L'île de sable. Emile Chevalier

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L'île de sable - Emile Chevalier

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soupçons! Fatalité! quelque magicien m'aura jeté un sort, c'est sûr… Il faut implorer le secours de ma miséricordieuse patronne!

      Ayant formé ce dessein, la dévotieuse jeune fille courut s'agenouiller devant son prie-Dieu.

      Tandis qu'elle était ainsi prosternée, Guillaume de la Roche entra sans bruit chez elle.

      Ne voulant point troubler ses oraisons, il allait se retirer, car il était bien loin de se douter, le rigide tuteur, que c'était une pensée terrestre, une pensée mondaine, une pensée d'amante insoumise, qui absorbait ainsi l'attention de sa pupille; mais tout à coup celle-ci s'écria avec allégresse:

      – Oh! merci, merci! bienheureuse patronne, vous avez exaucé mes voeux; il est sauvé!

      – Qui cela? demanda le marquis.

      – Monseigneur de la Roche! balbutia Laure interdite.

      – Eh bien! chère enfant, est-ce ainsi que vous recevez votre oncle après deux mois d'absence?

      – Pardon, pardon, dit Laure en rougissant, je…

      – Vous ne m'attendiez pas, méchante fille, reprit Guillaume en la baisant tendrement au front. Mais grâce au ciel, nous sommes revenus sains et saufs et tout est prêt pour notre prochain départ.

      – Votre prochain départ!

      – Ah! ma mie, vous gémirez, car j'emmène avec moi le chevalier de vos pensées. Jean de Ganay m'accompagnera à la Nouvelle-France. Ça, ne te désole pas, ma Laurette; ne baisse pas ces grands yeux bleus pour cacher ton affliction. Je te promets de te le rendre dans un an au plus.

      – Mais, monseigneur…

      – Mais quoi, mademoiselle? dit Guillaume en s'asseyant et l'attirant sur ses genoux.

      – Mais…

      – Puisque je te promets de te le rendre. Ne vas-tu pas être jalouse de ton vieil oncle? La séparation vous fortifiera tous deux, et vous me saurez gré de vous avoir tenus éloignés durant quelque temps. Tu passeras ton veuvage chez l'abbesse du moustier de Blois.

      – Mais, mon oncle, dit enfin la jeune châtelaine qui s'était peu à peu remise de son émotion, ne m'avez-vous pas annoncé que votre projet de fonder une colonie à la Nouvelle-France était ajourné?

      – Ah! répliqua le marquis en souriant, c'est moins mon projet de colonisation que le colon que j'enlève qui m'attire cette insidieuse question.

      – Vous avez donc obtenu vos lettres patentes? dit-elle avec une agitation qui échappa à son interlocuteur.

      – Bien mieux, répondit-il; j'ai triomphé des pièges que m'avait tendus le duc de Mercoeur.

      Laure tressaillit.

      – Chère enfant, dit de la Roche en la pressant affectueusement contre sa poitrine, tu me pardonneras de te délaisser. Mais la voix de Dieu parle à ma conscience. Il faut que je parte. Nouveau Pierre l'Hermite, je porterai la bannière de l'Église romaine au milieu des infidèles, et bientôt l'autre rive de l'Atlantique retentira de louanges au Tout-Puissant. Courage, ma fille! offre ton âme à Dieu! il t'aidera à supporter cette épreuve.

      Laure était sensible. Élevée par Guillaume de la Roche qui l'avait gâtée, elle le chérissait à l'égal d'un père. Si les longues expéditions de son tuteur ne l'avaient jamais effrayée, à cette époque de troubles et de guerres civiles, l'idée d'un voyage au delà de l'Océan, vers des contrées qu'on jugeait beaucoup plus lointaines qu'elles ne le sont réellement, cette idée, disons-nous, ne pouvait manquer de l'attrister. Elle fondit en larmes.

      Persuadé que ces larmes avaient plutôt son écuyer pour objet que lui-même, Guillaume essaya de la consoler par des caresses. Puis s'imaginant opposer un remède souverain à la douleur de sa nièce, il lui dit en la quittant:

      – Allons, enfant, sèche tes pleurs. Vous serez fiancés avant que nous nous embarquions.

      Aussitôt qu'il eut laissé la chambre, Laure frappa trois fois sur un gong avec une baguette d'argent. Sa camériste, jeune Picarde accorte, avenante, parut.

      – Suzette, quel est le sergent de garde à la porte du château?

      La soubrette cligna de l'oeil d'un air intelligent et répondit:

      – C'est Goliath!

      – Descends à l'office, et ordonne au sommelier de ne pas oublier ce soir le poste… Tu m'entends!

      – Mademoiselle sera obéie, dit Suzette en s'inclinant.

      – Ah! je suis indisposée… Je ne paraîtrai pas au souper.

      Suzette fit une deuxième révérence et sortit.

      – Comme cela, s'écria alors la nièce du marquis, peut-être réussirai-je à le voir en sûreté!

      V. LE MÉNESTREL

      – Allons, sergent Goliath, encore un verre de ce généreux cidre dont nous a gratifiés la noble Laure de Kerskoên.

      – Verse, verse toujours, Oreille-de-Lièvre; car, ventremahom! la langue m'arde plus que charbon ardent, et mon estomac résonne comme une tonne vide.

      – Brave demoiselle, que notre châtelaine! ajouta Oreille-de-Lièvre, en remplissant une écuelle de bois que lui tendait le sergent.

      – Jour de ma vie! tu dis vrai, répondit celui-ci. Brave demoiselle, ventremahom!

      Et il porta le gobelet à ses lèvres.

      Mais tout à coup il s'arrêta, tendit l'oreille.

      – Qu'as-tu donc, Goliath? on dirait que tu écoutes quelque chose.

      – Vraiment oui, ventremahom, j'écoute… n'entendez-vous pas?

      Par la porte entr'ouverte du corps de garde, la brise du soir apportait ces paroles bien connues, chantées sur un mode lent et harmonieux:

        ………………. Li Bretons

        Jadis souloioient par prouesse,

        Des aventures qu'ils oioient

        Faire des lais par remembrance

        Qu'on ne les mist en oubliance…

      – Oh! oh! ventremahom! cela nous annonce, si je ne m'embrène en fumier d'erreur, le jovial trouvère qui tant nous donna soulas et esbattements ces derniers jours. Sans doute il demande l'hospitalité. Ce sera précieuse aubaine pour nous de le recevoir en notre chambrée. Il nous contera vaillantes histoires des preux Armoricains, et ne manquera pas de nous redire les merveilleuses aventures du chevalier Bertrand du Guesclin.

      – Et aussi l'expédition des quatre fils de Montglave, dit Oreille-de-Lièvre: «A l'issu de l'hyver que le joly temps de l'esté commence et qu'on voit les arbres florir et les fleurs s'espanyr.»

      – Pas si vite, compère, pas si vite, intervint un troisième hallebardier; festinons, banquetons, c'est fort bien; mais ne forçons pas la consigne. Le couvre-feu est sonné!

      – Oh! la piètre

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