Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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faut sept jours pour aller de Santander aux îles Açores. Le pauvre Bouvreuil n’eut pas la force de passer une semaine à faire le métier de chauffeur. Il avait essayé de protester d’abord. Rien n’y fit. Il dut prendre son mal en patience. Mais avant le troisième jour, il était fourbu, éreinté, et n’avait même plus la force de se plaindre. Il n’articulait plus que de faibles gémissements, lorsqu’il était en présence d’un officier.

      Grâce à un pourboire généreux octroyé aux mariniers de la chambre de chauffe, on ne lui donnait aucune besogne. Il restait étendu sur les tas de charbon. Seulement, l’atmosphère surchauffée de cette partie du navire surprenait ses poumons qui n’y étaient point habitués. Et il demanda à ne plus descendre aux machines. Ce fut Lavarède, à qui il lançait toujours des regards furibonds lorsqu’il l’apercevait, qui intercéda auprès du second, afin que son malheureux propriétaire restât à l’infirmerie et obtînt même la permission de prendre un peu l’air sur le pont.

      – Sur le pont, soit, dit l’officier, mais jamais à l’arrière avec les passagers. Qu’il se tienne à l’avant avec l’équipage. Là, nos hommes auront l’œil sur lui.

      C’était trop de satisfaction pour Lavarède. Aussi s’avisa-t-il d’un argument topique pour que sa victime ne descendit plus se faire cuire, toute vivante, devant les chaudières du paquebot. Il argua qu’un homme sujet à des accès de folie était un danger pour la sécurité des passagers: il lui suffirait de tourner de travers un bouton quelconque pour causer un accident à la machine.

      Le raisonnement était bon. L’officier du bord s’en rendit compte. Mais, songeant aussi à sa responsabilité, il eut une idée qu’il jugeait meilleure.

      – Je vais le faire mettre aux fers jusqu’à la prochaine escale, et nous le déposerons aux Açores; là, les gendarmes portugais le conduiront au consul français qui réside à Bonte-del-Gado, dans l’île San-Miguel; il se chargera de le rapatrier.

      La seconde partie du projet était trop utile à notre ami pour qu’il ne s’en contentât pas. Il insista pour que Bouvreuil fût laissé en liberté, toujours mêlé à l’équipage, et n’ayant pas le droit de dépasser l’avant du navire.

      – Allons, soit, dit le second… on ne le mettra pas aux fers tout de suite, mais je vais le faire surveiller par un de mes mathurins… Et à la moindre incartade il y passera!

      Bouvreuil fut informé de tout. Et, comme la raison du plus fort est toujours la meilleure et qu’il se sentait bien le plus faible, il s’inclina, rongeant son frein. – Mais on se fait une idée de ce qui s’amassait de haine en son cœur, en voyant monsieur Lavarède mollement étendu, éventé avec le panka par l’Indien de service, un des domestiques des cabines de première classe, traité comme passager de marque, – tandis que lui, qui avait payé pour l’autre, en était réduit à un traitement d’indigent ou d’homme du bord.

      Inversement, d’ailleurs, Lavarède goûtait ce confortable avec d’autant plus de plaisir. Le voyage commençait bien. Il était déjà en plein Atlantique, et n’avait pas encore trébuché, quelles qu’eussent été les difficultés soulevées.

      Sir Murlyton se plaisait à le reconnaître. Mais, tenace comme ceux de sa nation, et sachant bien la force de l’argent, appréciant par conséquent la faiblesse de ceux qui n’en ont pas, il attendait patiemment le premier accroc fait aux conditions du testament pour le constater aussitôt et faire valoir alors son droit aux quatre millions.

      Le 4 avril, la Lorraine se trouva en vue de Flora, la première des îles où font escale les paquebots-poste français de la Compagnie Générale Transatlantique; mais elle ne s’y arrêtait que par exception, le voyageur que l’on y devait prendre étant gouverneur de district, haut fonctionnaire d’un État de l’Amérique centrale. C’est ce que le second apprit à Armand, qui lui demandait combien de temps on allait stopper là.

