par lord John Russell, O’Connell et plusieurs membres éminents de la chambre des communes anglaise, le cabinet de Saint-James ferma l’oreille.

      Des troubles, bientôt réprimés, éclatèrent, au commencement de 1837, à Montréal et dans les environs.

      Alors, le ministère anglais se décida à nommer des commissaires pour s’enquérir des affaires du Canada. Au lieu de pacifier les esprits par quelques concessions, la commission les irrita davantage en provoquant des arrestations.

      À la fin d’avril de cette année, plusieurs Montréalais furent incarcérés, et l’exécutif fit lancer une foule de warrants, ou mandats d’amener, contre différents individus des campagnes avoisinantes, soupçonnés d’être hostiles à la Grande-Bretagne.

      Parmi les suspects se trouvait un Indien habitant le village de Caughnawagha.

      Ainsi que nous l’avons dit, le village de Caughnawagha ou du Sault Saint-Louis s’élève à trois lieues environ de Montréal, sur la rive méridionale du Saint-Laurent.

      Là, comme les Hurons à Lorette, près de Québec[19], se sont réfugiés les derniers rejetons des Iroquois. Cette peuplade, jadis si florissante, qui s’intitulait superbement les Six Nations, et qui, plus d’une fois, fit fléchir nos armes, est à présent réduite à une centaine de familles de métis, végétant dans la misère et la dégradation. À peine leur reste-t-il le souvenir de ce que furent leurs ancêtres; à peine savent-ils qu’il n’y a pas deux siècles ils possédaient toutes les régions à l’est et à l’ouest des Grands-Lacs, que le nom seul de leur race faisait trembler les autres Peaux-Rouges et jusqu’aux blancs établis sur les bords du Saint-Laurent et de l’Hudson.

      Alors ils se recrutaient des Oneidas, Onondagas, Cayugas, Senecas, plus tard des Tuscarocas, six en tout; mais si puissants, mais si vaillants, qu’on les appelait les Hommes, pour les distinguer des Delawares, les Femmes, leurs courageux et infortunés adversaires.

      Et cependant ils étaient braves, eux aussi, les Delawares ou Lenni-Lenapes, c’est-à-dire peuple sans mélange, comme ils se qualifiaient.

      Que sont-ils devenus? Hélas! notre ambition les a anéantis. Vainqueurs et vaincus, Delawares et Iroquois, n’ont plus sur cette terre un seul représentant pur d’alliance étrangère. Les échos de l’Amérique n’entendent plus leur cri de guerre, ne redisent plus leurs glorieux exploits. Ils sont ensevelis au cénotaphe de l’histoire. Comme sur une tombe, leur nom reste, mais pour désigner quelques divisions territoriales du Canada et des États-Unis.

      Qui croirait, en parcourant le chétif hameau de Caughnawagha, en rencontrant ces Bois-Brûlés[20] couverts d’habillements déguenillés comme nos mendiants européens, abrutis par l’ivrognerie et la fainéantise, que ce sont là les petits-fils – bâtards il est vrai – des Iroquois! Qui le croirait à la vue de leurs sales et chétives cahutes en boue, tristement éparpillées sur une plage fertile, mais infécondée vis à vis, et à deux pas d’une grande ville éblouissante de luxe, toute palpitante d’industrie!

      Pénible spectacle! navrant contraste! Voilà ce que, sur tout le continent américain, notre civilisation a fait des propriétaires légitimes du sol. Une civilisation généreuse, charitable pourtant que la nôtre, et qui ne prétend marcher qu’armée du code de la légalité! Quelle thèse pour le philosophe! Que de réflexions sur l’incertitude de ce que nous regardons comme le droit, de ce que nous jugeons sacro-saint!

      Jamais je n’ai traversé la désolée bourgade de Caughnawagha sans que mon cœur ne se serrât douloureusement et que des larmes ne montassent à mes paupières. Au milieu du désert, l’Indien avive en moi le sentiment de la puissance humaine: il me fait plaisir; quoique déjà dégénéré, quoique déjà il se soit inoculé la plupart des vices qui déshonorent les blancs, il conserve pour moi encore quelque prestige; je le vois libre, alerte, hardi dans le danger, et j’oublie volontiers sa malpropreté habituelle, sa paresse imprévoyante, sa duplicité, pour admirer sa patience à toute épreuve, son amour de l’indépendance, sa pénétration, son adresse, sa résistance aux fatigues, aux luttes du corps, ses admirables talents oratoires, son inflexible stoïcisme dans les tortures, sa sérénité devant la mort.

      À l’état demi-policé, il est hideux, hideux comme tous les monstres, parce que le Peau-Rouge n’a pas été, – je le dis hautement, – créé pour l’organisation sociale des Visages-Pâles. Nos missionnaires se sont trompés, ils ont été dupés de leur zèle, pour ne pas dire plus. Chez nous, près de nous, l’Indien s’étiole, s’avilit, se suicide lentement. C’est une plante exotique qui ne peut vivre dans notre atmosphère. Nous était-il permis, sous un prétexte politique, religieux ou autre, de le traiter comme nous l’avons traité? Est-il permis aux Anglais de poursuivre cette œuvre meurtrière? Problèmes redoutables, questions difficiles que je me suis souvent posés, mais pour la solution desquels je ne me crois pas assez autorisé.

      Quoi qu’il en soit, en 1837, le village de Caughnawagha n’était ni mieux, ni plus mal construit qu’il ne l’est maintenant. C’était une réunion de cabanes, avec des toits de chaume ou de planches, d’un aspect repoussant. On les avait groupées près d’une chapelle où un prêtre catholique essayait, chaque dimanche, par des instructions dans leur langue, d’attacher les Iroquois à la religion du Christ.

      À l’exception d’un petit jardin attenant au presbytère et de deux ou trois lopins de terre semés de maïs, nulle trace de culture autour des huttes. Mais çà et là des flaques d’eau noirâtre où barbotaient quelques pourceaux éthiques et des nichées d’enfants dégoûtants au possible.

      Pourtant, au centre du village, on remarquait une maisonnette relativement assez élégante, mais qui, par les matériaux dont elle était composée, sinon par sa forme, affectait le type du wigwam indien.

      Des peaux de buffle la recouvraient entièrement. Et, au lieu d’être ouverte à tous les vents ou d’avoir une méchante porte de bois comme les autres, elle se fermait au moyen d’un rideau en cuir d’orignal, orné de broderies en rassade[21], représentant un castor et un grand aigle à tête chauve.

      Ces figures étaient le totem ou écusson d’un chef. Le castor est (avec la tortue) l’emblème des Iroquois et des Canadiens qui le leur ont emprunté; l’aigle à tête chauve est un des symboles du pouvoir chez les Peaux-Rouges.

      La

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