Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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notre passage, mon père.

      Sans s’émouvoir, sir Murlyton dit:

      – Vous voulez aussi venir avec moi?

      Aussi froidement, en véritable Anglaise, elle répondit:

      – Oui, mon père; cette petite excursion à Panama peut être instructive; je n’ai pas encore parcouru le centre de l’Amérique.

      – Les voyages forment la jeunesse… Mais quel bagage avez-vous?

      – Ma valise de promenade et mon nécessaire de toilette.

      – Pensez-vous que cela suffise?

      – Non; mais je vais rapidement faire les achats indispensables.

      – All right! Mais mistress Griff?

      – Je profiterai de mes courses pour lui télégraphier qu’elle doit retourner tout de suite et seule dans notre cottage du Devonshire.

      – Alors tout est prévu. C’est bien.

      Ils échangèrent une poignée de main et se séparèrent, elle pour aller aux abords de la gare maritime de Pauillac, lui pour monter sur le bateau et y retenir deux cabines. Ni l’un ni l’autre ne s’étaient un instant départis du classique flegme britannique. Ils allaient en Amérique comme ils seraient allés à Asnières, toujours avec le même calme.

      Pendant que cette petite scène se passait devant la Lorraine, le transatlantique commandé par le capitaine Kassler, voici celle qui se passait devant la caisse coupable. Brusquement Lavarède, souriant, apparut aux yeux de Bouvreuil rageant.

      – Ah! Je savais bien! fit celui-ci d’un air triomphant.

      – Vous saviez quoi? interrogea gracieusement le jeune homme.

      – Que vous étiez là!… et il désignait la boîte.

      – Vous vous trompez, cher monsieur, j’étais autre part.

      – Je sais ce que je dis.

      – Pas aussi bien que moi, croyez-le. Je me promène en attendant de faire un petit tour en Amérique, comme vous, d’ailleurs… Seulement, moi, c’est pour fuir vos huissiers, vos aimables huissiers.

      Bouvreuil eut un air d’ironique pitié.

      – Oui, vous voulez, comme vous dites, filer en Amérique, mais en voyageant d’une manière frauduleuse, à l’aide d’une machination ténébreuse.

      – Le fait est, dit Armand gouailleur, qu’on n’y voit pas très clair dans ces planches. Ténébreux est le mot.

      – Tandis que moi, continua le financier d’un ton suffisant, je voyage au grand jour, en payant ma place, moi, monsieur!… en retenant la cabine numéro 10, moi, monsieur!… en ne m’enfouissant pas dans les profondeurs d’un inavouable colis, moi, monsieur!…

      Et, chaque fois qu’il appuyait sur ce «moi, monsieur!» sa voix s’enflait, prenant des inflexions majestueuses, prudhommesques et mélodramatiques. Timidement, Lavarède riposta:

      – Je fais ce que je peux, moi, monsieur!

      Et, d’un mouvement rapide et brusque, il ouvrit la porte de la caisse, y fit entrer de force l’infortuné propriétaire, et repoussa les planches avec vivacité. Seulement, il fit déclencher le secret de la fermeture sous un effort violent, de telle sorte que M. Bouvreuil ne pouvait plus sortir de cette boîte infernale. Il commença par crier, par appeler. Mais bientôt sa voix s’estompa. Une ombre l’altérait. Est-ce que la colère l’avait étouffé? Ou bien était-ce la raréfaction de l’air respirable?

      Lavarède ne se posa même pas cette question. Prestement, il décampa au plus vite, et, tout courant, s’en alla vers le pont où s’embarquaient les passagers de la Lorraine. Il était temps. Deux minutes plus tard, quatre hommes d’équipe, ou portefaix de la marine, arrivaient sur le quai des marchandises, précédés du douanier de tout à l’heure.

      – Tiens, fit-il étonné, le vieux n’est plus là.

      – Il se sera impatienté, dit l’employé, il sera parti. Il a aussi bien fait.

      Et les porteurs se mirent en mesure de charger la caisse.

      – Oh! oh! fit l’un d’eux… mais elle est lourde.

      – C’est vrai, elle pèse plus que tout à l’heure.

      – Ah çà, il y a vraiment quelque chose dedans?

      – Oui, ça remue.

      – Tenez, quand on soulève d’un côté, ça penche de l’autre.

      En effet, on entendait un lourd floc.

      – Mais ça roule.

      Le douanier prêta l’oreille.

      – Et on dirait que ça gémit.

      – Ah! ah! nous tenons le gibier.

      – C’est de la contrebande.

      – Pour sûr!

      – Emportons ce colis. Je vais d’abord y mettre les plombs, les scellés. On n’y touchera pas jusqu’à ce que le brigadier ait déjeuné. Il a donné ordre qu’on l’apporte au bureau du lieutenant des douanes. On ne l’ouvrira que devant cet officier.

      Ce fut fait aussitôt. Et le pauvre président du syndicat des actionnaires, qui, probablement, avait perdu connaissance, put avoir le temps de se remettre. Mais ne nous occupons plus de lui pour l’instant, et retournons à bord de la Lorraine.

      Tout est prêt pour le départ. Le paquebot est sous vapeur. La machine chauffe avec son grondement sourd de bête domptée. Le panache de fumée est épais et noir. Les matelots sont aux cordages ou occupés à arrimer les bagages et marchandises embarqués. Tout le monde est sur le pont. Les parents et les amis viennent de quitter le navire après les derniers adieux. La planche va être retirée. Le second achève l’appel des voyageurs.

      – Voyons, personne ne manque… Nous avons les cabines 8 et 9 qui viennent d’être retenues.

      – 8 et 9, c’est pour moi et ma fille, répond sir Murlyton.

      – Bon! vous êtes à bord… Mais il y a le 10 qui n’a pas encore répondu. Voyons où est le numéro 10… Retenu à Paris, à l’Agence maritime?

      Un homme se précipite sur la planche, juste au moment où le matelot de service allait l’enlever.

      – Le numéro 10, c’est moi, me voilà!… crie-t-il tout effaré.

      – Quel nom? demande le second du navire.

      – Bouvreuil, de Paris.

      – C’est bien ça… En route!

      Coup de sifflet, coup de cloche. La Lorraine démarre majestueusement. On est parti. Deux passagers se rencontrent nez à nez au pied de la dunette.

      – Aoh!

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