      – Ces merveilleux coins de terre, dit le Français à miss Aurett, sont des plus beaux qui soient au monde, des plus beaux et des meilleurs; par un privilège exceptionnel, l’archipel des Autours, en portugais Açor, n’a pas d’animaux venimeux; une légende locale veut même qu’ils ne puissent pas s’y acclimater. Mais, comme dit le géographe Vivien de Saint-Martin, il serait peut-être imprudent d’en faire l’expérience.

      Lavarède, en disant cela, avait fait sourire la jeune Anglaise.

      – Continuez, je vous prie, dit-elle.

      – Que je continue ma conférence? Soit, mais efforçons-nous de la faire amusante et instructive. Vous remarquerez, mademoiselle, que la population, qui dépasse 260 000 habitants pour les neuf îles, San-Miguel, Terceira, Piro, Fayal, San-Jorge, Graciosa, Florès, Santa-Maria et Corvo, est presque blanche, plus blanche en tout cas que celle de la province d’Algarve, au sud du Portugal, avec de superbes cheveux noirs. Les Açoréens, pour la plupart beaux et bien faits, leurs femmes renommées pour leur fécondité, se ressentent des trois éléments qui ont concouru au peuplement des îles, dites «africaines», comme Madère, les Canaries et celles du Cap-Vert, bien qu’elles soient plus rapprochées du continent européen que de la terre d’Afrique. Ces trois éléments, fondus depuis des siècles, sont les cultivateurs, Maures d’origine, les conquérants portugais, venus au milieu du XVe siècle, et – ce qui est moins connu – les colons flamands, envoyés peu après par la mère de Charles le Téméraire, la duchesse Isabeau de Bourgogne, à qui son frère, le roi Édouard, avait fait don de ces îles, nouvellement acquises alors à la couronne portugaise. À cause de cela, elles portèrent même le nom d’Îles Flamandes durant le temps qu’elles furent gouvernées par un gentilhomme de Bruges, Jacques Hurter; mais cela prit bientôt fin, et les Açores suivirent les destinées du Portugal, premier possesseur, mais non pas premier explorateur, car l’archipel est décrit sur des cartes italiennes du XVIe siècle, notamment celle du Portulan médicéen.

      Miss Aurett prenait plaisir à écouter ces choses racontées par Lavarède, dont la mémoire était admirablement meublée. Cela occupait les derniers instants avant l’arrêt de la Lorraine. Une foule nombreuse de curieux attendait le navire; car nos bateaux ne font pas d’escale régulière aux Açores. Les services se font à Madère, ou, pour la direction de Dakar, au Sénégal, aux îles du Cap-Vert. Mais, cette fois, il s’agissait, comme nous l’avons déjà dit de recevoir à bord un personnage important, et l’exception était justifiée.

      L’arrivée de don José de Courramazas y Miraflor était un événement dans l’île. Petit, sec, noiraud, olivâtre, don José était le cousin à la mode d’Estrémadure d’une parente du gobernador de San-Miguel. Était-ce bien une parente? La Lorraine ne stationna pas assez longtemps dans l’archipel pour que nous pussions résoudre le problème: en tout cas, c’était une belle personne, qui gouvernait la maison – et le gouverneur avec son cousin avait peut-être été Colombien de naissance; mais, à la suite de certains voyages d’aventures, il s’était senti la vocation de devenir citoyen du Venezuela et, de temps en temps, de Costa-Rica.

      Dans sa nouvelle patrie, il avait pris le parti d’un général dont le nom nous échappe, compétiteur d’un médecin dont le nom importe peu. À la suite de la révolution annuelle, motivée par le pronunciamiento semestriel, qui réussit une fois sur deux, les amis du général ayant été battus, don José avait dû s’embarquer pour l’Europe.

      Et, comme tout bon rastaquouère, il était venu à Paris d’abord. Ce qu’il y fit, nous le saurons plus tard, bientôt peut-être. Ensuite, il se souvint qu’il avait de la famille, une cousine ambitieuse. Il la chercha et la découvrit «parente» du gouverneur des Açores. C’est auprès d’elle qu’il vint se reposer et attendre des jours meilleurs.

      Ces

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