Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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était donc porteur des vingt-cinq centimes ordonnés par le testataire, lorsqu’il débarqua à huit heures du matin à la gare d’Orléans.

      Il n’avait pas dormi de la nuit, c’est vrai.

      – Mais, pensait-il, j’ai bien le temps de sommeiller en route.

      Et, aussitôt après, il avait disparu du côté de la gare des marchandises.

      Peu après, parmi les voyageurs se disposant à prendre l’express, on en pouvait voir quelques-uns qui sont déjà de notre connaissance.

      C’était d’abord l’excellent M. Bouvreuil, que sa fille Pénélope était venue conduire jusqu’à la gare, en compagnie d’une bonne.

      Nous entrevoyons Mlle Pénélope. Franchement on ne pouvait pas reprocher à Lavarède de ne vouloir point unir sa destinée à celle de cette jeune personne. Trop grande pour être élégante, plutôt osseuse que maigre, le teint bilieux, l’expression du visage hautaine et suffisante, – ce que le peuple appelle dans sa langue vigoureuse «l’air puant», – telle apparaissait la demoiselle du bon M. Bouvreuil. Elle se savait riche, en tirait une assez sotte vanité, et son orgueil avait été blessé du refus de Lavarède. C’était elle-même qui avait conseillé à son père de prendre le jeune homme par la famine.

      Le vieux finaud lisait attentivement un journal, les Échos parisiens, qui venait de paraître, et, dans ce journal, la chronique de Lavarède. Comme il s’y trouvait désigné sous le nom de «M. Chardonneret, propriétaire de la race des vautours non apprivoisés», il parcourut le reste de l’article et lut «entre les lignes». Et il passa le journal à sa fille, en lui faisant part de ses réflexions.

      – Comment! dit-elle après avoir lu, ce monsieur qui ne veut pas de moi hériterait de quatre millions, s’il réussit à faire un tel voyage sans argent?…

      – Tu vois bien qu’il est fou, rien que de l’entreprendre.

      – Aussi, j’espère qu’il n’y parviendra point.

      – Sois tranquille, avant peu il reviendra à Paris, penaud et repentant. Et il s’y trouvera traqué de telle sorte dans mon réseau de papier timbré, qu’il sera bien heureux d’accepter la paix, avec ta main.

      Pénélope soupira. Déjà pas très belle au repos, elle était fort laide quand elle soupirait.

      – C’est qu’il est charmant, le monstre, fit-elle en roulant vers le ciel des yeux de carpe pâmée.

      À ce moment, des hommes d’équipe transportaient dans le fourgon des bagages une caisse dont la forme et les proportions inusitées attirèrent tous les regards.

      – Tiens, dit Bouvreuil, voilà un colis qui va faire le même voyage que moi.

      – Il va à Panama? demanda Pénélope.

      – Oui, c’est écrit dessus.

      – Ce doit être un piano, hasarda la demoiselle.

      – Quelque ingénieur de là-bas qui veut charmer ses loisirs, sans doute.

      – Prends bien garde aux fièvres, papa.

      – Rassure-toi, avec de l’argent on achète une hygiène parfaite. Au surplus, je n’aurai pas à y demeurer. Le temps d’inspecter les chantiers, de vérifier l’utilité des dépenses et l’état des travaux. Je ne ferai que prendre des notes et je rédigerai mon rapport pour mon syndicat sur le bateau, en revenant… Quinze jours me suffiront largement.

      – Avec les deux voyages d’aller et de retour, et le séjour que tu prévois, cela fait une absence de six semaines environ.

      – Six semaines au plus. Je te télégraphierai par le câble la date de mon arrivée là-bas et celle de mon départ.

      Ce disant, Bouvreuil s’installa dans un compartiment de première classe, où ne tardèrent pas à le rejoindre deux autres personnes.

      Sir Murlyton, escorté de sa fille, miss Aurett, et de la gouvernante, mistress Griff, étaient arrivés à la gare à l’heure dite, avec la précision et l’exactitude des insulaires de la Grande-Bretagne. Cherchant de tous côtés, ils ne virent point Lavarède. Celui-ci, nous le savons, ne pouvait être à la gare des voyageurs.

      – Est-ce qu’il aurait déjà renoncé à l’aventure? se demanda l’Anglais.

      – Ce n’est pas probable, répondit miss Aurett.

      Cependant l’heure passait, le moment du départ approchait, et Lavarède ne paraissait toujours pas.

      – Aoh! fit sir Murlyton mécontent.

      – Tu dois l’accompagner.

      – Pour cela, il faudrait qu’il fût là.

      – Mais peut-être a-t-il trouvé prudent de partir de Paris pour Bordeaux, seul, avant toi.

      – C’est cela, afin que je ne puisse pas vérifier s’il a pris son ticket qui coûte plus de vingt-cinq centimes, ajouta-t-il en riant.

      Ils firent une rapide inspection des wagons déjà bondés de voyageurs. Lavarède n’était pas parmi eux. Tout à coup, miss Aurett eut une idée.

      – Mon père, à Paris, dans le mouvement de la gare, tu cours le risque de le perdre de vue. Mais en allant l’attendre à Bordeaux, là, tu es sûr de ne pas le manquer. Pour embarquer dans le packet-boat, il n’y a qu’un seul chemin, la planche. Il a dit que le train correspond à Pauillac avec la ligne des vapeurs, tu devrais quand même aller jusque-là.

      – Oh! nous autres Anglais, grands voyageurs, ce n’est pas cela qui peut nous gêner beaucoup. Une simple promenade, après tout.

      – Oui, et si tu étais bien gentil, je t’y accompagnerais, pour te donner le baiser d’adieu avant ton départ pour le tour du monde.

      – Mais, si ce monsieur arrive tout à l’heure, en retard, après le départ de l’express, comment le saurai-je?

      – Mistress Griff l’a vu dans la rue, hier, et aussi chez le notaire. Elle n’a qu’à rester ici et à attendre. Elle le reconnaîtra bien et nous enverra une dépêche à Bordeaux-Pauillac, en gare, ou bien à la tente des Messageries maritimes.

      – C’est juste.

      On expliqua à la gouvernante le rôle qu’elle avait à jouer, et l’on prit deux tickets. Miss Aurett, avec la gaieté de ses vingt ans, était ravie de cette courte excursion qui ressemblait à une escapade de pensionnaire. Gravement mistress Griff l’embrassa.

      – À après-demain, n’est-ce pas, miss?

      – À demain peut-être. Le bateau part ce soir, on ne couche même pas à Bordeaux; je reprendrai donc un train de nuit, et il est plus que probable que je serai de retour demain et non après-demain.

      – Alors je reviendrai ici vous attendre.

      – Un télégramme vous préviendra.

      Le père intervint:

      – Une

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